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Emmanuel Macron, le Michel Cymès de la politique

Dr Good et la pensée positive


Emmanuel Macron, le Michel Cymès de la politique
Emmanuel Macron et le "Dr Good" Michel Cymès. SIPA. AP21977727_000010 / ©D.R.

Au-delà de la politique, l’ascension fulgurante d’Emmanuel Macron correspond à un mouvement de fond de la société: la pensée positive et l’obsession portée au bien-être individuel. Comme Michel Cymès, dont le magazine Dr Good s’arrache en kiosque, Macron conjugue optimisme, culte de la réussite et promesse de jeunesse éternelle. Ce qui revient à accompagner la fin de la politique. Mais l’effet placebo pourrait cesser d’agir.


Dans le paysage morose de la presse française, un magazine connaît un succès spectaculaire : le bimensuel Dr Good. Son éditeur, Mondadori, le décrit comme un « magazine bien-être et santé, incarné [sic] par Michel Cymes qui partage toutes ses connaissances et ses conseils pour changer nos habitudes afin de rester en bonne santé. Expert, sans tabou et toujours positif ! » Difficile de ne pas faire le lien entre cet énorme succès dans le secteur sinistré des journaux et un autre phénomène quasi concomitant : l’ascension d’Emmanuel Macron. D’autant que l’on reconnaît dans ce discours quelques mots-clés du macronisme. On peut même oser une hypothèse : ce sont le même état d’esprit diffus et le même soubassement anthropologique qui expliquent le succès de Dr Good et l’élection de Macron.

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Dans les deux cas, les mots qui sautent aux yeux – et qui résument le projet – sont « positif » et « optimisme ». Michel Cymes en personne a livré à Célyne Baÿt-Darcourt, de France info, le secret de Dr Good : « Le ton est résolument optimiste […] et je souhaite que tout le monde sache qu’on peut changer son comportement par rapport à sa santé, par rapport à son corps en allant mieux. » Une partie de sa réussite réside sans doute dans le fait que Dr Good arrive à se libérer de l’assignation de la catégorie « magazine santé et bien-être » et même de la presse féminine.

« Les énergies positives sont la clé de tout »

Le phénomène est donc aussi large que profond : le courant central de la société française se focalise sur son corps et son bien-être physique et mental, y voyant le principal horizon de sa vie, la clé du bonheur. Le credo de cette croyance diffuse, mais de plus en plus répandue est un mélange d’adages comme « tu es ce que tu manges », « les choses n’arrivent pas par hasard » et surtout « les énergies positives sont la clé de tout ». Se cristallisent ainsi des idées issues des livres populaires de psychologie, de développement personnel, de management et de médecines alternatives (notamment indienne et chinoise), le tout repris par le discours médiatique des vingt dernières années sur l’environnement, l’industrie agroalimentaire et pharmaceutique, et l’alimentation.

A lire aussi: Elisabeth Lévy – Immigration, féminisme, écologie: le manuel de la bonne pensée

À ces éléments, il faut ajouter la déception généralisée à l’égard du politique, un sens critique devenu méfiance systémique et l’angoisse sourde d’une crise permanente. Ces facteurs ont engendré un repli sur soi qui a été favorisé et légitimé par l’attention portée au corps. Il y a sans doute un peu de vrai dans le discours du bien-être : nul besoin de lire un magazine, aussi excellent soit-il, pour savoir qu’une alimentation saine et du sport valent mieux que de la junk food devant des jeux vidéo. Le problème est, comme toujours, dans le dosage et les idées qui deviennent folles. On peut manger mieux sans être obsédé par les toxines accumulées dans le corps ou comprendre qu’il existe un lien entre le physique et le psychique sans pour autant tout expliquer par un psychologisme vulgarisé, la consommation excessive de gluten ou de produits laitiers.

Il suffit de le vouloir

Dans les principaux articles de foi de la pensée positive, il y a l’idée selon laquelle croire dans le succès est la clé de la réussite et la certitude subséquente que c’est le doute qui mène à l’échec. Si vous n’avez pas obtenu le poste que vous vouliez et qui vous revenait, ou même si vous avez un cancer, cherchez dans vos pensées et vous trouverez le coupable. Bien évidemment, ce que vous avez fait (qu’il s’agisse de la planète ou du corps), vous pouvez désormais le défaire. En pensant positif. En pensant à vous.

