En novembre prochain, Emmanuel Macron devrait décider du lancement ou non de Montagne d’Or. Si ce projet pharaonique aboutissait, il donnerait naissance à la plus grande mine de l’histoire de la Guyane. Reportage
Le 26 octobre 2017, sur la place municipale de Maripasoula, Emmanuel Macron promettait des drones pour freiner l’orpaillage illégal en Guyane. Dans le même discours, il réaffirmait sa foi dans la Montagne d’Or, la mine qui promet de déposer le département-région sur les rails de la prospérité. Maripasoula ne fut pas choisi par hasard. Cette municipalité du petit ouest guyanais n’est accessible qu’en pirogue à moteur ou par un des coucous d’Air Guyane. Dans cette ville de 11 000 âmes, descendants de Boni (groupe de Noirs ayant fui l’esclavage de l’ancienne Guyane néerlandaise) côtoient amérindiens Wayana et métros (les blancs). Le taux de chômage officiel étant quasiment de 90%, le travail informel y est monnaie courante.
Un Guyanais sur quatre au chômage
Bien plus au nord de cette ville encerclée de forêt et d’eau, à 120 km de Saint-Laurent-du-Maroni, le projet de mine légale divise les Guyanais. Avec une personne sur quatre au chômage, et le même taux vivotant au RSA, l’ancienne terre de bagnards devrait enfin briller grâce à l’or, « une ressource d’avenir » estime la compagnie Montagne d’Or, qui promet de créer plus de 4000 emplois (directs et indirects cumulés). Tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. Fin juillet, le secrétaire d’Etat à la transition écologique et solidaire Sébastien Lecornu, venu vanter les mérites de la mine du Far West, a été chaudement accueilli par des huées devant la préfecture de Cayenne. Raisins de la colère : le projet mettrait en danger mère nature, et ne permettrait pas de déperfuser le département-région.
Une mine au cœur en or ?
Contrairement aux mines illégales, restées fidèles à l’esprit des pionniers, la CMO (Compagnie Montagne d’Or) ne prévoit ni eaux-de-vie, ni filles de joie, ni soirées enflammées pour ses chercheurs d’or. A contrario, le personnel serait logé dans une future « base vie », comprenant plus de 450 chambres et des structures de loisirs. Une main d’œuvre saine pour une mine saine ? C’est en tous cas ce qu’annonce l’entreprise, qui assure « s’être engagée à mener le projet selon une démarche responsable afin de favoriser son intégration dans l’environnement naturel et humain ». Résolument optimiste, le sénateur LREM Georges Patient promet dans les colonnes de l’Express une véritable « bouffée d’oxygène » grâce à ce projet « qui représentera 5,8 % d’emplois en plus à l’échelle de la région », se réjouit-il, avant d’ajouter que « la Guyane est peut-être l’endroit sur terre le plus respectueux de l’écologie ». Il faudrait demander aux Wayana du Haut-Maroni, dont l’eau est bourrée de mercure, ce qu’ils en pensent. Mais pour le sénateur, le risque environnemental étant moindre en comparaison des voisins brésiliens et surinamais, pas de quoi en faire des tonnes. Si la CMO admet un certain impact sur la faune, la mine vaut bien son pesant d’or : près de sept tonnes extraites par an sur douze ans. D’ailleurs, Léon Bertrand, le maire LR de Saint-Laurent-du-Maroni, y est également favorable.
Cyanure et explosifs
Chez les écolos et les défenseurs des peuples autochtones, on pense tout autrement. En ballade dans le Haut-Maroni, un militant du collectif « Or de question » me rappelait qu’en 2015, le Brésil a vécu une catastrophe écologique sans précédent dans le pays : un barrage de la compagnie minière Samarco cédait, entraînant une coulée de boue sur 650 kilomètres. Au menu des poissons, mercure et arsenic. La poisse n’a pas survécu, et un village a carrément disparu. Rapporté à la Guyane, un tel désastre minerait évidemment cette dernière, si elle s’en remet. Le WWF joue bien son rôle de Cassandre. L’association amie des bêtes dénonce un déboisement prévu de 1513 hectares de forêt et prévoit « un impact désastreux sur l’environnement » de la montagne, qui usera d’explosifs, de fuel et cyanure pour extraire le métal des dieux. 2000 espèces animales (et végétales) ayant été décelées sur le site par l’association, les oiseaux colorés iront gazouiller ailleurs, et les pumas guyanais les plus hardis pourraient bien décamper. Mollement mais sûrement, le ministre Nicolas Hulot a donc réitéré ses doutes en juin dernier : il juge « le projet surdimensionné », s’inquiète des risques environnementaux et dénonce un « miroir aux alouettes ».
