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Yuka, l’appli qui vous dit quoi manger

Et tant pis si ça ne vous plaît pas !


Yuka, l’appli qui vous dit quoi manger
©Capture d'écran Youtube / BFM TV

Cinq fruits et légumes par jour ? Oui, mais ça c’est si Yuka veut. Yuka, c’est la nouvelle application vous fait scanner tous les produits au supermarché pour vous conseiller quoi manger. Eh oui, parce qu’avant, vous ne saviez pas…


Les supermarchés ont facilité la recherche des denrées alimentaires nécessaires à la survie de l’homme moderne. Viandes, poissons, épicerie ou liqueurs y sont désormais regroupés, le tout soigneusement ordonné par rayons. Toutefois, les médailles ont leurs revers : cuisine française en désuétude, disparition du petit commerce et oubli des pratiques ancestrales de chasseur-cueilleur, pour ne citer que trois effets pervers.

Il est possible de nous acquitter en 10 minutes montre en main de la corvée hebdomadaire du supermarché. Choisissez ingénieusement les heures creuses, cela diminuera le nombre de vos congénères se disputant les faveurs des caissières. Par ailleurs, on achète toujours les mêmes produits, non ? J’ai beau personnellement me persuader que je devrais tenter des nouveautés, j’y échoue lamentablement, le plus souvent. Pas le temps de « niaiser » entre deux étals ! Cette monotone répétition d’achats similaires, c’est minant… N’est-il pas conseillé de diversifier son alimentation contre le cancer ?

Yuka faut qu’on

Depuis un petit moment déjà, la « Première édition » de BFM TV propose des reportages positifs entre deux catastrophes. Une pause « Doctor Good » bienvenue dans le flot incessant des drames de l’actualité (rentrée scolaire, « remaniement gouvernemental » monstrueux de deux ministres, alertes aux effrayants orages, etc.). L’autre matin, alors que je ne regardais l’écran que d’un œil distrait, BFM TV a eu toute mon attention avec son sujet consacré à Yuka. Une application. LA solution pour une nouvelle alimentation ?

Le principe de Yuka : scanner n’importe quel article de grande consommation avec son téléphone pendant la galère des courses, et se voir proposer un audit complet et indépendant dudit produit. Une note scientifique est attribuée : qualité nutritionnelle (70% de la note), additifs (30%) et « dimension biologique » (10%). Trop de sucre dans ce produit-là, prenez celui de la marque « Bidule ». Ce ne sont que des recommandations, bien sûr. Du moins pour le moment…

« Marie scanne tous les produits qu’elle compte acheter »

« Je passais un temps fou à analyser les étiquettes, maintenant je suis sauvée », témoigne Camille, une utilisatrice très reconnaissante, dans les « avis des consommateurs » triés sur le volet par le site de l’appli. « Vraiment super ! », abonde une autre, au même endroit, après avoir affirmé que Yuka avait une « utilité sans précédent ». Sur les étiquettes, c’est écrit tout petit petit. Les craintes de se faire empoisonner par ces salauds de l’agroalimentaire appelaient le développement de cette application salutaire. Les craintes des ménagères sont parfois excessives, alors si Yuka les remet dans le droit chemin, tant mieux. Fini complotisme de bas étage, monstrueux Nutella détruisant la forêt amazonienne, opaque Coca rouge contenant soi-disant du sucre, etc.

Devant ce nouveau phénomène anthropologique, BFM TV avait dépêché ses fins limiers dans le Franprix du coin pour le « décrypter ». Ils font la connaissance de Marie, une scanneuse compulsive. Ils suivent notre héroïne moderne dans ses pérégrinations : « Armée de son portable, Marie scanne tous les produits qu’elle compte acheter. »

Trop de ci, trop de sel

Ces immondes biscuits Björg compacts et peu gourmands ne peuvent quand même pas nuire à Marie, si ? Erreur : trop sucrés, trop gras, patatras ! Les croyances de Marie en prennent un coup. « C’est un produit que je prenais assez souvent avant, en me disant que c’était meilleur que des gâteaux un peu trop sucrés », regrette-t-elle avant de repousser le paquet. Le danger est écarté, merci Yuka. Des gâteaux sucrés, quelle drôle d’idée… Pour votre cholestérol, et pour vous rapprocher de la vie éternelle (avec votre smartphone greffé dans la main droite), on vous conseille dorénavant de les éviter.

Marie continue de parader fièrement dans les rayons. Elle passe devant les malheureux bâtonnets de poisson sous plastique… Tremblez petits surimis : trop de sel dans votre composition, Marie vous abandonnera. Ne voyez surtout pas dans ce nouveau comportement une aliénation, c’est apparemment follement ludique. BFMTV se félicite ainsi que Yuka « a[it] changé [la] manière de consommer » de notre scout de Franprix.

25 scans par seconde, et moi et moi et moi…

Dans ce contexte inédit de pleurnicherie généralisée, où le moindre yaourt nous effraie, l’algorithme délateur de gras – et bientôt de tout ce que les aliments pouvaient avoir de réconfortant – connait un succès florissant. Dans son dossier de presse, la boîte revendique pas moins de 4,5 millions d’utilisateurs et 25 scans par seconde (et les dossiers de presse des startups n’ont, bien sûr, pas pour habitude de gonfler leurs chiffres).

BFM TV se rend donc dans les bureaux de Julie Chapon, la fondatrice/citoyenne qui en connait un rayon sur les pièges des compotes les plus sournoises : «  Avant, on ne se posait jamais la question de ce qu’il y avait dans les produits. On faisait confiance. Maintenant, on se méfie. » Le citoyen reprend le pouvoir, ça fait plaisir. « Il y a vraiment cette tendance de retourner vers des choses plus simples, brutes et naturelles. » Mitrailler façon Gilles de la Tourette tous les codes-barres de cochonneries Leclerc, c’est donc un retour aux sources. Il rappellera aussi aux anciens la cueillette des framboises et des mûres dans nos vertes campagnes.

Yuka, de la gamelle à la gabelle

Avec ses « recommandations » de produits, il aurait été intéressant que le reportage pose des questions sur le fameux algorithme de notre appli de rééducation pour surgelés. Pourrait-elle n’être qu’un vulgaire mandataire payé par les marques, un courtier rabatteur pour fabriques de yaourts 0% et autre chicorée bio ? Sur le site, ils certifient que non. C’est une application « engagée », rien de plus, je vois le mal partout.

Sus à l’altérité alimentaire, citoyens ! C’est de la transparence et du liquide qu’il nous faut. Le succès des effroyables recettes en bouteille Feed en atteste. Le pain, lui, contient toujours trop de sel alors que les boulangers s’étaient engagés à réduire la dose. Que font les pouvoirs publics ? Impossible d’accoler le « Nutriscore » sur la baguette de pain, concoctons d’urgence une petite taxe sur le sel.

Nos boulangers, Findus, Danone ou Panzani, ces « salopards » d’industriels qui élaborent les 250 000 produits référencés par Yuka sont priés de revoir leurs recettes fissa. L’observateur contemporain lucide aura compris que les industriels de la malbouffe ne sont que des « salopards utiles » pour tout une population qui, depuis des décennies, sait de moins en moins comment cuisiner. Là est peut-être le seul scandale. Mais transparence, science et technologie sont venues à moi : je scanne désormais à tout va. Pousseur de caddie de mon temps ivre de progrès… ou esclave d’une infantilisante et étouffante modernité ? Je vais demander à Yuka…



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Rédacteur en chef du site Causeur.fr

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