En Suisse, une rue va être renommée. L’homme qui lui donnait son nom, Louis Agassiz, a commis un péché capital: être un homme de son temps…
Même dans la paisible ville de Neuchâtel, en Suisse, souffle le vent mauvais du conformisme et du révisionnisme. Ainsi, une des rues menant à l’Université, la rue Louis Agassiz, sera débaptisée et on y rendra hommage à Madame Tilo Frey qui siégea au Conseil national et dont le principal mérite est d’avoir été une « femme de couleur », comme disent les Helvètes.
Ère glaciaire
Cette affaire ubuesque est un signe parmi d’autres de l’esprit du temps qui mérite que l’on s’y attarde. Et que l’on rappelle à ceux qui ne sont pas familiers des sciences naturelles qui était Louis Agassiz, né en 1807 et décédé en 1873. Ce savant neuchâtelois de renom international – il y a même un cratère sur la lune qui porte son nom – a acquis une réputation mondiale par sa théorie glaciaire permettant d’établir l’existence d’un âge glaciaire préhistorique, prolongeant ainsi la théorie des catastrophes de Cuvier.
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Reconnu pour son génie, il enseigna à Harvard où il créa un musée de zoologie comparative, le premier musée scientifique du monde. Sa célébrité le hissa au niveau de Darwin. Il était par ailleurs féministe et fortement engagé dans la défense de l’instruction des femmes.
Être un homme de son temps, c’est pas si facile
Que lui reproche-t-on alors aujourd’hui ? Le plus abominable des crimes : avoir soutenu, comme presque tous les anthropologues de son époque, que la race noire est inférieure à la race blanche. Farouchement hostile à l’esclavage et aux mauvais traitements des noirs, il recommanda aux États du Sud une forme de ségrégationnisme dans le but d’éviter une contamination réciproque des races blanche et noire, politique qui s’imposera après la guerre de Sécession. Du coup, deux siècles plus tard, Louis Agassiz entre dans la catégorie des « maudits ». Et, comme le sens de l’histoire s’est à peu près perdu, les édiles neuchâteloises ont décidé à leur modeste échelle, et sans subir la moindre pression, « de prendre le contrepied de l’intolérance, de la xénophobie et du racisme ».
Quelques esprits libres ont bien tenté de rappeler qu’on se méprend en jugeant le passé à l’aune de nos critères actuels, mais en pure perte. L’anachronisme a encore de beaux jours devant lui. Pourquoi ne pas brûler les copies du chef d’œuvre de Griffith : Naissance d’une nation qui fait l’éloge du Ku Klux Klan ? Voire, à un niveau plus modeste, débaptiser l’avenue Tissot où j’ai passé mon enfance lausannoise, le célèbre docteur Tissot, ami de Voltaire, ayant par ses livres sur la masturbation – des best-sellers mondiaux – conduit au suicide de milliers de jeunes gens ? Je ne donne pas cher non plus du sort qui sera réservé dans un demi-siècle à Claude Lévi-Strauss si l’Europe dans un effort insensé de repentance renonce à son héritage culturel dans ce qu’il avait de meilleur comme de pire.
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