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Patrick Jardin: il perd sa fille au Bataclan, Le Monde souligne sa « haine »

On achève bien les chevaux


Patrick Jardin: il perd sa fille au Bataclan, Le Monde souligne sa « haine »
Patrick Jardin lors d'un congrès de Nicolas Dupont-Aignan, septembre 2018. SIPA. 00876644_000006

Le Monde consacre un article à la « haine » de Patrick Jardin, père effondré d’une victime du Bataclan. Un homme « qu’on ne peut pas aider » ajoute même le journaliste Claude Askolovitch sur Twitter.


Les belles âmes ont peur. Le retour des heures sombres, cette lèpre qui se répand, les méchants qui s’expriment, la plèbe qui prend la parole, tout ceci plonge ces petits-bourgeois dans une panique idéologique qu’ils ont du mal à contrôler. Alors ils se mobilisent, il faut lutter contre ce nazisme qui revient, et chacun doit être à son poste. Chacun doit apporter sa pierre à la construction de ce barrage qui doit nous préserver de la bête immonde : « no pasaran ! ».

Deux écrivassiers du Monde ont choisi leur arme pour participer à ce juste combat : la publication, dans leur journal, d’un article en tous points détestable. Ils ont jeté leur dévolu sur une cible facile, un homme simple à qui l’islamisme a tué la fille un soir de novembre 2015, au Bataclan. Un homme qui ne s’en remet pas.

« Patrick Jardin devient un personnage de l’extrême droite »

À celui-là, on va apprendre ce qu’est bien-penser, et l’exposer à la détestation des honnêtes gens. Personne ne peut en être surpris, le premier à lui jeter à la face une tomate pourrie en forme de tweet sera Claude Askolovitch, conservateur de la soumission. Tout de mauvaise foi, et d’insoutenable mépris, l’article fait la leçon à celui qui n’accepte pas, ne se résigne pas, qui a décidé de combattre. Et qui ne peut donc être qu’une brute fascisante.

On renverra à la lecture de ce concentré de déshonneur, mais on peut aussi se contenter du résumé qu’en donne Claude Askolovitch. « Sa fille Nathalie tuée au Bataclan, Patrick Jardin s’abandonne à la haine et devient un personnage de l’extrême droite. @lemonde raconte un homme émouvant de haine qu’on ne peut pas aider. »

Ce petit texte en forme de verdict expulse Monsieur Jardin de l’humanité, car un homme véritable, comme Askolovitch doit penser l’être, ça ne s’abandonne pas, surtout à la haine. S’abandonner au mépris social comme le fait notre professeur de morale, ça, en revanche, on peut et c’est même recommandé dans son petit milieu. Quant à la formule : « Un homme émouvant de haine qu’on ne peut pas aider », la fausse compassion hypocrite ne sert qu’à justifier la sentence: au rebut le père inconsolable !

Patrick Jardin aura leur haine

On pourrait considérer que tout ceci n’est qu’un petit épisode de plus dans la course à l’indignité du quotidien vespéral qui fut de référence, appuyée par un de ses habituels garde-flancs. Mais la séquence permet d’aborder la question des sentiments de haine et de vengeance que provoque le terrorisme islamiste aveugle, et sur la façon de le combattre. Le journaliste Antoine Leiris, dont l’épouse fut tuée au Bataclan, a publié un livre intitulé, Vous n’aurez pas ma haine, dont la lecture m’a provoqué une certaine gêne. Le texte, d’une réelle tenue, exprime des sentiments qui inspirent le respect. Mes réticences sont de deux ordres. Tout d’abord, il y a le spectacle des acclamations du mainstream et des belles âmes, les suites données à la publication qui ont transformé l’ouvrage et surtout son titre en emblème de ceux qui prônent l’acceptation du cancer islamiste, le considèrent comme une nuisance acceptable, et les lâchers de ballons accompagnés de marches blanches comme les outils principaux du combat. Ensuite, le texte est empreint d’ambiguïté. Si les massacreurs échappent à la haine, c’est quand même de justesse, et Antoine Leiris poursuit un dialogue imaginaire avec le fils que lui a donné son épouse disparue. Patrick Jardin, lui, a perdu sa fille. Quel que soit le malheur du journaliste et le respect qu’on lui doive, il y a une différence.

