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Le procès de l’assassin de Sarah Halimi aura-t-il lieu?

Une nouvelle expertise a conclu que le discernement du suspect était "aboli"


Le procès de l’assassin de Sarah Halimi aura-t-il lieu?
Rassemblement en hommage à Sarah Halimi, avril 2017. ©ALPHACIT NEWCIT / CROWDSPARK

Une nouvelle expertise psychiatrique a conclu, la semaine dernière, l’abolition – et non l’altération – du discernement de Kobili Traoré, qui a reconnu l’assassinat de Sarah Halimi. Il pourrait échapper à un procès. 


Il en va de la médiatisation des affaires criminelles comme de celle d’autres sujets sociétaux : elle permettra aux générations futures de révéler les sensibilités de notre époque, ses réticences à ouvrir des débats qu’on préfère recouvrir de la pudeur de notre politiquement correct. Elle éclaire les rapports qu’une société entretient avec la criminalité de son temps, la façon dont elle explore les faits et cherche à élucider cet espace de l’obscurité humaine. Dès le Moyen-Âge, l’opinion publique était mobilisée par le pouvoir au moyen de récits criminels afin de la conduire à respecter davantage l’ordre social. Mais c’est le développement de la presse populaire au XIXe siècle et des médias de masse dans la seconde moitié du XXe siècle qui a permis de mobiliser des émotions tant collectives qu’individuelles. La révolution des réseaux sociaux annonce le pire comme le meilleur.

Les crimes parlent de notre époque

Quand certaines affaires criminelles emplissent tout le champ médiatique, c’est soit que le mystère persiste quant à l’auteur des faits, soit que ce dernier est un tel déviant au regard de l’humanité, par sa perversité, sa violence barbare, qu’il exerce une fascination-répulsion qui contribue à renforcer notre sentiment collectif et individuel d’appartenir à une humanité porteuse de sens et d’unité morale. Il en va autrement d’autres affaires criminelles que les pouvoirs publics et les autorités médiatiques rechignent à exposer devant l’opinion pour des raisons aussi variées que les agendas politiciens ou le maintien du déni d’une nouvelle forme de criminalité que l’on ne sait encore ni nommer, ni traiter. Lorsqu’une mobilisation s’opère pour briser ce silence, pour informer l’opinion, les résistances perdurent, les frilosités demeurent.

L’assassinat barbare de Sarah Halimi par son voisin Kobili Traoré est de ces affaires qu’il fallut éviter de soumettre au jugement populaire quand on n’hésitât pas à user des litres d’encre et du temps d’antenne pour décrypter la personnalité perverse d’un Nordahl Lelandais ou bavarder pour savoir qui était le corbeau dans l’affaire Grégory.

Quand Sarah Halimi a été réveillée en pleine nuit, ce 3 avril 2017, par ce voisin qu’elle connaissait, qu’elle craignait comme d’autres habitants de l’immeuble de la rue Vaucouleurs, dans cette partie du quartier parisien de Belleville « territoire perdu de la République », a-t-elle compris qu’elle ne reverrait plus le soleil se lever, ni ses enfants, ni sa famille ? Après l’avoir battue à mort, alternant coups de poings, insultes et invocations coraniques, il l’a défenestrée sous le regard des policiers impuissants et de voisins traumatisés, même si beaucoup continuent de faire « comme si de rien n’était ». Puis, son crime commis, Traoré est retourné dans l’appartement des voisins par où il était arrivé pour terminer ses prières ; la police attendait derrière la porte, croyant avoir à faire à un terroriste, elle attendait des renforts… C’est en tous cas, pour l’heure, la version des policiers impliqués. Ces 25 minutes sans intervenir, à attendre devant la porte de la famille Diarra où Traoré est installé pour prier, ne sont toujours pas expliquées par la procédure judiciaire en cours, les parties civiles n’ayant reçu aucune information sur l’avancement de l’enquête interne de police. De même, la famille Diarra qui s’est portée partie civile pour séquestration (le père inquiet par l’intrusion de Traoré survolté s’est enfermé lui-même dans une pièce avec sa famille), reste silencieuse et aucune demande d’acte n’a été faite par ses avocats jusqu’ici.

Silence, on vote !

