Candidat des Verts à l’élection présidentielle de 1988, Antoine Waechter préside aujourd’hui le Mouvement écologiste indépendant. La démission de Nicolas Hulot du ministère de l’Environnement est pour lui le signe de l’impasse dans laquelle se trouve l’écologie politique. Entretien.
Lucien Ehrard. En tant que militant écologiste historique, que vous inspire la récente démission de Nicolas Hulot du ministère de l’Environnement ?
Antoine Waechter. Cette démission était prévisible. Nicolas Hulot n’ajoutera pas son nom à la courte liste des ministres qui ont eu de l’influence, mais à celle tout aussi courte de ceux qui ont osé démissionner sur un fond de désaccord. S’il faut reconnaître à Hulot sa sincérité et son éthique, il a malheureusement abordé ce ministère sans expérience politique et avec naïveté. La chasse n’a été que la goutte d’eau qui a précipité sa démission. Dès le mois de juin, lorsqu’il a dit qu’il donnerait le calendrier de fermeture des centrales nucléaires, je me suis dit qu’il allait au casse-pipe. Un petit prince ne peut pas survivre dans un marigot à crocodiles. Les ministres n’ont aucun pouvoir ! Chaque citoyen devrait avoir vu le film L’Exercice de l’État pour ne plus avoir envie d’être ministre. Pour avoir rencontré tous ceux en charge de l’Environnement depuis la création de ce ministère en 1971, je sais qu’ils se heurtent à la même impuissance.
Pour le coup, le nouveau ministre de l’Environnement François de Rugy présente un profil bien plus politique, fruit de sa longue carrière militante, notamment à Génération écologie puis chez les Verts. Lui prédisez-vous une plus grande influence au sein du gouvernement ?
François de Rugy est un spécialiste du slalom partisan, un sport dans lequel il faut se garder d’affirmer des convictions. Il avait créé une petite formation (Ndlr : l’Union des démocrates et des écologistes) avec Jean-Vincent Placé, un autre exemple de carriérisme assumé, qu’il a quitté pour rejoindre LREM. Coutumier des variations de posture, Rugy a régulièrement trouvé l’endroit qui sert sa carrière sans jamais se poser la question de la réalité du pouvoir. Aussi, je pense qu’il ne fera rien comme ministre. Le ministère de l’Environnement va probablement entrer en léthargie au cours des prochaines années. De tous les ministres de l’Environnement qui se sont succédé, seuls deux ont eu une véritable influence, pour l’essentiel due à une situation favorable et à un peu d’entregent.
Lesquels ?
Brice Lalonde et Jean-Louis Borloo. A partir de 1988, alors que les Verts que j’animais ne cessaient de progresser électoralement, Mitterrand avait confié à Lalonde le soin de contrecarrer notre ascension et lui a donné toute latitude. De nombreux textes ont été adoptés et occupent une bonne place dans le Code de l’environnement. Borloo a bénéficié de la Charte pour l’environnement que Nicolas Hulot avait fait signer à tous les candidats à l’élection présidentielle. Respectant l’engagement pris, Nicolas Sarkozy (2007-2012) a fait du ministre de l’Environnement un vice-Premier ministre.
Seuls les bilans de Lalonde et Borloo trouvent donc grâce à vos yeux. Aujourd’hui, quels défis devrait prioritairement relever le ministre de l’Environnement ?
La dérive du climat est un des principaux défis auxquels l’humanité doit faire face et cette question nous interroge sur notre niveau de consommation et notre modèle socio-économique fondé sur la croissance. Nous émettons davantage de gaz à effet de serre que ce que les cycles géochimiques sont capables d’absorber : nous atteignons ainsi les limites de la planète. Un autre aspect, tabou dans toutes les formations politiques, doit nous mobiliser : la démographie. L’impact de l’humanité sur la Terre est mesuré par le nombre de consommateurs multiplié par la consommation du terrien moyen. Or, les deux termes de cette équation progressent rapidement. Pour stabiliser cet impact humain, la consommation du terrien moyen devrait diminuer proportionnellement à l’accroissement du nombre de consommateurs.
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Ce n’est évidemment pas ce qui se produit. L’augmentation du niveau de vie, notamment en Chine et en Inde, se traduit par un alignement des modes de consommation sur celui de l’Europe ou des Etats-Unis. Or, nous n’avons aucune légitimité pour refuser à qui que ce soit de nous imiter. La France pourrait prendre l’initiative d’une conférence mondiale sur la population afin d’envisager des réponses collectives à cette question cruciale et difficile. Lorsque le président Macron parle de transition écologique, il pense transition énergétique et notamment investissement dans les énergies renouvelables, en oubliant l’impérieuse nécessité de réduire notre consommation d’électricité et de pétrole. Par exemple, limitons les déplacements imposés entre l’habitat et le lieu de travail ou les commerces : les zones d’activité ne doivent plus être installées à côté des échangeurs routiers mais à côté des gares, comme il faut mettre un terme au développement des grandes surfaces commerciales à la périphéries des villes pour permettre le redéploiement des commerces au centre.
