Une vidéo fait le tour du Net : on y voit une touriste britannique se faire jeter des pierres après avoir tenté de négocier le prix d’un thé népalais. Sur les réseaux sociaux, il se trouve une foule d’Internautes, de droite comme de gauche, pour applaudir cette pseudo-révolte contre la mondialisation.
Ces derniers temps, on voit circuler une vidéo sur les réseaux sociaux, initialement publiée par le Daily Mail en septembre 2017, et sans doute réapparue à l’occasion des vacances d’été. Cette vidéo montre une femme népalaise agressant une touriste britannique, en lui lançant des pierres, en la menaçant avec des bâtons et en l’invectivant à travers la montagne.
L’histoire racontée par cette touriste est que, pendant qu’elle faisait une randonnée sur l’Annapurna avec son fils, ils se sont tous deux arrêtés au magasin de cette femme et qu’ils y ont bu du thé. Mais quand l’Anglaise a découvert le prix du thé, soit 150 roupies, alors qu’elle payait habituellement 50 roupies pour le même thé, elle a essayé de marchander, puis devant le refus de la Népalaise, elle a payé en lui disant que le thé était « sérieusement trop cher ». Après quoi, la Népalaise s’est énervée et s’est mise à la poursuivre dans la montagne, le vide dangereusement proche, en l’injuriant et en tentant de la blesser à coups de pierres.
Le tourisme, père de tous les vices?
Cette histoire sordide, dont tous sont – étonnamment – ressortis indemnes, aurait pu ne constituer qu’une de ces curiosités dont les sites Internet sont friands, comme les vidéos de personnes qui se battent dans les magasins ou, version plus gaie, de gens qui font des plats dans leur piscine, et où les commentaires se résument généralement à diverses variantes de « oh mon Dieu !! jpp, lol ». Mais ici, qu’ont voulu y voir les réseaux sociaux ? Non pas la rage heureusement sans conséquences d’une vieille folle, mais la réaction légitime d’une pauvre femme victime de l’exploitation de l’Occident.
La rhétorique qui s’est enclenchée se greffe sur la critique du tourisme mondialisé. Ou du moins dans une certaine critique marxisante, qui n’a rien à voir avec la déploration de la « disparition de l’aventure », laquelle a bien plus un fondement esthétique que politique. Elle fait du tourisme le « prolongement consumériste de l’impérialisme territorial des siècles passés », et les « violences directes du colonialisme » sont supposées avoir été remplacées par les « violences symboliques de la domination économique ». Le tourisme est donc une autre forme d’ « oppression systémique », qu’il s’agit de renverser en prenant le parti des « dominés ». Il est d’ailleurs frappant de voir gauchistes tiers-mondistes et identitaires anti-mondialistes adopter le même discours, et approuver d’une même voix la lapidation de cette touriste, assimilée à McDonald’s, Monsanto et autres bourreaux des peuples opprimés.
«Elle mérite qu’on lui jette des pierres, c’est une exploiteuse.»
Sur le site du Daily Mail, les commentaires les plus populaires pardonnent tous la « frustration » de la « pauvre femme », et blâment la touriste britannique pour avoir tenté de marchander un thé qu’elle pouvait payer au prix demandé (n’est-ce pas pourtant une coutume locale que de marchander ?). On lit, entre autres :
« Elle était en colère tout simplement parce que l’autre avait marchandé le prix d’un thé particulier. Est-ce qu’on essaie de marchander à Starbucks ou à Costa ? Non, on n’essaie pas. On aime juste profiter des pauvres. »[tooltips content= »« All she was angry was because she bargained the price of a special tea. Why don’t we try bargaining with Starbucks or Costa. No we won’t. We only like to squeeze the poor. »« ]1[/tooltips]
« Radins [l’anglais utilise une expression plus fleurie], moi je suis avec la femme qui vendait son thé, si tu peux te permettre de voyager, tu peux aussi te permettre de payer un foutu thé… Arrête d’être si radine… »[tooltips content= »« Cheap ass people, I’m with the tea lady, if you can afford traveling, you can afford buying a fucking tea… stop being a cheap ass… »« ]2[/tooltips]
« Moi aussi, je la pourchasserais comme ça. Ne viens pas dans ma foutue montagne pendant tes vacances avec ton foutu équipement REI [marque de vêtements de randonnée] et n’essaie pas de faire baisser le prix du foutu thé que je viens de faire. »[tooltips content= »« I’d chase her down too. Don’t come on my fucking mountain on your vacation with your fucking REI gear and try to haggle on the price of fucking tea I just made. »« ]3[/tooltips]
Et enfin : « Elle mérite qu’on lui jette des pierres, c’est une exploiteuse. »[tooltips content= »« She deserves rock’s throw at her, she’s being exploitative. »« ]4[/tooltips]
Le dominant a honte de l’être
Résumons : l’Occidental, par essence, serait donc un colonisateur exploitant les pauvres du tiers-monde. Partant, l’Anglaise devrait s’excuser d’être plus riche que la Népalaise et devrait accepter toutes les humiliations qu’elle lui fait subir, vengeance de la femme pauvre contre la femme riche. Elle devrait même accepter, comme une juste rétribution, de se faire menacer de mort et lancer des pierres dessus.
Vis-à-vis de la Népalaise, l’attitude semble être celle de la compassion psychologisante (« pauvre femme, sa vie est difficile » etc). Mais en réalité, cette pseudo-compassion, ce n’est en fait que le mépris du pauvre, supposé ne pas pouvoir, parce qu’il est pauvre, avoir de dignité. Bien loin la fameuse « scène du pauvre » dans Dom Juan, qui exalte la fidélité d’un homme à ses principes, même dans la famine ! Il est normal que le pauvre non-occidental adopte un comportement proprement barbare, parce qu’il rentre dans la catégorie des « dominés ». Le « dominant », parce qu’il a tellement honte de l’être, consent à se laisser détruire pour faire disparaître les traces de ce qu’il croit être sa propre infamie.
Finalement, la réaction à cette vidéo ne signifie qu’une chose : la liste des personnes qu’il est désormais légitime, a priori, de mettre à mort s’allonge. Occidentaux, tenez-vous le pour dit.
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