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Nouveau-Mexique : un imam peut en cacher d’autres

Derrière le fait divers, la Nation of Islam


Nouveau-Mexique : un imam peut en cacher d’autres
L'imam Wahhaj en conférence de presse, août 2018, New York. Sipa. Feature Reference: AP22234563_000001

Sous les apparences d’une soustraction d’enfants américains, se cache le spectre d’une secte musulmane proche de la Nation of Islam.


Onze enfants affamés ont été retrouvés, le vendredi 6 août 2018, dans un campement de fortune à Amalia, un comté sur la frontière entre les états du Nouveau-Mexique et du Colorado. Ils avaient été enlevés par Siraj ibn Wahhaj, ses sœurs Hurjah et Subhannah Wahhaj ainsi que sa femme, Jany Leveille, et son beau-frère Lucas Morton qui sont également… les parents des victimes. Quelques jours plus tard, les policiers et agents du FBI qui ont investi le campement ont trouvé le cadavre d’un douzième enfant, Abdul Ghani, 3 ans, fils de Siraj ibn Wahhaj et atteint de retard de développement, qui était recherché par sa mère, Hakima Ramzi, depuis décembre 2017. C’est un inspecteur de police qui a alerté le shérif du comté du Taos après avoir reçu le message suivant : « Nous sommes affamés et nous avons besoin de nourriture et d’eau ».

Des enfants entraînés à tirer

Rapidement, la police a lancé un raid qui a mené les 5 individus tout droit vers la prison. Poursuivies pour maltraitance d’enfants, les trois mères des enfants ont déclaré avoir subi un lavage de cerveau. Désormais incarcérés sans droit de remise en liberté sous caution, le tribunal indique qu’ils pourraient commettre de nouveaux crimes s’ils venaient à être relâchés, compte tenu des activités d’initiation au tir qu’ils dirigeaient. Le suspect aurait entraîné les enfants en vue d’attaquer prochainement des écoles. Chez les Wahhaj, on partage tout, même les giclées de sang.

Si la charge de terrorisme n’a pas été retenue, ils sont néanmoins décrits par le shérif comme des extrémistes musulmans. Et pas n’importe lesquels : derrière cette affaire sordide se cache une partie de l’histoire d’une mouvance méconnue de l’islam politique, l’américaine Nation of Islam (NOI).

En effet, le personnage clé de l’histoire – quoique son implication dans l’affaire criminelle de l’enlèvement des onze enfants n’est pas établie – est Siraj Wahhaj, 68 ans, le père de Siraj Ibn Wahhaj mais aussi l’employeur des trois femmes arrêtées dans le campement (elles travaillaient dans la mosquée At-Taqwa de Brooklyn qu’il contrôlait). Jusqu’en 2014, sa fille Hurjah tenait un blog chantant les louanges de son père, rappelant d’ailleurs son influence auprès des membres d’organisations pistées par le FBI telles que l’Alliance musulmane d’Amérique du Nord, le Cercle islamique d’Amérique du Nord mais aussi l’Association de la Jeunesse musulmane.

Une entrée radicale dans l’islam

Le parcours de Jeffrey Kearse – d’après son nom de baptême – est typique de certains jeunes Noirs américains nés après-guerre. Jeune adulte en 1969, un an après l’assassinat de Martin Luther King – traumatisme provoquant une radicalisation dans une partie de cette jeunesse -, il adhère à la Nation of Islam et renonce à son nom, un nom donné par des esclavagistes. Désormais, suivant l’exemple de Malcolm (Little) X, il s’appelle Jeffrey X12.

Fondée par Wallace Fard Muhammad (né Wallace D. Fard) en 1930 à Chicago, la Nation of Islam a proposé aux Noirs américains une nouvelle religion empruntant largement à l’Islam, en rupture totale avec celle – le christianisme – qu’ils partageaient avec ceux – les Américains blancs – qui les avaient tenus en esclavage. Mais c’est Elijah Muhammad, le charismatique disciple de Wallace Fard Muhammad, qui, après la soudaine disparition de ce dernier, a transformé ce groupe marginal en une véritable religion (avec des écrits sacrés, des prophètes, une cosmologie et une histoire des origines), acteur majeur du mouvement pour les droits des Noirs dans l’Amérique des années 1950-1960. En 1969, avec des convertis et des militants comme Malcolm X, Mohamed Ali (né Cassius Clay) et Louis Farrakhan (né Louis Eugene Walcott), le mouvement est au sommet de sa popularité quand le jeune Jeffrey Kearse, séduit par la radicalité du message (selon NOI, tous les Blancs sont par essence coupables) et sans doute par une promesse de changement radical de vie, décide, comme des centaines de milliers d’autres Noirs-Américains, d’y adhérer.

