Largement considérés comme des militants néo-nazis, à cause de leur opposition frontale à la politique migratoire d’Angela Merkel, les habitants de Chemnitz ou Dresde en Allemagne sont en fait très ouverts au dialogue. Mais pour s’en apercevoir, encore faut-il chercher à les connaître…
Outre-Rhin, pour la plupart des médias, la quasi-totalité du gouvernement – à l’exception notable d’un ministre – et les partis de gauche, l’affaire est entendue : les manifestants anti-migrants de Chemnitz sont nazis. Rien n’est plus faux. Je connais Chemnitz pour y avoir formé la police l’an dernier ainsi que Dresde, à 75 kilomètres de là, où j’ai animé de nombreux groupes de dialogue entre adversaires et partisans de l’ouverture à l’immigration voulue par Angela Merkel.
J’y ai appliqué la méthode de thérapie sociale que j’ai créée il y a plus de vingt ans et pratiquée dans de nombreux contextes à travers le monde. Une méthode de dialogue qui ne consiste pas à pacifier les conflits entre personnes aux normes et aux valeurs différentes mais à leur permettre d’émerger pour résoudre les problèmes des communautés. Le résultat final de ce travail, c’est la reconnaissance par tous de la réalité dans sa complexité.
Les anti-migrants sont pro-dialogue
Or, à Dresde, la crise des réfugiés a beaucoup agité l’opinion, au point de provoquer de nombreuses manifestations, dont celles de Pegida tous les lundis. Je m’y suis rendu à la demande du maire et de l’association « Dresden für alle » (Dresde pour tous) pour aider les habitants de la ville qui avaient des opinions opposées à partager leurs expériences et à surmonter les conflits qui les opposaient.
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Première entorse aux idées reçues, les adversaires de la politique gouvernementale, y compris des membres de Pegida souhaitaient ce dialogue que refusaient les mouvements dits antiracistes. Ces derniers ont même envoyé des lettres de dénonciation à la mairie et à l’université parce que j’avais invité à ces rencontres des adhérents de Pegida ! A Dresde comme à Chemnitz, les militants de Pegida ne sont pas des nazis mais des citoyens allemands qui clament que les lois ne sont pas respectées et que la presse ment au sujet des exactions commises par des migrants. Des petits groupes de néo-nazis se sont, certes, joints à ces manifestations mais ils ont été très minoritaires et souvent écartés. D’ailleurs, nul ne sait de façon certaine si ce sont vraiment ces groupes qui ont attaqué le restaurant juif de Chemnitz.
Du côté de Pegida, des thèmes reviennent sans cesse : « Il n’y a pas d’argent ni de logements pour les pauvres de chez nous, alors qu’on en trouve toujours pour les migrants » ; « la presse nous ment sur la réalité des délits commis par ces migrants comme elle a tenté de la faire lors des événements de Cologne le soir du nouvel an 2016 » ; « on ne peut parler de la réalité qu’on voit ou qu’on vit même, sans être accusés d’être des nazis et des xénophobes ».
Une nouvelle lutte des classes
Force est de constater l’insuffisance du contre-discours qui leur est opposé. On évoque l’humanisme et la tolérance, expliquant que les flux migratoires ne sont pas si importants et on accuse Pegida d’entretenir la xénophobie des allemands de l’est et ainsi d’empêcher une bonne intégration de ces malheureux qui fuient la guerre ou la misère.
En fait, nous assistons dans toute l’Allemagne à une nouvelle forme de lutte des classes. D’un côté, des personnes appartenant à des milieux protégés séduits par l’exotisme du multiculturalisme et qui n’ont rien à perdre. De l’autre, des masses de travailleurs en chute sociale s’inquiètent d’un avenir qui leur échappe, sans perspective d’amélioration de leur sort, et ont tout à perdre dans cette globalisation qui leur arrache leur travail et aussi l’identité collective qui faisait, peu ou prou, leur fierté. Cette opposition recoupe en partie la division Est/Ouest du pays.
A l’Ouest, plusieurs générations allemandes ont vécu après-coup le traumatisme de l’anéantissement des juifs d’Europe et ne veulent plus connaître de différences entre les êtres humains. Les Allemands qui font partie des classes éduquées poursuivent un rêve d’amour universel, un rêve d’un monde qui ne connaîtrait plus le racisme et la guerre. Ils plaquent sur la réalité d’aujourd’hui cette utopie d’une humanité réconciliée, unie et identique. Ce refus de voir les différences et les hiérarchies entre les êtres humains et leurs cultures est une réaction parfaitement compréhensible à un passé douloureux mais aboutit à un déni de réalité. La jeunesse allemande, instruite et pacifiste, établit une équivalence entre clandestins et habitants légaux d’un pays, entre les genres, entre les sexualités, entre les générations, entre les cultures et les civilisations.
Ceux qui s’opposent à ces indistinctions, qui veulent que les frontières et les nations subsistent, ceux qui ouvertement déclarent que les cultures n’ont pas une valeur égale, que le voile, la polygamie, les mutilations sexuelles n’ont pas droit de cité sont dénoncés comme des fascistes, des racistes, des héritiers du nazisme. Alors que l’Allemagne de l’Ouest a été dénazifiée depuis 1945, l’ex-RDA s’est considérée comme victime et ne se reconnait pas ou peu dans cette culpabilité et cette repentance collectives. Cela explique pourquoi les protestations sont plus nombreuses à l’Est qu’à l’Ouest.
La France, une autre Allemagne
En réalité, les problèmes de fond sont identiques et la colère gronde aussi souterrainement à l’Ouest contre le manque d’intégration des Turcs et des Arabes de deuxième ou troisième génération.
Dans les ateliers que j’ai animés à Dresde, après moult hésitations et atermoiements de la part des membres d’organisations antiracistes, la réalité de l’extrême difficulté de l’accueil des migrants s’est imposée comme un constat partagé de tous. Alors que le premier mouvement avait été de refuser absolument tout dialogue avec les militants de Pegida, peu à peu, au fil des rencontres, se fit jour la possibilité, pour ne pas dire la nécessité, de réfléchir ensemble, sans tabous, à cet immense problème auquel font face désormais l’Europe et l’Allemagne en particulier.
Tout ce que j’ai vu à Chemnitz et à Dresde est transposable à la France d’aujourd’hui. Le dialogue conflictuel est indispensable. L’absence de conflit méthodique, l’absence de rencontre entre des citoyens d’origine, d’idéologies opposées, l’omniprésence d’une censure et d’une autocensure implacables, tout cela constitue un terreau fertile pour la propagande qui sépare encore davantage les hommes et les femmes, les groupes, les communautés. Comme le dit « l’immonde » Frauke Petry qui fut le porte-parole du parti AFD, auquel il est reproché de surfer sur des peurs non justifiées et d’attiser la haine contre les étrangers : « La haine est le résultat de l’interdit du dialogue dans notre société. »
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