A 82 ans, la féministe historique Anne Zelensky reconnaît dans #metoo, malgré tous ses excès, le prolongement de la révolution sexuelle. Mais la révolution culturelle qu’elle appelle de ses voeux ne se fera pas sans les hommes.
Causeur. Six mois après la déferlante #metoo qui a suivi l’affaire Weinstein, quel bilan en tirez-vous ?
Anne Zelensky : Positif, indéniablement. Même avec ses excès et ses dérives, #metoo nous remet dans le droit fil de notre mouvement des années 1970, dont le noyau dur a été l’interpellation des violences faites aux femmes, signe de la domination masculine, qui est désormais un fait reconnu. À ce propos, je voudrais dégager le féminisme du brouillage fantasmatique. Pour une réflexion sereine sur cette question, il faut laisser à la porte fantasmes, projections, a priori. Rien n’est plus malaisé…
On dirait que, pour vous, les dérives sont négligeables. Or, #metoo est très marqué par son antijuridisme. Il y a eu un grand déballage sur les réseaux sociaux, à une époque où la moindre accusation de harcèlement peut détruire une vie.
Combien de vies de femmes ont été détruites au cours des siècles ! Mais on préfère pointer les « excès » du féminisme, plutôt que les outrances du machisme. Quand une femme la ramène, elle sort de son pré carré de douceur et de soumission, quelle inconvenance ! Ceci dit, l’espèce humaine ne fait pas dans la nuance. Cela va toujours trop loin à gauche et à droite avant de revenir au milieu. Ainsi la « libération sexuelle » a été complètement dévoyée de son sens, quand la pornographie fait office de vade-mecum sexuel à fonction éducative. Nous voulions disposer de notre corps, pas le mettre à disposition. Rien à voir avec ces carpettes enfilables et sodomisables à volonté qu’on nous donne à voir !
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Ne vous sentez-vous pas davantage trahie par les féministes en croisade que par le porno ?
Les deux mon commandant ! Les féministes dont vous parlez ont repris certains thèmes des années 1970, sans l’esprit et l’humour qui les caractérisaient. Elles ont renoncé à la belle autonomie qui était notre marque de fabrique. Ni Dieu, ni maître PS, ni obsession antiraciste, ni manie intersectionnelle, mais contestation joyeuse et inventive de nos us et coutumes, tel était notre propos. Cette « deuxième vague du féminisme » s’est centrée sur la liberté de disposer de son ventre et de soi. La première, au croisement des xixe et xxe siècles, visait avant tout l’égalité – vote, scolarisation des femmes, droit au travail. Il était logique de commencer par là. Mais dans les années 1960, les femmes ont compris que l’égalité sans la liberté de choisir ses maternités, ça ne marchait pas. Et cette deuxième vague s’est donné les moyens d’exercer l’égalité en prenant la liberté d’avoir des enfants ou pas. N’oublions pas le « ou pas ».
Reste que