En ce début avril 2017, la campagne électorale battait son plein, tout le monde savait que cela se jouerait entre Emmanuel Macron et ceux que les médias présentent alors comme les « extrémistes » (Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen) pour en finir d’avance avec une élection devenue procédure de validation de l’icône du « nouveau monde ». L’assassinat de Sarah Halimi est passé sous silence pour ne pas troubler le sacre. Quand il fait l’entrefilet d’un journal, c’est un banal fait divers qui « émeut la communauté juive ». Oui elle est « émotive » la « communauté juive » et chacun sait que l’émotion est mauvaise conseillère. Il faut écouter les hommes de raison. Certains notables communautaires sont raisonnables. La plupart des hommes politiques sont très raisonnables. « Dormez braves gens, les agressions et les crimes qui ciblent depuis près de vingt ans vos concitoyens juifs ne vous concernent pas ». Ceux qui disent que ces crimes commis par des hommes se revendiquant de l’islam révèlent la montée en puissance d’une violence radicale plus globale, que cet antisémitisme dépasse le sort des Français juifs. Ceux-là sont des pompiers-pyromanes, des crypto-fascistes qui ne pensent qu’à « stigmatiser » les musulmans. Ils méritent même parfois de comparaître devant les juges. Préoccupons-nous davantage de la réédition des pamphlets antisémites de Céline. Bagatelle pour un massacre ? Probable livre de chevet de Youssouf Fofana, Mohamed Merah, Ahmedy Koulibaly et Kobili Traoré, pour ne citer qu’eux…

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Dans une France découpée en communautés (ethniques, religieuses, sexuelles) avec l’aide de la politique d’actionnaires d’une poignée de notables communautaires complices de pouvoirs publics incapables depuis plus de trente ans de faire respecter la loi commune de notre « République laïque une et indivisible », il n’y a plus de Français, il n’y a que des membres de communautés. « Dormez braves gens… ».

La mort atroce de Sarah Halimi ne devait pas troubler la campagne électorale. Informer l’opinion risquait de l’encourager à « stigmatiser », « amalgamer ». Le parti des lépreux risquait d’en tirer un profit électoral. On se mobilisa : pour taire l’antisémitisme contemporain de l’affaire Halimi, pour exploiter l’antisémitisme fasciste d’hier. D’autant que certains leaders communautaires avaient depuis longtemps leur préférence ; il fallut veiller à ce que rien ne trouble la marche vers le pouvoir de leur candidat. On a fait silence. La journaliste, Noémie Halioua, mena seule l’enquête dont l’écho resta longtemps « communautaire ». Ce n’est qu’après l’élection que la presse généraliste se mit à relayer l’affaire. On ne finira jamais de s’interroger sur l’atonie qui entoura l’assassinat de Sarah Halimi et la surmédiatisation de l’assassinat de Mireille Knoll moins d’un an plus tard. Le contexte politique, encore et toujours. L’instrumentalisation de l’émotion populaire à des fins de récupération politicienne, encore et toujours.

« Sale juive », c’est une insulte ?

Une procédure judiciaire longue s’annonçait dans l’affaire Halimi. Le mis en cause, Kobili Traoré, interpellé calmement était devenu ingérable une fois arrivé au poste de police, il fut immédiatement transféré en hôpital psychiatrique : ni garde à vue, ni interrogatoire. Kobili Traoré a assassiné Sarah Halimi. Il ne nie pas les faits, aucune contestation de ses avocats. Ce sont les motivations du crime qui constituent le fond du débat judiciaire : pour la juge en charge du dossier il semble, dès le départ, que la dimension antijuive du crime n’est ni une piste prioritaire, ni une évidence. Kobili Traoré connaissait Sarah Halimi, il savait qu’elle était juive, cela ne fait bien sûr pas de lui un antisémite, mais éclaire le choix de la cible. En s’introduisant chez elle depuis l’appartement des voisins, il savait qui elle était. Il n’a pas attaqué les Diarra qui lui ont ouvert la porte. Après ses prières et ses préparatifs, il a enjambé le balcon pour entrer chez Sarah Halimi. Quand il est revenu chez les Diarra après avoir enjambé de nouveau ce balcon, il n’a pas cherché à les attaquer, il a fini ses prières. La police entendait les invocations depuis le palier.