Un sentiment humain

Je me souviens, avec la précision que ce genre d’événements provoquent, du moment où, en déplacement en province, j’appris, en cette soirée du 13 novembre, ce qui se passait à Paris. De l’angoisse incontrôlable qui m’a submergé pour ne me quitter qu’au moment où j’eus la certitude que mes cinq rejetons étaient en sécurité, même si pour deux d’entre eux la providence fut généreuse. De tous les témoignages de cette épouvantable soirée, celui qui m’a le plus marqué, c’est celui de ce pompier, parmi les premiers arrivés sur les lieux et à découvrir le massacre, qui racontait en substance que le pire, c’était tous ces portables au milieu des corps qui sonnaient et déchiraient le silence.

Derrière chaque sonnerie, il y avait cette angoisse terrible qui frappe au ventre. Et qui pour tous ceux-là, s’est transformée à jamais en chagrin sans limite. Se faire prendre un enfant provoque la haine, ceux qui prétendent le contraire sont des menteurs. Parce que l’on est en présence de ce que l’on appelle un des universaux anthropologiques. De ceux que l’on retrouve dans toutes les sociétés organisées. Dans l’espèce humaine, comme dans beaucoup d’autres, les émotions deviennent des sentiments – Spinoza l’avait compris et le professeur Antonio Damasio nous l’a bien expliqué. L’émotion engendre la haine qui construit l’envie de vengeance. L’histoire, la littérature, le cinéma, toute la culture nous démontrent l’importance de ce concept et son rôle dans l’aventure humaine.

En dehors de la lecture du Comte de Monte-Cristo et de Mathias Sandorf, ou de la vision d’une collection de westerns, on peut se référer à des exemples récents et peu connus. L’ordre donné en 1940 par Winston Churchill, après les premiers raids de l’aviation allemande sur Londres, de bombarder Berlin. Ou, de la même façon, celui de Franklin Roosevelt qui fit bombarder Tokyo, après Pearl Harbour, dans une mission sacrifice où les cinq avions impliqués n’avaient pas assez de carburant pour retourner à leur base. Actions sans aucun intérêt stratégique ou tactique ordonnées par des chefs d’État qui n’étaient pas des tyrans assoiffés de sang, mais ayant valeur symbolique pour galvaniser les peuples en assouvissant ce besoin si humain de vengeance. Début 1945, l’Armée rouge découvrait en les libérant les camps d’extermination de Pologne. Avant d’en prendre le contrôle, ses troupes donnaient 24 heures aux survivants pour se venger sur leurs bourreaux.

Salaud de pauvre

Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas de revendiquer l’application systématique de la loi du talion. L’État s’est arrogé, et c’est tant mieux, la violence légitime, y compris en ce qu’elle porte et doit porter de vengeance. Nier que la justice pénale publique en application de « la théorie de la rétribution » a pris en charge une part de ce qui relevait auparavant de la vendetta dans la justice privée ne serait pas sérieux. La peine de mort n’a aucune valeur en matière d’exemplarité et de prévention du crime, cela n’est pas niable. Son abolition, progrès qui permet à l’État de ne pas s’avilir au niveau des assassins, se heurte pourtant à des résistances qui ont pour origine cette appétence pour la loi du talion. Le problème est aussi que cette abolition est un luxe de pays en paix. Et ceux qui, souvent après avoir approuvé l’agression américaine en Irak, viennent aujourd’hui donner des leçons à ce malheureux pays sur la façon de mener la guerre contre le djihadisme sont à la fois arrogants et irresponsables.

En matière de guerre imposée, aussi barbare que celle à laquelle nous sommes confrontés, la haine et l’envie de vengeance peuvent aussi être les conditions du combat. Après le massacre de sa fille, c’est celui-ci que Patrick Jardin a choisi. On peut penser que ce choix n’est pas le bon.

Mais personne n’a le droit de le clouer au pilori et de lui cracher ainsi au visage.

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