Aux Etats-Unis, en France ou en Italie, des offensives judiciaires s’attachent à remettre en cause les choix souverains des peuples. La nouvelle démocratie se fera sans lui ou ne se fera pas.
Plusieurs événements très inquiétants se sont produits aux États-Unis, en Italie, et en France cet été. Sous des prétextes parfois grossiers, l’on a vu la justice pénale de chacun de ces trois pays tenter soit de mettre en cause le choix démocratique des peuples, soit de peser sur les processus mêmes de ces choix. Cette forme d’instrumentalisation de la justice est relativement nouvelle. Mais elle s’inscrit dans un processus déjà ancien.
La trahison des peuples
Rappelons que la démocratie représentative, système délicat et fragile, n’est pas sans défauts mais qu’elle a un mérite : celui de donner à l’expression majoritaire d’un peuple une légitimité permettant de gouverner. Si l’on est majoritaire à l’élection, on est légitime à tenir la barre pour une durée limitée. Et même ceux qui n’ont pas voté pour les vainqueurs devront leur obéir. Les deux conditions impératives de cette légitimité qui assurera la paix civile sont d’abord l’assurance qu’au terme du mandat une nouvelle majorité pourra défaire ce qu’a fait la précédente et ensuite que le résultat de l’élection soit le fruit d’une procédure honnête et sincère. Le problème pour les grands intérêts, les adeptes du « There is no alternative » (TINA) cher à Margaret Thatcher, les participants au sommet de Davos, les oints du seigneur comme les appelle Charles Gave, c’est que la possibilité de l’alternance démocratique devient un risque insupportable.
Alors ils rêvent d’un système que certains de ses théoriciens ont appelé « la démocratie sans le démos », c’est-à-dire sans le peuple, et qui consiste à mettre hors de portée de la délibération démocratique collective l’essentiel de ce qui en relevait auparavant. On ne dressera pas ici la liste de tout ce qui a pu être mis en œuvre pour assurer la pérennité d’un système de domination. Contentons-nous de quelques exemples grands ou petits. À tout seigneur tout honneur, l’Union européenne (UE) qui est un dispositif supranational tout à fait intéressant.
La justice des divins
Sur les plans économique, monétaire et juridique, tout ce qui relevait auparavant de la souveraineté des États-nations territoriaux qui la composent a été ossifié dans des traités à valeur constitutionnelle quasi immuables. L’UE a été construite délibérément avec cet objectif. Et quand un peuple s’avise de manifester un désaccord, on passe outre. Ce qui permet à Jean-Claude Juncker de dire tranquillement : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »
En France, avec l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, la volonté de porter atteinte aux libertés publiques s’est exprimée sans fard. Grands médias aux ordres, loi « fake news », révision constitutionnelle dangereuse, instrumentalisation de la justice – et dans ce dernier domaine, avec l’exécution judiciaire de François Fillon, nous avions pris de l’avance. Emmanuel Todd s’étonnait qu’avec l’élection d’Emmanuel Macron, la France ait emprunté une voie électorale inverse à celle du Brexit au Royaume-Uni, de l’élection de Trump aux Etats-Unis et de la coalition populiste en Italie. Il n’y a pas à être surpris, c’est l’intervention de la justice pénale qui a permis cette arrivée au pouvoir.
Nous avons les moyens de vous le faire payer…
On peut ne pas aimer du tout Donald Trump, mais en dehors de ceux qui souscrivent aux calembredaines de l’intervention russe, personne d’honnête ne peut contester son élection. Toutes les études d’opinion démontrent que son électorat lui reste fidèle et s’est probablement même étendu. Cela n’empêche pas le bloc néoconservateur qui avait misé sur Hillary Clinton de poursuivre un combat judiciaire assez ahurissant. Le système est très simple, il consiste à harceler les amis et les collaborateurs du président américain, à parvenir à dénicher des indices d’une infraction éventuelle aussi bénigne soit-elle. Puis on menace et fait chanter la personne mise en cause en lui proposant un marché très simple : « On vous assure l’immunité mais vous mettez en cause votre ancien ami, ancien patron, ancien client ». Craignant la lourdeur et le caractère ruineux d’un procès assorti d’une possible condamnation, certains préfèrent la tranquillité et choisissent le « je ne sais rien mais je dirai tout ». Les faucons néocons qui détestent Trump pensent tenir leur revanche. Pas sûr que cet acharnement garantisse la paix civile.
