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Renaud Camus, inventaire avant reconstruction


Renaud Camus, Autoportrait sur fond bleu, avril 2010
Renaud Camus, Autoportrait sur fond bleu, avril 2010.

Renaud Camus s’est souvent plaint − et à juste titre − que la critique, quand il lui arrivait de rendre compte de ses livres, fasse comme si ceux-ci ne s’inscrivaient pas dans un ensemble plus vaste, cohérent et visant à l’édification d’une manière de texte unique qui pourrait dire la totalité du monde, sa beauté et sa fragilité. Pour ma part, j’ai découvert Renaud Camus avec Roman Roi et, depuis, je n’ai jamais vraiment quitté la Caronie ni les abords du lac de Caresse. Son journal intime m’a accompagné depuis le début des années 1990 et m’a appris à fendre l’air, à goûter l’esprit des terrasses, à regarder un tableau, à comprendre qu’un certain fétichisme est une des formes les plus élaborées de l’amour de l’art, des villes et des corps.

Avec lui, je me suis désolé d’une vraie décadence dans les mœurs, la langue, les paysages. L’idéologie du « sympa » m’a écœuré comme l’odeur des mandarines du voisin de TGV. Je tiens, par exemple, L’Éloge moral du paraître pour un vade-mecum indispensable à l’honnête homme égaré dans un XXIe siècle uniformisé par l’idéologie petite-bourgeoise[1. « La dictature de la petite bourgeoisie », entretien avec Marc du Saune, (Privat).] qui a imprégné toutes les couches de la société depuis trente ou quarante ans, chassant ce qui faisait le charme du monde ancien. Et comme Renaud Camus, je me sens étranger à ce monde où une xénophilie de galerie marchande et la triste figure universelle du touriste ont remplacé le cosmopolitisme heureux du voyageur.[access capability= »lire_inedits »]

Et puis, insensiblement, les choses ont changé. Il y a eu une forme de raideur de plus en plus prononcée chez Renaud Camus ; il est devenu progressivement l’archétype du réactionnaire, « tendance Noël Roquevert » comme il aime plaisamment à le dire lui-même, du nom de ce second rôle des grandes heures du cinéma français qui incarnait toujours des atrabilaires cambrés.
Est-ce l’ampleur du désastre en cours, sa montée en puissance manifeste, qui lui a donné le désir de devenir un écrivain engagé ? Parce que, finalement, c’est ce qu’il devient, Renaud Camus : un écrivain engagé… J’ai du mal à ne pas croire que le Renaud Camus bathmologue, celui qui aimait Barthes et écrivait le Journal de Travers, dans les années 1970, ne verrait pas avec une certaine circonspection le Renaud Camus des années 2010, fondateur du parti de l’In-nocence et candidat putatif à l’élection présidentielle de 2012. Depuis cette reconversion, Renaud Camus publie, de fait, des livres politiques dont les deux derniers, Le Grand Remplacement et Décivilisation témoignent de sa pensée radicalement pessimiste, pour ne pas dire pré-apocalyptique.

La méditation élégiaque sur une France qui s’en allait est devenue une imprécation sur les responsables supposés de cet état de fait : l’École, principal agent de la déculturation[2. La Grande déculturation (Fayard).] et l’immigration, pour l’essentiel musulmane. Ce dernier point est la thèse du Grand Remplacement qui rassemble de véritables textes de combat, prononcés aussi bien lors de colloques à l’Assemblée nationale que lors des Assises sur l’islamisation, organisées à Paris en 2010, qui ont suscité les polémiques que l’on sait.

Le premier réflexe de l’amoureux de l’œuvre de Renaud Camus que je suis a été de penser : « Qu’allait-il faire en cette galère ? » ; le second, de le lire et de le relire. Évidemment, le mélange de culture, d’élégance, de sens de la nuance, le déroulé impeccable des périodes rhétoriques où la protase, malgré tant de détours, trouve toujours son apodose, sont toujours là. C’est le propre des vrais écrivains : ce qu’ils écrivent peut être l’exact envers de ce que vous pensez, lisez ou écoutez, les chants désespérés sont les chants les plus beaux.

Et pourtant, décidément, je ne suis pas convaincu par cette thèse du Grand Remplacement que l’écrivain formule ainsi: « Vous avez un peuple et presque d’un seul coup, en une génération, vous avez un seul ou plusieurs autres peuples. » Ou alors, si j’admets que, par certains aspects, cette description n’est pas totalement fausse, je ne l’impute pas uniquement à une invasion allogène.

Ce n’est pas l’immigration qui, en trente ans à peine, a bouleversé les conditions de vie des Français comme elles ne l’avaient jamais été depuis des siècles ; ce n’est pas l’immigration qui a engendré la conjugaison du progrès technologique et d’un enlaidissement systématique du monde ; ce n’est pas l’immigration qui a voulu un enseignement de masse sans jamais s’en donner les moyens, détruit par le consumérisme les vieux liens familiaux et sociaux et transformé une génération d’enfants, toutes ethnies confondues, en cyber-autistes égarés dans le virtuel.

Autrefois, Renaud Camus ne disait pas autre chose et cela transparaît encore un peu dans le bel essai Décivilisation qui, en reprenant des concepts forgés par l’auteur dans ses précédents livres, constitue une introduction idéale pour qui prétend comprendre un phénomène difficile à percevoir autrement que comme une régression − manifeste dans nos façons de parler, de partager un repas, de regarder un monument ou d’éduquer les enfants.

Pour autant, j’ai du mal à le suivre quand il attribue cette décivilisation à une cause unique qui serait le tropisme égalitaire généralisé du monde contemporain : « Je n’ai jamais bien compris comment l’égalité pouvait bien être compatible avec la morale », écrit-il notamment. Je pense au contraire qu’il n’est pas de morale qui ne se fonde pas sur l’égalité et qu’un régime politique se doit plutôt de corriger les inégalités naturelles que de les pérenniser.

De ces divergences, on pourrait conclure que Renaud Camus est pour moi, non pas un ennemi évidemment, mais un adversaire idéologique. Sauf que, j’en ai la conviction intime, le monde de Renaud Camus, c’est le mien. Comme il l’a fait dans Du Sens, chacun de nous doit pouvoir reconsidérer ses hypothèses, les examiner sous des angles différents, les confronter. Bref, il nous faut penser contre nous-mêmes, sachant que ni la névrose obsidionale − qui pourrait le menacer − ni la naïveté progressiste − qui peut être la mienne − ne feront avancer les choses sur la question qui nous occupe pareillement de l’identité de la France.

Et puisqu’on parle de la France, notre cher et vieux pays, qu’on me permette de conclure par cette magnifique définition du Français que Camus donne dans Etc…, son abécédaire intime : « Français par les Trois Mousquetaires, par Robert de Saint-Loup, par Jeannot Lapin et par sa cour à la rosée. Français par le mot « mort », par le mot « paysage », par tous les mots en « age ». »
Français, oui, cher Renaud, par tous les mots que vous voulez − « beauté », « cathédrale », « politesse », « espoir » −, tous, sauf un : jamais nous ne serons français par le mot « peur ».[/access]

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Le Grand Remplacement (Denis Reinharc éditeur).
Décivilisation (Fayard).

Janvier 2012 . N°43

Article extrait du Magazine Causeur



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