Traoré a un casier long comme le bras, aucun antécédent psychiatrique, c’est un délinquant violent qui trafique des stupéfiants tout en fréquentant la mosquée de la rue Jean-Pierre Timbaud pas connue comme emblématique de cet « islam de paix et d’amour » qui – dit-on – règne dans la majorité des mosquées de France… La sœur de Traoré traitait la fille de Sarah Halimi de « sale juive » tout en crachant sur son passage, ce sont là des us et coutumes culturels qu’il est interdit de juger. On a appris depuis le procès de Georges Bensoussan, de la bouche de la « sociologue » Nacira Guenif, que « espèce de juif » et d’autres insultes en arabe du même acabit incluant le mot juif, ne sont en rien des expressions racistes mais de simples habitus de langage sans conséquence, un univers culturel en soi qu’il ne faut pas décontextualiser, ni essentialiser. Pourquoi s’inquiéter en effet, apparemment l’obsession antijuive n’a rien à voir avec l’islam « religion de paix et d’amour »… « Dormez braves gens ».

Traoré va mieux, merci pour lui

De tout cela, il résulte assez vite au cours de la procédure que Traoré est un de ces énièmes « déséquilibrés » qui semblent peupler notre univers criminel moderne. Déjà Adel Amastaibou, l’assassin de Sébastien Selam en 2003 avait échappé à une condamnation pénale pour son crime, il est aujourd’hui libre de ses mouvements. Il avait déclaré à la police qui le décrivit comme « sensé et volontaire » : « Je suis content s’il est mort cet enculé, ce bâtard, ce putain de juif, sale juif ». Une expertise psychiatrique, déjà du docteur Zagury, déclarait son discernement aboli par une pathologie délirante « alimentée d’une thématique antisémite ambiante ». L’antisémitisme d’ambiance… En effet, voici un des éléments du climat de bien des quartiers, bien des groupes culturels récemment installés dans notre pays. Cet antisémitisme d’ambiance conduit apparemment à quelques passages à l’acte criminel particulièrement barbares. La chasse au « sheitan » ne souffre aucune mansuétude quand le délire les prend. Amastaibou aurait fini par retrouver ses esprits. Nos psychiatres font des miracles, de vrais « casseurs d’ambiance »…

Depuis 2003, le code pénal a intégré la circonstance aggravante de racisme et  d’antisémitisme dans la commission d’un crime. L’excuse de « l’antisémitisme d’ambiance » risquait donc de ne pas suffire pour Traoré. Mais, vu le rebondissement de la procédure judiciaire intervenu le 11 juillet, il se pourrait qu’il rejoigne un jour prochain les siens, une fois remis de ses émotions, sans jamais passer par « la case prison ». L’expertise psychiatrique initiale du docteur Zagury avait fait état d’une bouffée délirante aigue (BDA), estimant que son discernement était altéré mais non aboli. De sorte que Traoré pouvait s’attendre à comparaître devant une Cour d’Assise, ce que son état actuel permet puisqu’il va de mieux en mieux. Expertise contestée par aucune des parties en présence. Une BDA est un état de délire qui peut être transitoire, apparaît de façon soudaine – donc sans antécédent majeur – et peut durer quelques jours, semaines ou mois. Le docteur Zagury explique dans son expertise que la consommation excessive de cannabis de Traoré dans les semaines précédant sa BDA était volontaire, sans doute pour apaiser les délires qui commençaient, il était donc conscient de son état. La juge a fini par concéder, en mars 2018, la dimension antisémite à la suite de la première audition de Traoré. Mais elle, et elle seule, n’est pas satisfaite de l’expertise du docteur Zagury, elle en a donc ordonné une seconde, et a déjà lancée une sur-expertise qui interviendra prochainement !

Quand la juge fait du zèle

La seconde expertise réalisée par trois experts, rendue publique il y a quelques jours, reprend les analyses du docteur Zagury mais conclue différemment : la consommation de cannabis et la BDA ont aboli le discernement de l’assassin. Dès lors, l’irresponsabilité pénale de Traoré est fort probable. Son cas serait donc présenté devant la Chambre d’instruction qui déciderait vraisemblablement d’une mesure de sûreté sous forme d’un internement psychiatrique jusqu’à sa guérison. La dernière expertise évoque un individu « réadaptable », même si cela sera « long et difficile ». Soyons confiants dans notre médecine, ce qu’elle a réussi avec Adel Amastaibou et tant d’autres, elle le réussira avec Traoré dont l’état s’améliore déjà. Entouré des siens, peut-être aidé par des méthodes alternatives de désenvoutement, de « chasse aux djinns », sous la surveillance de quelques ethno-psys, Traoré devrait reprendre sa place dans la société, au nom de son « droit » à la réinsertion. Sarah Halimi, qui avait dévoué sa vie aux autres en qualité de médecin puis de directrice d’école, n’est plus. Ses trois enfants sont orphelins, ses petits-enfants ne la reverront plus, ni ses frères et sœurs. Pour eux aussi la vie continue mais elle est à jamais obscurcie par ce crime sanguinaire, envahie par ce manque. Une vie hantée peut-être par l’injustice qui se profile à l’horizon si le non-lieu était prononcé en faveur de Kobili Traoré, comme celle de la mère de Sébastien Selam depuis quinze ans.