Depuis quelques années, une autre grande cause progresse fortement dans la société, notamment sous l’impulsion de L214 : la protection animale. Comme certains groupes écologistes radicaux qui attaquent des boucheries, êtes-vous opposé à toute consommation de viande ?
Cette question relève du choix personnel : ce n’est pas aux pouvoirs publics de dicter le menu des gens. Le Mouvement écologiste indépendant est sans doute la formation politique qui prend le plus en compte la protection animale, mais sans tomber dans le radicalisme. Nos partenaires animalistes ont des positions raisonnables. Le respect de l’animal est une question éthique qui relève de la responsabilité morale de l’espèce humaine. C’est en assumant cette responsabilité morale que l’homme affirme sa différence avec l’animal. Cependant, l’action des véganistes extrêmes me semble être une impasse. Ne serait-ce que parce que je ne sais pas comment gérer l’espace agricole sans animaux d’élevage. Faute de bovins pour valoriser les herbages, nous n’aurions plus de prairies et de pâturages. La disparition des herbages au bénéfice notamment du maïs est aujourd’hui la principale cause de l’effondrement de la biodiversité dans notre pays.
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Que faire pour améliorer la condition animale sans renoncer à manger de la viande ?
Mon père était boucher. Ce qui ne l’empêchait pas d’aimer les animaux : ses poules et ses canards donnaient des œufs et ne finissaient jamais à la casserole. Il faisait attention au bien-être animal dans l’exercice de son métier. C’est dans ce même esprit qu’agissent aujourd’hui les éleveurs bio. L’accent doit être mis sur l’amélioration des conditions d’élevage et le respect scrupuleux des pratiques de mise à mort en abattoir, sans souffrance et sans angoisse. La baisse de la consommation de viande est, par ailleurs, nécessaire pour pouvoir nourrir correctement 8 milliards de Terriens. L’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) nous dit que pour assurer la sécurité d’approvisionnement alimentaire demain, nous devons adopter le régime des Mexicains des années 90 : c’est-à-dire un régime essentiellement végétarien avec guère plus de deux ou trois fois de la viande par semaine.
Prenons un peu de recul. Aujourd’hui, Europe-Ecologie les Verts est marginalisé, LREM a phagocyté des personnalités comme Barbara Pompili ou François de Rugy, votre parti le Mouvement écologiste indépendant peine à exister à l’échelle nationale. Face à un paysage politique aussi désolé, regrettez-vous d’avoir quitté les Verts en 1994 ?
Non. Je défends depuis l’origine de l’écologie politique une identité de pensée (l’écologisme) qui ne cherche pas ses références à Gauche ou à Droite. En l’absence de soutien médiatique, il m’a été très difficile de défendre une conception et une posture politique aussi distante du socialisme que du libéralisme (cf. mon livre Le sens de l’écologie politique). Chez les Verts, la tendance d’Yves Cochet, Dominique Voynet et Jean-Luc Bennahmias, favorable à une association avec le Parti socialiste et l’extrême gauche, mise en minorité en 1986, a cherché à reprendre la majorité par tous les moyens pour entrer dans les sphères du pouvoir. Lorsque Fabius et Bartolone m’ont proposé de devenir ministre de l’Environnement et de l’aménagement du territoire en 1992, j’ai soumis cette proposition à la délibération démocratique du parti, qui l’a rejetée : Voynet et les autres avaient déjà négocié en sous-main leur ralliement à Jospin ! En 1993, alors que j’étais à la tête des Verts depuis 6 ans, le parti a obtenu sans le concours de qui que ce soit le meilleur résultat de son histoire aux élections législatives. Par la suite, ce n’est qu’en s’alliant au PS – autrement dit, en renonçant à leur indépendance – que les Verts ont fait mieux. J’ai quitté le parti en septembre 1994 parce que l’ambiance y était telle qu’il était devenu impossible d’y travailler. Ce fut une décision collective qui impliqua près de 40% des adhérents. Nos adversaires internes, dans une logique léniniste, engageaient des procédures d’exclusion de ceux qui n’étaient pas d’accord avec eux. Il m’avait même été proposé de l’argent pour quitter le parti !
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