Loin des pseudo-amateurs de grands crus qui vous parlent de tanin et vous gâchent le goût du vin, la saison du rosé est celle de tous ceux qui ont soif, tout simplement.
Qu’y a-t-il de plus pénible que deux amateurs de vin qui discutent entre eux ? Des philatélistes en congrès ? Des fans de Benjamin Biolay ? Des coachs sportifs carénés comme des monospaces ? Des auditeurs de France Musique ? Des déçus du sarkozysme ? La coupe est pleine. Les apprentis œnologues sont la hantise des dîners du samedi soir. Ils ramènent leur science bouchonnée à tout bout de champ et nous abreuvent de cépages inconnus. L’ivresse de leurs connaissances fait monter illico notre alcoolémie dans le sang. Ils nous saoulent bien avant qu’on ait pu tremper nos lèvres dans un verre Inao. C’est à l’instant précis où ils prononcent le terme meurtrier de « typicité » pour évoquer un quelconque terroir que nos défenses immunitaires lâchent définitivement. On aimerait que la maîtresse de maison nous apporte un entonnoir et qu’on leur fourre dans le gosier presto.
Le rosé contre les experts
Leur faire boire (de force) un litre de Villageoise nous calmerait momentanément de leurs élucubrations. Ces forcenés des foires aux vins ont un avis sur tout : l’alliance des mets, la saison des vendanges, la qualité du liège, l’épaisseur des fûts, les cycles de la lune et la couleur de la culotte du vigneron. À Paris, il existe des listes noires où ces individus sont fichés. Avant d’organiser une soirée, mieux vaut y jeter un œil sous peine d’avoir une sévère gueule de bois, le lendemain. Le vin et, depuis quelques années, la nourriture, sont prisonniers d’une communauté d’experts imbuvables. Il se peut que, par malchance, vous tombiez un jour sur un spécialiste du bœuf de Kobe qui a parcouru la Napa Valley durant ses vacances. Alors là, double peine, œnologue de foire-expo et apprenti-boucher. La tête farcie d’approximations et de poncifs, cette langue des forts en anathèmes. L’été, ces casseurs d’ambiance, frustrés de la boutanche, marchent à l’ombre. On les entend moins. Ils ont le vin mauvais. Le règne du rosé leur cloue le bec. Les grands crus passent à l’as.
Coude sur la table et rosé à la main
Vive la fraîcheur frelatée du rosé ! La soif l’emporte sur les débats houleux entre appellations plus ou moins contrôlées. Même si, en sourdine, ils continuent à divaguer soutenant que le rosé (sans atteindre la puissance sensorielle du rouge ou du blanc) s’est nettement amélioré, qu’il y a même de très bons producteurs aujourd’hui en France, que la filière a su s’organiser face à la concurrence des vins du nouveau monde, et voilà que ça redémarre, stoppons ces délires éthyliques ! Les leçons de maintien à table n’ont plus lieu d’être sous la chaleur de juillet et d’août. On se moque d’où vient le rosé, s’il a été récolté à la main ou à la truelle, par un paysan ou un chimiste. Le rosé ne s’embarrasse pas de l’étiquette. Il n’oblige pas le consommateur à sortir son passeport ou ses faux diplômes de sommelier. Il s’enquille en famille ou entre amis, sans thèses et prétextes moraux. Bon ou mauvais, on ne saurait dire, fruité ou pétillant, on s’en fout, charpenté ou léger, ça reste un mystère, le rosé ne se déguste pas, ne s’explique pas, il se boit dans les rires sous les parasols.
Le goût des soirs d’été
On sait juste que sans sa présence miroitante sur une terrasse, les vacances auraient un goût d’inachevé. De raté certainement. Avez-vous entendu mugir de féroces flacons de rosé à la cave, dans les campagnes, un soir d’été ? C’est beau comme du Herbert Léonard au soleil couchant. Ce tintement est aussi enchanteur que celui des cigales. Un appel à dénouer sa cravate et ne pas se prendre au sérieux. Le rosé donne le top départ des vacances. Il rythme l’horloge biologique du touriste. Il le guide durant tout son séjour. De quoi vous souviendrez-vous en septembre ? De cette église romane, de cet aqueduc, du cri du cormoran ou des bouteilles qui s’entassent dans l’escalier ? Le rosé est une forme avancée d’humanité qui annihile les emmerdes du quotidien. Un parangon de fraternité. Un médicament de l’âme.
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