Autre élément signifiant du dossier : le refus de la juge à organiser une reconstitution. Demandée par les parties civiles, les avocats de Traoré ne l’ont jamais refusée, pas plus qu’ils n’ont demandé de nouvelle expertise après celle du docteur Zagury. Le mis en cause lui-même s’est dit favorable à une reconstitution. Mais la juge a persisté dans son refus : cela n’apporterait rien, selon elle, à la manifestation de la vérité et en outre, Traoré risquerait une rechute, une « décompensation psychique », s’il revenait sur les lieux de son forfait. Risque que l’expert psychiatre n’a pas évoqué.

Le règne de l’irresponsabilité

Aujourd’hui, l’ombre du non-lieu plane donc sur ce crime. L’assassin de Sarah Halimi bénéficierait de l’irresponsabilité pénale. Va-t-on assister à une épidémie de BDA pour « expliquer » les agressions et crimes antijuifs dans notre pays ? Bien commode la BDA, phénomène délirant qui peut surgir soudainement et ne pas conduire obligatoirement à une maladie psychique chronique grâce à une prise en charge efficace. Dans ce cas, qui peut dire si certains des terroristes qui ont été « neutralisés » ces dernières années ne se seraient pas vus déclarés « malades délirants », donc irresponsables pénalement par des experts psychiatres ? La psychiatrisation de la délinquance et de la criminalité semble devenir courante dans les affaires sensibles. Nouveau visage de la politique de l’excuse qui se donne des airs de science, la médecine est en effet plus sérieuse que les « sciences sociales ». Cette psychiatrisation révèle surtout l’avènement du règne de l’irresponsabilité collective et individuelle qui mine nos sociétés. L’individu qui transgresse gravement, monstrueusement, la loi commune n’est potentiellement plus responsable de rien car nous ne pouvons plus regarder la barbarie en face. Il suffit de trouver un « expert » pour expliquer qu’en fait l’homme est toujours agi, inconsciemment, par des forces externes ou internes qu’il ne peut ni contrôler, ni neutraliser. « Dormez braves gens, ce n’était pas de sa faute »…

Dans le cas de Traoré, qui avant ses 28 ans n’avait jamais fait aucune crise délirante (ce qui est assez tardif pour une première BDA chez un fumeur de cannabis récurent), le refus du pouvoir judiciaire d’interroger le contexte culturel et religieux dans lequel il a grandi, évolué est particulièrement prégnant. Les pincettes avec lesquelles ce sujet est abordé dans les médias illustrent le malaise ambiant sur la dimension culturelle des passages à l’acte ultra-violent de ces délinquants et criminels qu’on a inscrit dans notre paysage judiciaire comme une évolution insignifiante. L’effet du nombre sert à justifier la banalisation alors qu’il illustre au contraire une terrible situation, un danger auquel toute la société est exposée.

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La dimension antijuive du crime de Traoré ne fait guère de doute, qu’il ait été délirant ou non, c’est l’identité juive de sa victime qui a décuplé sa violence, il l’a reconnu devant la juge lors de son audition ce qui a obligé cette dernière à retenir ce facteur aggravant. Mais au-delà, cette tendance à la psychiatrisation et psychologisation des faits sociaux liés à la délinquance et la criminalité doit nous interroger. Il est fort probable que les grands criminels de l’Histoire étaient atteints de pathologies psychiques, mais qui oserait remettre en cause leur responsabilité dans les massacres ou exterminations qu’ils ont ordonnés, planifiés, exécutés à l’aide « d’hommes ordinaires » qui devaient tout de même être aussi « un peu dérangés » ? Des études en psychologie sociale ont montré qu’il existe une catégorie d’êtres humains capables de résister à la pression du groupe, de refuser la soumission à une autorité qui vous ordonne d’assassiner votre voisin qu’il soit « un sheitan » ou « un cancrelat » comme les Tutsis étaient désignés par le pouvoir hutu. Kobili Traoré n’est apparemment pas de ce genre humain-là. Que la justice y voit un élément à sa décharge justifiant d’ici quelque temps sa remis en liberté, peut légitimement nous glacer d’effroi.

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