La planète entière se gave de fantasmes sur l’Inde. Arnauld Miguet nous propose, dans son Dictionnaire insolite, un pèlerinage à travers les coutumes et bizarreries d’une Inde démystifiée.
Shiva dans le métro
Paris, ligne 10 du métro, direction Gare d’Austerlitz. Dans le fond de mon wagon, une publicité grand format promet que « vous allez adorer rentrer chez vous » grâce aux services de nettoyage de la société Shiva. Shiva, c’est évident. Dans l’imaginaire collectif, la divinité hindoue étant munie d’une paire de bras supplémentaire, elle s’y entend en repassage et en aspirateur, et avec un chiffon dans chaque main, ça va forcément plus vite…
En ouvrant le Dictionnaire insolite de l’Inde, conçu par le correspondant de France Télévisions en Chine, Arnauld Miguet, on en apprend plus long, et on s’éloigne beaucoup de Monsieur Propre. Pour commencer, on naît hindou, on ne le devient pas. Les fidèles représentent 80% de la population du pays et vénèrent les multiples formes des divinités, qui ne sont définies par aucun texte, gardées par aucun clergé ni aucun socle oral ou écrit. À chacun son deva, ou presque.
D’ailleurs, hindou ou pas hindou, l’Inde est le pays des trucs sacrés. Des cheveux, vendus au kilogramme sur le marché est-asiatique et moyen-oriental, des vaches, bien sûr, des cornichons (pickles) également, reste non unique de la colonisation britannique. De l’Inde, sans y avoir posé un pied, on rapporte des souvenirs infinis de maharadjahs, de fakirs qui dorment sur des lits de clous, d’éléphants colorés, des odeurs de safran, d’eucalyptus, de riz basmati (mais sait-on que le Basmati y est considéré comme un produit de luxe ?)
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’Inde sans jamais avoir osé le demander
Habile, Arnauld Miguet ne fait pas l’impasse sur les clichés mais prend un malin plaisir à les détourner, à les démonter. Ainsi trouve-t-on bien, parmi les si pittoresques petits métiers de rue des barbiers, des cireurs de chaussures, mais aussi des nettoyeurs d’oreilles, des tatoueurs, des ophtalmologistes, des repasseurs équipés de fers à charbon et des dentistes, non conventionnés. Ainsi l’Indien de base porte-t-il bien une moustache, symbole de virilité, mais sait-on que les policiers du Madhya Pradesh ont vu, en 2004, leur salaire doubler à condition que leur pilosité sublabiale « ne soit pas trop effrayante pour les citoyens »
Oui, New Delhi est le paradis de la pollution au monoxyde de carbone, mais possède malgré tout, à force d’efforts de la municipalité, le réseau de transports le plus propre du monde.
Et le très à la mode massage « ayurvédique » dans nos spas occidentaux ne se résume pas, au Kerala (le « pays des dieux ») à l’application d’une sorte d’huile noirâtre sur le front : au prix de l’abandon de ses chaussures et de son téléphone portable pendant la durée de la « purification », l’Ayurvéda consiste entre autres en séances d’arts martiaux, en frictions de jus de légumes, de riz pilé et d’huile de sésame. Un remède excellent contre la cellulite et le stress, en effet.
Si l’envie nous prend, après ça, de visiter la ville culte de Varanasi (Bénarès), retenons ces quelques détails : le Gange représente pour les pèlerins la longue chevelure de Shiva, il n’est donc pas « sale ». Varanasi est également le lieu idéal pour mourir – et y faire disperser ses cendres – et pas forcément pour réaliser ses meilleurs selfies. 250 crémations par jour avec 200 kilos de bois par bûcher. Les larmes portent malheur au défunt, elles sont donc proscrites.
Le pays des fakirs, c’est aussi un milliard de lieux cachés, secrets, mignons, bizarres, dont ce dictionnaire ne fait pas l’économie. Il y a Alang, le plus grand cimetière de bateaux du monde, cargos, pétroliers et navires mythiques confondus, sur les quinze kilomètres de la baie. Les objets, canots de sauvetage, vêtements d’équipages, gilets gonflables, de toutes les nationalités et de toutes les embarcations sont revendus le long des berges. Il y a la station de sports d’hiver de Gulmarg, culminant à 3979 mètres d’altitude et où les amateurs de hors piste peuvent se faire larguer en hélicoptère sur les spots les plus hauts. Mais les Indiens préfèrent la luge. Des gens comme nous, finalement.
Arnauld Miguet, Dictionnaire insolite de l’Inde – Cosmopole, 152 pages.
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