En 1975, lorsqu’Elijah Muhammad meurt, son 7ème fils, Warrith Deen Mohammed, reprend la direction de l’organisation. Très vite, il dissout NOI et la transforme en une association musulmane sunnite « normale » mettant fin, par la plus grande conversion à l’islam de l’histoire des États-Unis, à la phase sectaire et indépendante du mouvement du temps de son père. C’est à ce moment-là que Jeffrey Kearse, devenu en 1969 Jeffrey X12 prend le nom de Siraj Wahhaj (« lumière éclatante » en arabe) et part en Arabie saoudite pour parfaire ses connaissances théologiques. Au cours des années 1980, il s’investit dans la lutte contre la drogue et fonde à Brooklyn la mosquée Al-Taqwa à l’emplacement d’un ancien repaire de dealers. Mais ce travail de proximité sur les fléaux de la communauté noire a aussi sa part d’ombre.

Un Grand imam omniprésent sur Internet

Il ne s’agit pas uniquement de sa lecture littérale du Coran (il approuve châtiments corporels et la lapidation des femmes adultères) ni même de son opposition de principe à la démocratie libérale et son objectif revendiqué de voir les Etats-Unis devenir un Etat musulman (« Si nous étions unis et forts, déclarait-il, nous pourrions élire notre propre émir auquel nous ferions allégeance. Ma parole, si 6 à 8 millions de musulmans s’unissaient en Amérique, le pays serait à nous »). Plus troublants – notamment quand on connaît le projet de son fils… – sont ses liens ambigus avec le djihadisme et le terrorisme. Ainsi, l’instruction l’a qualifiée de « personne non accusée qui peut être considérée comme co-conspiratrice de l’attentat », avorté, contre le World Trade Center à New York en 1993. Et d’ailleurs, il ne s’en cachait pas. Diverses interventions relayent sur des plateformes YouTube (telles que Islam on Demand) sa vision de l’Islam et du monde. Celui qu’on appelle le « Grand Imam » est par ailleurs omniprésent sur Internet, où il s’est forgé un personnage quelque peu déroutant. Dans une vidéo postée le 29 avril 2013, il incite ses auditeurs à lire L’art de la guerre de Sun Tzu, et les exhorte formellement à connaître aussi bien leurs ennemis qu’ils se connaissent eux-mêmes. Dans son discours appelé « How to approach a friend who is staying away from Islam », il encourage l’auditoire à s’adapter aux sensibilités de l’interlocuteur afin de le convertir sans peine. Il est donc évident que contrairement à Warrith Deen Mohammed qui a dirigé ses ouailles vers le « mainstream » de la communauté noire américaine, Siraj Wahhaj restait fidèle à l’ADN radicale de la NOI du père fondateur.

La boucle islamiste est bouclée

Ce qui n’est pas le cas de son propre fils. Si le père a toujours entretenu l’ambiguïté sans jamais se compromettre avec le camp djihadiste pour enfants, son fils, Siraj ibn Wahhaj, a fait le pas de trop, mettant en péril non seulement sa propre vie mais l’œuvre de son père.

Pour l’observateur, cette évolution est éclairante : la boucle est bouclée. Tout avait commencé dans les quartiers noirs de Chicago au tout début de la grande crise économique, lorsque quelques Noirs-Américains ont fait le choix marginal inspiré d’un islam imaginaire qu’ils ont les premiers brandi en force de rejet de l’Occident. Cette branche s’achève donc par la forme la plus récente d’islam politique : le djihadisme violent porté par Al-Qaïda et Daech. La descendance idéologique de « l’école de Chicago » rejoint ainsi l’arborescence islamiste élaborée presque au même moment au Caire par Hassan Al-Banna, père fondateur des Frères musulmans.



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est journaliste.

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