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2022, le prix Goncourt devient le prix Françoise Nyssen

Et le meilleur roman est attribué à la parité absolue


2022, le prix Goncourt devient le prix Françoise Nyssen
La ministre de la Culture Françoise Nyssen devant le restaurant Drouant à Paris, novembre 2017. SIPA. 00830898_000002

Et si le prix Goncourt était remis à la parité absolue ? Frédéric Rouvillois imagine son avenir… pas si lointain.


Mathieu, micro en main, carte de presse bien visible, arriva devant chez Drouant juste au moment où, dans la masse de ses collègues réunis pour recueillir les premières impressions du nouveau titulaire du prix, commençait à courir ce mot qui fait frétiller tout journaliste digne de ce nom : scandale.

Un scandale ! Au prix Françoise Nyssen ! Comme à l’époque heureusement révolue où il s’appelait encore le prix Goncourt ! Ça allait chauffer dans les salles de rédaction, swinguer sur les blogs littéraires à la mode !

Malgré #Metoo et Muriel Robin, les femmes toujours discriminées

Mathieu, en bon professionnel, listait déjà les éléments d’information qu’il devrait intégrer à son article. Rappeler aux lecteurs que Françoise Nyssen, ministre de la Culture durant le premier quinquennat Macron, avait, dès 2018, décidé d’imposer la parité au cinéma en subventionnant massivement les producteurs qui respectaient ce principe. Et déclaré hautement que lors des grands festivals cinématographiques, à Cannes, à Deauville, à La Rochelle et ailleurs, il n’y avait toujours pas le même nombre de réalisatrices que de réalisateurs à être sélectionné pour les prix, ce qui était objectivement scandaleux puisqu’il y a sur terre autant de femmes que d’hommes ! En vertu de ce raisonnement imparable, la ministre obligea, l’année suivante, tous les festivals français à respecter cette parité.

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Mais en 2022, après une pétition lancée par Muriel Robin et une centaine de réalisatrices de films d’auteures, Madame Nyssen dut reconnaître qu’elle n’était pas allée assez loin : l’expérience démontrait en effet, chiffres à l’appui, que la parité dans la sélection n’empêchait pas d’attribuer très majoritairement les prix aux mêmes qu’autrefois. Les femmes, en revanche, statistiquement aussi talentueuses que les hommes, continuaient de n’obtenir que la portion congrue, rarement plus de 30 %, tout juste de quoi éviter l’émeute. D’où la nécessité d’imposer la parité, non plus au seul niveau des sélections, mais à celui des prix eux-mêmes. Désormais, sous peine de sanctions financières prohibitives, il y aurait autant de femmes primées que d’hommes.

Liberté, parité, sororité

Pour montrer à quel point elle prenait au sérieux son admirable apostolat, Madame la ministre déclara qu’il en irait de même pour tous les prix culturels, y compris littéraires. Et joignant le geste à la parole, elle annonça que la maison d’édition familiale, qui par inadvertance n’avait présenté pour le Goncourt que des romanciers masculins, renonçait spontanément à y participer – le prestigieux prix littéraire ayant été attribué l’année précédente à un monsieur.

Une si noble déclaration, suivie de cette héroïque auto immolation à ses propres principes, ne put qu’être saluée par la presse, la classe politique et les milieux culturels. Le président de la République lui-même laissa fuiter, par les canaux habituels, qu’il en avait pleuré d’admiration entre les bras de Brigitte. Du coup, l’Académie Goncourt, à l’unanimité moins trois voix, décida de renoncer à son ancien nom – celui d’un épouvantable réactionnaire, misogyne, homophobe et amateur d’amours tarifées – pour adopter celui de Madame la ministre. Avec une discrétion et une pudeur qui l’honorent, celle-ci les laissa faire, avant de protester qu’elle ne le méritait pas.

En pratique, on décida que le prix Françoise Nyssen serait décerné alternativement à un homme et à une femme (ou l’inverse). Mais les choses ne s’arrêtèrent pas là.

Chacun son tour et les prix seront bien gardés

En 2024, l’action résolue et courageuse d’associations LGBT obligea les pouvoirs publics à ouvrir les yeux et à comprendre que le principe de parité exigeait d’inclure également les orientations sexuelles. Le CRAN, le CROUP et le MRAP ajoutèrent qu’il en allait de même pour la couleur de peau, et que les minorités visibles restaient, à ce jour, les grandes ignorées de la distribution des prix. Enfin, l’élégant Marc-Antoine Cerise, porte-parole des Jeunesses macroniennes, souligna que la domination sans vergogne des plus de cinquante ans dans ce domaine où s’étaient illustrés Rimbaud, Minou Drouet et  Alexandre Jardin,  était une véritable insulte à l’esprit. Madame Nyssen, en Bonaparte des affaires culturelles, réorganisa donc le système des prix en intégrant ces nouveaux paramètres. Un arrêté novateur en date du 24 décembre 2024 précisa que les prix culturels – et notamment le Nyssen – seraient décernés alternativement, suivant un algorithme conçu par le service informatique du ministère.

Ce qui fait que le blanc hétérosexuel de plus de cinquante ans (cat. 2), qui naguère raflait l’essentiel des prix, ne pourrait plus désormais être récompensé qu’une fois tous les douze ans, au même titre que les représentant-e-s des (douze) autres sous-groupes de la société. L’injustice, qui couvrait depuis toujours la littérature, les arts et la création de son voile funèbre, faisait enfin place à l’égalité des chances et des résultats ! Le jour se levait !

Trahison

Et voici que la règle juste, la norme égalitaire, si longtemps espérée, si tardivement conquise, se trouvait violée ? Mathieu se pencha vers l’un de ses confrères, qui tapotait sur son iPhone :

– « C’est quoi, cette histoire de scandale ? T’en sais un peu plus, toi ? »

– « Comme tout le monde ! T’as pas ton portable ? »

Mathieu, un peu honteux, avoua qu’il ne le trouvait pas, et qu’il l’avait probablement oublié au journal avant d’arriver sur place.

– « OK, Ok !  Tu te rappelles que cette année, c’est obligatoirement une homosexuelle issue des minorités visibles âgée de moins de 50 ans (cat. 11) qui doit obtenir le prix ? »

– « Euh, oui,  et alors ? »

– « Alors, c’est Kardiatou Durand qui a été élue, pour ce roman dont tout le monde parle depuis trois mois, De sang chaud… »

– « Et… donc ? »

– « Et donc voilà ! »

Le gros journaliste montra à Mathieu la photo qui tournait en boucle sur internet, celle d’une Kardiatou fort peu habillée embrassant à bouche-que-veux-tu un très médiatique député du Rassemblement national…

– « T’as pigé ? Elle a triché, cette s… ! Elle a berné le jury ! Elle les a roulés dans la farine : elle est pas vraiment lesbienne ! »

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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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