Les mots « bien-être » (auquel il faut toujours ajouter « individuel ») et « santé » cachent le sentiment que la mort est un scandale. Mais cet état d’esprit ouvre en même temps un nouvel et insoupçonnable espoir : on meurt parce qu’on n’entretient pas notre corps, parce qu’on néglige de nettoyer régulièrement notre tuyauterie, encrassée par la vie moderne (agroalimentaire, pesticides, engrais chimiques, pharmaceutique, pollution, ondes électromagnétiques), à l’aide de jeûnes et de jus de légumes verts. En somme, la solution est à portée de main. De même que nous luttons contre le réchauffement climatique pour empêcher (ou retarder) l’apocalypse, il suffit d’appliquer la même logique pour contrer cette apocalypse individuelle qu’est la mort.

Le macronisme est un narcissisme

Le même état d’esprit – penser printemps ! –, le même vent de positivité a soufflé sur la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron et constitue aujourd’hui le cœur du macronisme. Les nombreux Français qui ont été séduits parlaient de l’énergie du candidat et aussi de l’atmosphère positive qui émanaient de lui. Alors qu’ils s’inscrivaient à des stages détox et se souciaient de refaire leur flore intestinale, ils cherchaient, sans le formuler, un Dr Good de la politique. Et Macron, peut-être sans le savoir, a endossé le costume.

Sa campagne a mis en avant ce qui se dégage de lui – jeunesse, énergie, succès, approche positive –, présentant un « winner », un homme qui réussira surtout parce qu’il a déjà réussi, parce qu’il a toujours réussi. Le « programme » (qui, disons-le, n’engage que ceux qui y croient) est arrivé tardivement comme une sorte d’attribut nécessaire, mais sans véritable importance, une case qu’il fallait cocher pour faire taire les critiques. La suite, après la victoire, a été dans la même veine : performative. Qu’il s’agisse de la prétendue « nouvelle façon de faire de la politique » avec la loi sur la moralisation de la vie politique ou de son parti prétendument pas comme les autres, c’est la même manière habile: cela existe puisque je le dis ; c’est nouveau puisque je l’affirme ; c’est révolutionnaire parce que c’est moi. Bruno Retailleau a touché juste : le macronisme est un narcissisme.

Jusqu’ici tout va bien…

Idem pour les réformes. Depuis des années, on réforme à tout-va : entreprises publiques, droit du travail, retraites, fiscalité, école et universités, bref de nombreux pans de notre prétendu « modèle social ». Au vu de leurs résultats (croissance faible, chômage élevé et sentiment répandu de dégradation des services publics et de leur qualité en général), ces politiques ont été bien trop timides. Celles de Macron ne sont ni plus audacieuses ni plus profondes, mais ont en revanche été célébrées et revendiquées comme s’il s’agissait de révolutions. L’effet « feel good », moteur du placebo et de l’homéopathie macroniens, est supposé faire la différence. Et cela a eu une certaine efficacité, car beaucoup de Français sont réceptifs à cet effet de suggestion. En revanche, le charme sur le mode « endors-toi » ne semble guère fonctionner avec Angela Merkel. Le grand dessein européen d’Emmanuel Macron, et l’espoir de faire fléchir l’Allemagne (et les pays du groupe de Visegrad), connaît pour le moment le même triste destin que le « vous-allez-voir-ce-que-vous-allez-voir » de François Hollande en 2012.

Cette façon de penser et de vivre est la quintessence du moment historique que nous vivons, mais elle n’est pas l’apanage d’une génération particulière. Des baby-boomers comme certains de leurs petits-enfants partagent ce corpus diffus. Experts, positifs, optimistes, à la santé éclatante et à l’énergie débordante, le Dr Good de l’Élysée comme celui des kiosques incarnent l’un et l’autre cette nouvelle jeunesse sans âge ; état perpétuel de l’être humain plutôt qu’étape au cours de la vie. Cette nouvelle croyance accompagne la sortie de la politique dont elle est à la fois une cause et un effet, car le souci du bien-être se substitue petit à petit à celui du bien commun.

À l’ère du bien-être, on dit que l’intestin est notre deuxième cerveau, et qu’il serait notamment coresponsable de nos émotions et de nos humeurs. Il semble en tout cas que l’homme du XXIe siècle soit fortement tenté de déléguer la conduite de sa vie à ce deuxième cerveau, plutôt qu’à son aîné, capable certes de grandes choses, mais aussi des pires errements et notamment des tendances suicidaires qui nous font préférer une tête de veau à une minute de vie gagnée. Ainsi, ce qu’on appelait « politique » dans le vieux monde et qui fut longtemps l’apanage de notre premier cerveau relève aujourd’hui du deuxième. Dans ce cas, on pourrait dire que le secret de la réussite d’Emmanuel Macron tient au fait qu’il a été le premier responsable politique à s’adresser à l’intestin des Français.

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Septembre 2018 - Causeur #60

Article extrait du Magazine Causeur




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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