« Condamner n’est pas connaître ». C’est l’un des enseignements du petit ouvrage de Pierre-André Taguieff, Le nouveau national-populisme, opus que l’on conseille à tous ceux qui, de Nathalie Kosciusko-Morizet à Laurence Parisot, se découvrent une âme d’historien des idées dès lors qu’il s’agit de publier un énième livre sur Marine Le Pen.
Condamner n’est pas connaître, donc. Et connaître n’est pas adhérer, ajoutera-t-on. Dès lors, il n’y a aucune raison de s’interdire une véritable réflexion sur la notion de « populisme ». Faisant le pari qu’il ne s’agit point d’une maladie textuellement transmissible, Taguieff s’attelle à la tâche, et prévient d’emblée son lecteur : « l’extrême droite (est) une catégorie floue à l’extension variant suivant les figures d’ennemi qu’il s’agit de stigmatiser ». Lui ne se contentera pas de brandir l’étiquette « fasciste », dont il montre d’ailleurs combien elle est devenue inopérante lorsqu’il s’agit de qualifier les formations néo-populistes récemment écloses dans nombre de pays d’Europe.
Du Parti pour la Liberté hollandais au FPÖ autrichien, de l’UDC suisse au Front National français « rénové », il est évident que nous avons affaire à un phénomène bien différent de la nostalgie pétainiste ou de l’admiration pour Benito Mussolini. En effet, les jeunes leaders populistes de droite ne sont pas des nostalgiques mais des « modernes » résolus. Cette dextre new look revendique désormais sans complexe les acquis de la modernité en matière de mœurs, bien loin de la défense des valeurs familiales d’une part, ou du culte des « hommes forts » d’autre part. Si Pim Fortuyn avant lui affichait son homosexualité, Geert Wilders défend la cause des homosexuels et Marine Le Pen, affiche un féminisme assumé.
Ainsi, les têtes d’affiches du national-populisme européen, du séduisant Freyssinger au sémillant Wilders, correspondent parfaitement à la figure de « l’hédoniste sécuritaire » décrite par Gaël Brustier et Jean-Philippe Huelin. C’est d’ailleurs l’hyper-conservatisme sociétal et le caractère liberticide et intolérant qu’ils supposent propres à l’Islam, qui les conduit à pourfendre cette religion, allant pour certains jusqu’à comparer le Coran à Mein Kampf, et à vouloir l’interdire.
C’est Taguieff lui-même qui introduisit la notion de « national-populisme » au milieu des années 1980, soit quinze ans avant que ne disparaisse l’extrême droite reformatée de l’après-guerre et tous ses « néo » – néofascisme, néonazisme – dont les quelques survivances groupusculaires relèvent aujourd’hui du folklore bien plus que de l’offre politique.
L’auteur situe ainsi les nationaux-populismes à l’intersection de trois caractéristiques majeures : ils sont tout à la fois protestataires, identitaires et « démophiles ». Protestataires parce qu’ils n’ont de cesse de fustiger la globalisation et l’européisme, à l’instar d’une partie de la gauche, d’où l’expression de « gaucho-lepénisme » imaginée par Pascal Perrineau. Identitaires en ce qu’ils jouent de peurs et de phobies à connotation nettement islamophobe. En prônant un différencialisme d’ordre culturel, quoique bien loin du racialisme des vieilles extrêmes-droites, ils se situent toutefois résolument à droite.
Les nationaux-populismes sont enfin « démophiles » : ils multiplient les appels à un peuple mythique et supposé purificateur ou rédempteur. Mais Taguieff, tout comme d’autres auteurs, admet volontiers qu’il ne s’agit là que du revers de la médaille, le succès de la droite populiste ayant évidemment partie liée avec ce que Brustier et Huelin désignent sous le nom de « prolophobie ». Bon nombre des partis politiques de gouvernement, notamment à gauche, se sont détournés de longue date de classes populaires supposées conservatrices, frileuses, racistes, sexistes, homophobes, bref, irrémédiablement droitisées. Ainsi la gauche, représentante historique des couches populaires mais désormais convertie au multiculturalisme, s’est-elle confectionnée un véritable « peuple de substitution » composé des mille et une minorités imaginables, des jeunes aux immigrés en passant par les femmes. Selon Laurent Bouvet, elle aurait perdu « le sens du peuple », abandonnant ainsi ce dernier à la démagogie populiste.
On regrettera que Pierre-André Taguieff n’ait pas l’occasion, dans ce texte hélas trop court, d’établir une recension détaillée des partis néo-populistes européens. Car ceux-ci possèdent de nombreux points communs, mais présentent également de notables différences, dues à leurs histoires respectives.
En revanche, c’est avec bonheur que le politologue revient – pour la disqualifier d’étonnante manière – sur cette formule célèbre de Laurent Fabius au sujet du FN: « le Front National pose vraies questions auxquelles il apporte de mauvaises réponses ». Car pour Taguieff, le FN est tout à fait capable, non seulement de poser de mauvaises questions, mais également de donner…des réponses valables ! Par exemple, vouloir garantir la sécurité, et lutter contre la délinquance n’est pas forcément une mauvaise réponse. Non plus que proposer la sortie de l’euro. En voulant « fascistifier » Marine Le Pen en contestant son programme économique, Caroline Fourest et Fiammetta Venner se prirent d’ailleurs lourdement les pieds dans le tapis de leur biographie.
Dès lors, les préconisations de l’auteur peuvent apparaître provocatrices. Celui-ci appelle en effet à renoncer aux mantras moralisateurs et autres condamnations psittaciques pour intégrer les partis nationaux-populistes dans le jeu politique normal. Il fait en effet le pari que ces formations finiront par s’arrondir, voire par s’user, dans l’exercice quotidien du pouvoir. En politique, « même les diables peuvent être apprivoisés et intégrés dans l’humanité commune » avance-t-il.
Mais Taguieff demeure prudent. Il est conscient que « rien n’empêche un antidémocrate convaincu de se présenter à des élections libres, en espérant s’installer au sein d’un régime démocratique pour le détruire ou le vider de son sens ». Ni diabolisation ni angélisme, donc. Ni réprobation de principe, ni naïveté coupable : encore une fois, condamner n’est pas connaître, et comprendre n’est pas adhérer.
L’analyse lucide et équilibrée de Pierre-André Taguieff est en tout cas l’une de celles qu’il faut (re)découvrir à moins de trois mois de l’élection présidentielle française.
Pierre-André Taguieff, Le nouveau national-populisme, CNRS Editions, Janvier 2012
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