Et voilà que l’Italie s’y met aussi. Le suffrage universel a porté au pouvoir une coalition élue sur un programme clair, prévoyant un fort volet social, et un refus de poursuivre la dérive initiée par Angela Merkel soucieuse de plaire au patronat allemand en important de la main-d’œuvre à bas coût. Ladite dérive fait que l’Italie se retrouve en première ligne des trafics de migrants où les mafias locales en liaison avec les africaines s’en donnent à cœur joie. Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur applique le programme adopté par la majorité des électeurs italiens, et massivement soutenu par l’opinion transalpine. Ce faisant, il heurte les grands intérêts et les belles âmes qui, consciemment ou non, prêtent la main à la nouvelle traite. Considérant que les soi-disant ONG sont parties prenantes du trafic, il leur refuse l’accostage dans les ports italiens et, s’ils rentrent quand même, le débarquement des nouveaux esclaves. Que n’a-t-il fait ! Il s’est trouvé un procureur pour lancer une enquête pour « séquestration », qualification du dernier ridicule lorsque l’on sait ce qu’elle désigne normalement en Italie. Rappelons que, contrairement à ce qu’il s’est passé en Allemagne, il n’y a eu aucune violence contre les migrants en Italie. Ce n’est pas seulement une provocation, cela caractérise bien cette instrumentalisation de la justice pénale pour empêcher la mise en œuvre de ce qui a été décidé par une élection régulière.
La France, laboratoire du monde
Et ce n’est pas tout. En France, une décision stupéfiante de magistrat instructeur du pôle financier prive le Rassemblement national (RN, ex-FN) des ressources qui lui sont dues en application de la loi. La Cour de cassation italienne fait mieux, puisqu’elle a lancé une procédure pour saisir tous les actifs du parti de Salvini à hauteur de 49 millions d’euros. Soi-disant pour garantir une condamnation non encore prononcée contre un de ses prédécesseurs à la tête de l’organisation pour des faits remontant à plus de 10 ans. Comprenons-nous bien, non seulement je n’ai aucune sympathie – au contraire – pour la Ligue du Nord et ses dirigeants – et je ne revendique pour eux aucune impunité – mais l’étude un peu détaillée des questions juridiques en cause démontre l’inanité de ces procédures judiciaires. Ces dévoiements n’ont qu’un but : bafouer une volonté populaire librement exprimée.
Exactement comme en France, mais avec moins d’originalité. En France, la justice pénale est carrément intervenue en amont de l’élection. L’opération judiciaire menée contre François Fillon a faussé la présidentielle et permis l’accession d’Emmanuel Macron à la présidence. Poursuivant sur sa lancée avec une forme d’acharnement contre le RN et son dernier épisode, celui de la privation de ses ressources. C’est une réalité qu’il faut rabâcher et ce d’autant plus que l’autre face de cette pièce est la protection dont bénéficient les amis du pouvoir. Pèsent sur François Bayrou et son Modem des soupçons de même nature et aussi lourds que ce qui concernent le RN. Ces gens-là dorment sur leurs deux oreilles, leur seule obligation étant de se réveiller de temps en temps pour apporter leur soutien à Emmanuel Macron. Il y a plein d’autres exemples, dont la liste, de Richard Ferrand à Françoise Nyssen en passant par Muriel Pénicaud, serait fastidieuse. On ne saurait trop conseiller aux opposants d’être très prudents. Il est fort probable que leur tour viendrait si jamais ils devenaient vraiment gênants pour le pouvoir en place.
Les fins d’un monde
Un jeune politologue américain, Yascha Mounk, vient de publier un ouvrage écrit juste après l’élection de Donald Trump. Dans Le peuple contre la démocratie, il analyse la montée des populismes comme symptôme de la crise de nos démocraties représentatives libérales. Dans un singulier renversement de perspective, il fait porter la responsabilité de cette crise aux peuples qui refusent le système que les élites occidentales tentent de leur imposer depuis de nombreuses années. Il dénonce la « dérive juridique et technocratique de l’exercice des pouvoirs » sans reconnaître qu’il s’agit d’un projet. Si la politique s’oppose de plus en plus aux opinions de la majorité, c’est parce que la majorité manifesterait sa mauvaise humeur en se laissant aller à ses mauvais penchants, à base de populisme, de chauvinisme et de lèpre.
Pour la remettre dans le droit chemin, la fin justifie les moyens. Avec les atteintes aux libertés et l’instrumentalisation de la justice pénale si nécessaire. Tant pis pour la démocratie.
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