De nouvelles accusations ont été portées par l’ancien ambassadeur du Vatican, Carlo Maria Vigano, à l’encontre du pape François. Mais, encore une fois, plutôt que de se remettre en question, l’Eglise plaide le complot.
L’ancien ambassadeur du Vatican à Washington, Monseigneur Vigano, a encore une fois mis en cause le pape François. Alors qu’il l’a déjà accusé d’avoir étouffé les abus sexuels d’un cardinal, il assure dans une lettre, révélée samedi 1er septembre, que le souverain pontife a soutenu une élue américaine refusant de célébrer des mariages entre homosexuels.
Les réactions à l’affaire Vigano sont de plusieurs ordres. Et finissent par nous faire reconsidérer la parabole du fils prodigue, et singulièrement la position de l’aîné envieux. Mais commençons par le début.
Le Vatican, par la voix de François et d’autres prélats, comme Blase Cupich, archevêque de Chicago (qui fut fait cardinal par François), considère qu’il n’y a rien à dire, et même qu’on doit s’en foutre. Je ne vois pas bien comment résumer autrement les propos de ce dernier qui explique bravement que l’action du pape en matière de défense de l’environnement et des migrants surpasse toute autre considération. Le pape a d’ailleurs depuis publié les fortes paroles qu’on attendait : il y a urgence à traiter les déchets plastiques qui encombrent fleuves et océans (c’est vrai, mais il pourrait être plus efficace sur d’autres urgences).
La presse, à qui François a demandé de faire son métier, s’est appliqué à le faire avec l’intelligence sur laquelle tablait François : puisque c’est un réactionnaire qui dénonce le scandale et implique ce pape progressiste, attaquons le réactionnaire et n’inquiétons (pour le moment) ni ce bon pape ni ses soutiens progressistes (lorsque Jean-Paul II et Benoit XVI régnaient, papes réputés réactionnaires, il était tout aussi nécessaire et moral d’attaquer sans relâche l’Église et de faire remonter chaque manquement individuel jusqu’au pape). Une partie des gazettes catholiques se signale par son zèle à discréditer Vigano (qui se défend bien, hélas), selon ce saint principe qu’au nom de la défense de l’institution il faut considérer tous les possibles fautifs comme innocents jusqu’à ce que leur culpabilité soit définitivement établie, et tous les dénonciateurs comme de fieffés menteurs jusqu’à ce que la réalité de leurs dénonciations soit absolument établie. Vigano est donc calomnié et diffamé, d’une part, et d’autre part le Vatican aligne, avec une charmante ingénuité, la liste des soutiens de François : on se croirait dans un film américain avec le décompte angoissant des voix des sénateurs favorables à un projet de loi.
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Il faut ajouter que ce que dénonce Vigano a en fait tout pour plaire : il affirme que les hauts dignitaires de l’Église, les responsables de la nomination des évêques et des cardinaux, ceux qui ont la charge du recrutement et de l’éducation des prêtres, sont des personnes pour qui la chasteté est un vain mot et l’homosexualité un amour de similitude. Autrement dit, Vigano dénonce la lente mais certaine constitution d’une Église dirigeante qui va bientôt pouvoir trancher avec le prétendu ordre moral moisi prétendument défendu par l’Église (moisie). On voit mal pourquoi la presse-pas-moisie s’empresserait d’accabler François et ses soutiens.
Dans cette affaire, la presse, François et ses soutiens ont donc tous une approche politique du problème des agressions sexuelles homosexuelles à variante parfois pédophiles – la même approche politique qu’ils reprochent à Vigano (mais lui, c’est pas pareil). Tous. Pas un, Cupich en tête, qui considère que révéler une vaste entreprise de harcèlement et d’agressions mérite mieux que de dénoncer le caractère réactionnaire du lanceur d’alerte, de réduire toute l’affaire à une seule et méchante querelle de personnes (au mieux Vigano est un raté, au pire il tente un putsch). L’Église répond à l’interpellation en considérant qu’il ne s’agit que d’une attaque personnelle contre François. Sa réponse est doublement personnalisée, dénonçant les tares de Vigano (fourbe, menteur, ambitieux) et exaltant les vertus de François, à titre personnel et en tant que souverain pontife. Attitude évidemment très cléricale, péché que François dénonce facilement chez ses adversaires. Mais ne considérer que Vigano et mépriser ses accusations, c’est oublier les victimes et la nature clanique de leurs agresseurs.
Parce qu’enfin, il est là, le vrai problème : dans le fait qu’une caste, une fois de plus, et une fois de plus dans l’histoire de l’Église, s’arroge le droit d’opprimer et d’agresser les fidèles. D’opprimer et d’agresser les fidèles. C’est de cela qu’il s’agit. Ce scandale que dénonce Vigano, ce serait d’abord une histoire gravissime d’abus d’autorité médités, organisés, en réseau et couverts. Il ne s’agit pas d’expliquer, pour rendre justice à la chose, que l’Église ferait mieux de parler d’autre chose que de fesses (et certainement l’Église a d’autres choses à dire – même si notre époque paraît avoir un sérieux problème de fesses). Le scandale Clinton n’était pas ses relations avec sa stagiaire mais le fait qu’il ait menti devant la justice de son pays. Le scandale McCarrick n’est pas ses inclinations homosexuelles mais le fait qu’il ait constamment cédé à la tentation, constamment manqué à la chasteté, constamment mené une vie de débauche organisée et constamment fait en sorte que rien ne lui soit reproché. Que Vigano soit à la fois indigné et politique, oui : doit-on pour autant oublier les causes de son indignation ? Non.