Bons sauvages
Contrairement à leurs cousins éloignés des Andes ou du Mexique, les Amérindiens de l’Amazonie ne se sont jamais vraiment intéressés à l’or. Au XVIème siècle, l’empire Inca avait déjà élevé à Cuzco non pas une montagne, mais une « Maison d’Or » en l’honneur du Dieu du Soleil. A l’intérieur, des murs tout plaqués or et des chaises en or. En débarquant au Pérou, le conquérant espagnol Francisco Pizarro fut pris, bien avant nos émirs, d’une poussée de fièvre de l’or. Pour achever l’humiliation d’Atahualpa, dernier souverain des Inca, il lui en commanda un bloc de soixante-dix mètres cubes[tooltips content= »cf. Les conquistadors, Jean Descola »]1[/tooltips]. Chez les Amérindiens de Guyane en revanche, c’est une pierre verte, l’amazonite, qui valait de l’or. Lors de l’arrivée des explorateurs et colons français au XVIIème siècle, les pépites dorées se troquaient donc sans grands regrets contre des bouteilles de tafia. Mais après quatre siècles de colonisation et surtout, l’étrange sensation pour les Amérindiens guyanais d’être coincés entre deux mondes, les suicides y sont légion. La Montagne d’Or pourrait donc être l’once de trop. Dans les colonnes du Parisien, le chef coutumier d’un village amérindien, au nom bien de chez nous, Julien Pierre, a prévenu : « les industriels de Montagne d’Or vont profaner nos sites sacrées, les montagnes couronnées, et nos sépultures amérindiennes. Nous sommes prêts à prendre les armes pour défendre notre terre ».
Enrichir la Guyane ou les actionnaires ?
Qui dit or dit argent. La CMO se prévaut d’être « une entreprise guyanaise » basée à Rémire-Montjoly. Pour assurer l’exploitation industrielle de la montagne dorée, elle fait confiance à « des actionnaires expérimentés » : Norgold, qui nous vient des terres de Poutine et Colombus Gold, venue prêter main forte depuis le Canada. Cette dernière société « est cotée dans deux bourses » et « représente une capitalisation boursière de 50 millions d’euros », annonce le communiqué de presse de la CMO. Un cartel qui semble rouler sur l’or, donc. Mais qu’en est-il de la chaude et moite Guyane ? « L’activité minière est à haut risque, avec des investissements très importants, et des bénéfices qui dépendent des cours des matières premières » a confié le sénateur Georges Patient à l’Express. Le cours de l’or étant fragile en ce moment, la montagne pourrait bien accoucher d’une souris, comme dirait La Fontaine. WWF a avancé le nombre de 420 millions de subventions publiques, un montant que l’entreprise conteste. Quoiqu’il en soit, le porte-monnaie du contribuable contribue à l’industrie minière. Pour quels bénéfices ? Tandis que le président de Montagne d’Or promet « 3 milliards d’euros de retombées pour la Guyane », le WWF parle lui de « mirage économique ». La bataille des estimations est lancée.
Un des arguments avancés par les sympathisants du projet est que celui-ci pourrait faire décamper les chercheurs d’or clandestins. S’il semble être de bonne foi, pas sûr qu’il tienne la route. Dans ce qui s’appelait naguère le territoire de l’Inini, la société Auplata a ouvert la mine de Yaou, située à 12 km de Maripasoula. Comme dans un western, la mine a été braquée deux fois en 2013. Elle a donc fermé. Depuis, des groupes d’orpailleurs illégaux y débarquent à moto ou en quad. Ils explorent les trésors des alentours en s’y donnant à cœur joie.
Lors de sa visite en Guyane, le président a dit « souhaiter que la Guyane puisse réussir avec ses atouts, et ne pas souhaiter la mettre sous une cloche ». Certes, mais cela passe-t-il nécessairement par la quête de l’or ? Quid de l’agriculture ? Hormis chez les Mongs, qui sont installés à l’est, dans le village de Cacao, elle est quasi inexistante. Elle mériterait sans doute d’être développée, ce qui éviterait d’ailleurs à bien des Guyanais de se nourrir de tomates gavées de pesticides en provenance du Surinam. Le bois guyanais : le département-région, qui abonde de bois précieux, en est toujours réduit à importer son bois de Métropole, comme on dit là-bas. Et le tourisme ? Une flânerie aux marais de Kaw, à Maripasoula où aux Îles du Salut vaut bien une montagne d’or. Plutôt que de nous ramener aux temps des conquistadors, le gouvernement serait bien inspiré de se pencher sur ces filons.
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