Après l’affaire Weinstein, la parole des femmes est devenue sacro-sainte. Dès lors, pourquoi s’embarrasser des principes du vieux monde que sont la présomption d’innocence et le respect des règles de la justice ?
Ils sont les œufs que l’on casse pour faire les omelettes de l’histoire. Parmi les nombreux hommes qui, au cours des derniers mois, ont vu leur existence ruinée par des accusations plus ou moins étayées, on en évoquera deux : Jean-Baptiste Prévost, 34 ans, ancien président de l’UNEF et ex-étoile montante du Parti socialiste, et Jean-Claude Arnault, 71 ans, que les médias ont surnommé le « Weinstein suédois ». J’ignore s’ils se sont rendus coupables des agissements qui leur sont prêtés ou reprochés. Mais tous deux ont déjà été condamnés à la mort sociale par les médias, alors même qu’aucune procédure ne vise Prévost et que Jean-Claude Arnault attend son procès en Suède.
Mort par médias
Le 28 novembre 2017, Le Monde publie une « Enquête sur un système de violences sexistes au sein de l’UNEF » mettant nommément en cause Jean-Baptiste Prévost, qui a présidé l’organisation de décembre 2007 à avril 2011, tout en reconnaissant « que les faits rapportés ne relèvent pas a priori d’une incrimination pénale » (mais au pire de la drague lourdingue) ; en même temps, paraît une tribune d’anciennes militantes anonymes qui dénoncent, sans nommer leurs agresseurs, des agressions sexuelles et des viols. Le jeune homme qui a occupé divers postes de conseiller dans des ministères des gouvernements Valls a alors trouvé refuge à l’ambassade de France à Malte. Le 29 novembre, il reçoit sa lettre de licenciement.
Au Quai d’Orsay, on veut bien recaser les copains, mais respecter la présomption d’innocence, faut pas exagérer. Le 20 février, c’est au tour de Libé d’y aller de sa une : « Viols, agressions, harcèlement : les témoignages qui accablent l’UNEF ». Or, bien que Prévost ne soit pas mis en cause nommément par ces témoignages, sa photo figure en gros plan, avec en exergue, cette citation charmante : « J’ai senti quelque chose de dur contre mes fesses. Je lui demande d’arrêter. Et il me dit à l’oreille : « si tu veux rester vierge, tu peux me sucer ou je te prends par derrière ». » L’ennui, c’est que, contrairement à ce que raconte la mise en page, avec une claire intention de nuire, ce n’est pas à Prévost que ces propos sont attribués. On imagine combien il est simple de trouver du travail, alors qu’il suffit de googliser son nom pour tomber sur l’article. Certes, il pourrait gagner le procès en diffamation qu’il a intenté à Libération, mais aucun tribunal ne lui rendra sa vie gâchée.
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Le cas de Jean-Claude Arnault est encore plus douloureux, car lui encourt, en plus du bannissement, dix ans de prison s’il est reconnu coupable des faits pour lesquels il se proclame innocent. C’est déjà un homme brisé que je rencontre dans un restaurant parisien. Il a néanmoins conservé son allure, et un vague petit air de Laurent Terzieff qui a dû lui valoir quelques faveurs féminines. Arrivé en Suède à l’âge de 20 ans, Jean-Claude Arnault est devenu, au cours des années 1970, l’une des coqueluches de l’intelligentsia suédoise. Marié à la poétesse Katarina Frostenson, l’un des 18 membres de l’Académie suédoise (qui décerne aussi le prix Nobel de littérature, ce qui, en l’occurrence, n’est pas sans importance), il a animé un petit cercle situationniste avant de créer Forum, un centre culturel et associatif, où il était bon d’être vu pour les jeunes artistes désireux d’être repérés par la critique. Et bien qu’il se défende aujourd’hui de toute influence sur son épouse, on parlait parfois de lui comme du « 19e membre du Nobel ». Bref, on l’imagine volontiers comme un beau parleur de gauche, peut-être comme un type imbuvable. Pas vraiment comme un violeur.
« N’oubliez pas que les pasteurs faisaient la loi »
Il se décrit comme un homme galant, qui aime complimenter les femmes et les séduire, ce qui, précise-t-il, n’a jamais été bien vu dans un pays qui derrière sa réputation de royaume de la liberté sexuelle est resté terriblement luthérien. « N’oubliez pas que les pasteurs faisaient la loi dans les villages et que la notion de honte publique y était très forte. » Il ajoute que sa nationalité française, qui a longtemps été un petit supplément de charme, est devenue, au fil des années, plus lourde à porter.
Le 21 novembre, sa vie et celle de son épouse basculent dans l’enfer. À six heures du matin, il est réveillé par un coup de fil de Dagens Nyheter, le principal tabloïd suédois, qui lui demande de commenter les informations qu’il s’apprête à publier. Dix-huit femmes (autant que de membres de l’académie) l’accusent, décrivant des scènes épouvantables de harcèlement, de tentatives de viol et de viols. Curieusement, les médias français qui évoquent l’affaire, comme L’Express, oublient de préciser que plus de la moitié des accusatrices sont anonymes. Parmi celles qui témoignent à visage découvert, Arnault dit qu’il n’a jamais eu aucune relation avec la plupart et reconnaît seulement une aventure passée avec l’une d’elles. Du reste, après quatre mois d’enquête policière, seules les accusations formulées par cette dernière ont été retenues par les juges, toutes les autres ayant été balayées faute d’éléments probants ou parce que les faits étaient prescrits.
Le « Weinstein suédois »
Dans la foulée de la publication de DN, Sara Danius, la nouvelle secrétaire perpétuelle de l’Académie suédoise, affirme au cours d’une conférence de presse que le Français a « harcelé et agressé des académiciennes, des femmes d’académiciens, ainsi que certaines de leurs filles et des salariées de l’Académie suédoise ». Elle commande une enquête à un avocat qui fournit, d’après Arnault, 300 pages de ragots. Toujours d’après lui, Sara Danius convoque également son épouse et la menace de divulguer le rapport de l’avocat si elle refuse de démissionner de l’Académie.
En vingt-quatre heures, Jean-Claude Arnault devient le « Weinstein suédois ». De fait, il a au moins un point commun avec le producteur américain: tous ceux qui lui mangeaient dans la main la veille et se détournent de lui avec des mines outragées. Des milliers d’articles, tous à charge, paraissent avec sa photo et celle de son épouse. Parmi ses amis, quelques-uns tentent de le soutenir, puis jettent l’éponge pour ne pas connaître à leur tour le bannissement.
L’ombre du tribunal Metoo
Forum est fermé et il doit littéralement fuir en France où, au moins, on ne le connaît pas. Si Arnault est, comme il le dit, blanc comme neige, comment expliquer l’acharnement de ses accusatrices ? Lui se dit victime par ricochet des luttes d’influence à l’intérieur de l’Académie. Ce sont, dit-il, des proches du parti féministe suédois – qui cherchent depuis des mois à leur nuire, à lui et son épouse – qui ont tout manigancé.
En réalité, seul un tribunal pourra faire la lumière sur cette ténébreuse affaire. Encore faut-il qu’il puisse juger. Or, dans le climat passionné – et passablement haineux – qui entoure l’affaire, même le bâtonnier de Stockholm, qui est une bâtonnière, semble douter qu’il puisse bénéficier d’un procès serein et équitable. Les partisans de la révolution Metoo n’ont que le mot justice aux lèvres. On aimerait que leur main et leur plume tremblent quand ils ont le pouvoir de détruire la vie d’hommes qui, quoi qu’ils en pensent, sont aussi des êtres humains.