Mais l’Église, aidée par la presse, est bien prête à oublier (nonobstant des réactions nombreuses en faveur soit de Mgr Vigano, soit en faveur de la vérité des faits qu’il dénonce, soit en faveur d’une véritable enquête). Sur la vérité fondamentale des faits, McCarrick a enfin été sanctionné par François (et les sanctions qu’aurait prononcées Benoit XVI à son égard, et qu’il n’aurait pas suivies, ne sont plus présentées comme une folle forgerie de Vigano). Pour cette affaire comme pour d’autres, François finit par sanctionner en y mettant toute la mauvaise grâce possible, sous prétexte de miséricorde, au nom du pasteur qui va chercher la brebis perdue. C’est d’ailleurs la lenteur de ses condamnations, la route tortueuse qu’empruntent ses sanctions, que Vigano dénonce. Ce pape, qu’on sait prompt à condamner et roide dans ses condamnations, est, en ces matières, et quand il s’agit d’un clergé acquis à sa pastorale, d’une lenteur si prudente qu’on le croirait immobile.
Venons-en aux dernières réactions : celles des fidèles. Les uns sont écœurés, les autres ne veulent considérer que le plus grand bien de l’Église. Ceux qui ne veulent que le bien de l’Église ont entonné un hymne curieux et touchant (et prodigieusement irritant). On nous dit qu’attaquer le pape c’est attaquer toute l’Église, que se faire le relais des choses qui l’accablent c’est l’accabler soi-même, on nous dit qu’il faut pardonner, on nous dit que l’amour est plus fort, bref on nous engloutit ou dans l’oubli ou dans une obéissance servile à des clercs qui incarneraient mieux que nous l’Église.
Le pardon, oui, mais en quoi le pardon (et les demandes de pardon qui se multiplient et finissent par devenir, en fait, des absolutions…) émancipe-t-il les coupables de répondre de leur faute ? Pardonnons-leur et aidons les victimes dans leur quête de justice. Voilà qui est charitable. Ou notre charité ne devrait-elle choisir de s’exercer que pour les coupables et non pour les victimes ? Et cette charité qui voudrait qu’on n’examine rien, qu’on n’agisse pas, qu’on détourne le regard, cette charité si hiérarchisée serait une manifestation d’amour divin ?
Quant au bien que peut faire l’Église, il se fait par ses fidèles et par ses clercs. Comment Mgr Cupich croit-il qu’est reçue la parole des fidèles et des clercs ? Pense-t-il vraiment faire rayonner l’Évangile en expliquant que les petits, les humbles et les faibles, les affaiblis, les humiliés et les rapetissés ne sont que poussières aux yeux d’un Vatican tout enflé de grandes pensées sur l’environnement et la migration ? Croit-il que nous aurons une incroyable audience en tant que catholiques quand nous prendrons la parole ? Ou compte-t-il que nous n’annoncions plus rien que le nouvel Évangile du tri sélectif en laissant de côté tout ce qui sent un peu fort, le Christ en premier lieu ?
Nous voici donc, nous, l’Église de base, dans la position du frère qui voit revenir son cadet prodigue (Luc, 15, 11-32). Mais nous avions compris la parabole. Nous savions qu’être dans la demeure du Père est une joie (« Le père répondit : ‘’Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi’’ »). Nous goûtions sa présence. Nous avions appris à goûter le bonheur d’être du troupeau. Nous aimions nos pasteurs et nous étions heureux quand ils nous abandonnaient pour aller chercher des brebis perdues. Nous voilà désormais dans une maison où le Père a embauché des intendants qui nous maltraitent. Quelle est notre joie ? McCarrick, Wuel, Cupich et consorts se posent-ils la question de ce que sont devenues les demeures du Père, sous leur intendance ? Et de ce que nous pensons, désormais, des vertus du silence et de la prudence qu’ils nous réclament sur leurs travers, leurs erreurs et leurs crimes, quand en même temps ils nous réclament de parler et de dénoncer les travers de l’époque qu’ils ont identifiés ?
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Nous sommes l’Église. La maison du Père nous appartient autant qu’à eux, et ils nous en sont redevables : à eux à qui Dieu a donné l’autorité temporelle, il leur est demandé des comptes temporels puisque c’est dans ce monde et en ces temps qu’ils nous envoient nous engager. Nous refusons donc que la hiérarchie nous évince en exigeant obéissance, soumission, discrétion et esprit de charité, se réservant le droit de se juger elle-même et de méjuger ou déjuger les victimes jusqu’à ce que la justice civile se charge de leur rendre justice. Nous refusons l’Église des clercs cléricaux. Il nous semble que l’honneur de l’Église est mieux dans nos mains, quitte à ce que ce combat soit une lutte décevante. Il nous semble que nous savons mieux qu’eux défendre les pauvres honneurs des maisons paternelles que nous habitons.
« Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles.
Car elles sont le corps de la cité de Dieu.
Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu,
Et les pauvres honneurs des maisons paternelles. »
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