Depuis son entrée dans l’euro, l’Italie s’enfonce dans la récession et creuse sa dette publique. Entravée par les cures d’austérité successives, la faible croissance italienne ne peut résorber les déficits. D’autant que Rome ne peut compter sur la mutualisation de sa dette.
Emmanuel Macron, meilleur anglophone que votre serviteur, aurait gagné à lire l’article qu’un chroniqueur du Financial Times a récemment consacré à la dette publique italienne. John Plender résume en deux phrases quarante années d’histoire de notre voisine. « J’avais coutume de dire dans les années 1980 que l’Italie était une bonne économie entravée par un État inopérant. Aujourd’hui, la troisième économie de la zone euro est faible et entravée par une union monétaire dont l’impact est clairement néfaste. » On subodore que John Plender n’est pas un de ces journalistes ravis de la crèche européenne.
Une dette supérieure à 130 % du PIB, la deuxième de la zone euro
L’auteur souligne que le revenu par tête en Italie est aujourd’hui inférieur à ce qu’il était au moment de la création de l’euro et rappelle que les dirigeants politiques ont joué constamment le jeu de l’austérité budgétaire imposée par Bruxelles, au point de réaliser des excédents primaires, ce qui signifie que les dépenses sont inférieures aux recettes, hors intérêts dus sur la dette accumulée.
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John Plender aggrave son crime de lèse-majesté européenne quand il nous dit que l’union monétaire a installé un taux de change inapproprié, tout particulièrement pour le secteur manufacturier qui souffre d’un « écart de compétitivité de 30 % vis-à-vis de l’Allemagne ». Et il ne voit pas comment réaliser la déflation des salaires qui résorberait cet écart. Par voie de conséquence, l’Italie s’enfonce dans un chômage chronique qui atteint des proportions ravageuses chez les jeunes, avec un taux de 35 %.
En dépit des efforts d’austérité accomplis par tous les gouvernements des vingt dernières années sans exception, ce qu’oublient de dire nos médias, l’État italien est aujourd’hui affligé d’une dette supérieure à 130 % du PIB, la deuxième de la zone euro. Tous les efforts accomplis entre 2000 et 2008, qui avaient permis de la réduire à 105 % du PIB ont été annulés et au-delà par les trois récessions successives qui ont crucifié l’Italie entre 2008 et 2016. Et la seule échappatoire, qui consisterait à monétiser la dette discrètement, est interdite par l’union monétaire qui joue ainsi deux fois son rôle de souricière.
L’Angleterre a mis un siècle
C’est là que le cas de John Plender devient pendable : « Les leçons de l’Histoire ont montré que des niveaux très élevés de dette n’ont pu être que rarement ramenés à des niveaux acceptables sans une répudiation formelle ou un défaut informel par l’inflation. » L’Angleterre offre un cas exceptionnel de réduction normale de la dette, mais il lui a fallu quatre-vingt-dix-huit ans pour résorber l’immense dette issue des guerres contre Napoléon, et il s’agissait alors de la première puissance industrielle, bancaire et maritime du monde durant la période concernée ! En sens inverse, l’Italie a pu digérer la dette issue de la Première Guerre mondiale au prix de deux répudiations partielles prononcées par Mussolini, avant d’effacer par l’inflation celle provoquée par la Deuxième.
La conclusion s’impose : l’Italie ne peut rembourser sa dette, non plus que la Grèce, le Portugal ou l’Irlande. La France, l’Espagne, la Belgique sont à la merci d’un ralentissement ou d’une récession qui porterait leurs dettes publiques au niveau de celle de l’Italie. Les Européens sont pris au piège qu’ils se sont tendu à eux-mêmes en adoptant l’unification monétaire.
Banques et Etats comme larrons en foire
De plus, l’accusation serait incomplète si on ne rappelait pas que l’essentiel des dettes ainsi accumulées au fil du temps se trouve aujourd’hui dans les comptes des grands agents financiers : les fonds de placement, les sociétés d’assurance et les banques, surtout les banques. L’achat des dettes publiques par les banques est la face cachée de notre histoire financière récente. Il s’est fait en deux temps.
Dans un premier temps, il y a près de quarante ans, les banques ont offert aux États de les délivrer de la patate chaude des déficits en escomptant ferme leurs nouveaux emprunts, autrement dit en achetant des titres d’État. La complicité qui s’est établie ainsi, en arrière-plan du débat officiel, explique entièrement l’inertie des États face aux comportements dévoyés de la corporation bancaire : un troc a été passé au terme duquel les gouvernants s’abstenaient de réglementer les activités financières en contrepartie du soutien formel que les banques accordaient à leur endettement.
Et l’argent fut
Plus tard, avec la crise de l’euro, la situation de dépendance réciproque des États et des banques s’est renforcée sous la conduite de la BCE. Pour sauver les États et les banques avec eux, tout en sauvant l’euro, cela va de soi, il a fallu soutenir à toute force la valeur des dettes publiques, qui s’était affaissée ou effondrée. C’est la raison d’être du quantitative easing mené de la main du maître Draghi. Avec l’argent tombé du ciel de la BCE, les banques ont continué à acheter les emprunts nouveaux émis par les Trésors publics en acceptant les taux les plus bas de l’Histoire. L’Allemagne emprunte aujourd’hui à 0,4 %, la France à 0,8 %, l’Espagne à 1,3 %. Et c’est là la raison pour laquelle les dettes publiques se sont stabilisées dans les pays du Sud. Des États potentiellement insolvables sont traités comme les débiteurs les plus fiables qu’on ait jamais vus sur les marchés du crédit. Cherchez l’erreur.
Dans le monde financier, personne n’est dupe de cette manipulation, dont on sait bien qu’elle apparaîtra au grand jour à la prochaine crise.
Dettes, un savant mélange
Reste la ressource de la mutualisation des dettes publiques de la zone euro, solution que notre président avance avec conviction depuis qu’il est installé à l’Élysée. L’idée n’est pas nouvelle puisque certains financiers l’avaient préconisée dès l’éclatement de la crise de l’euro. Cette mutualisation serait assortie d’un contrôle des dépenses à partir de Bruxelles, qui marquerait la fin de la souveraineté budgétaire des États. Le nerf de la guerre serait dans les mains d’un bureaucrate plus ou moins germanique.
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J’aimerais cependant insister sur un point oublié par le débat public : le mélange des dettes de l’Europe du Sud, du Nord et d’ailleurs rappelle étrangement les CDO, ces titres financiers qui combinaient divers titres de qualités diverses allant du subprime rate au prime rate et qui ont joué un rôle décisif dans la crise financière de 2008[tooltips content= »La récession de 2008 a porté la dette publique française de 65 % à 85 % du PIB, la crise de la zone euro l’a portée à près de 100 % »]1[/tooltips]. La mutualisation des dettes publiques de la zone euro, avec la création d’un titre agrégeant des créances subprime grecque, italienne et portugaise, des titres prime allemand et néerlandais, et la qualité intermédiaire française et belge, pourrait bien entraîner une récidive du processus. Imposer par ce biais une solidarité financière entre les clochards du Sud et les nantis du Nord revient, purement et simplement, à prendre en otages l’économie et le contribuable allemands pour préserver les banques et l’euro. Raison pour laquelle Berlin fait obstacle aux demandes de Paris. Reste que celles-ci trahissent la nature du projet européen de Macron. On peut se demander s’il est un militant de l’Europe intégrée ou un majordome de la corporation bancaire. Sans doute un peu les deux, car il incarne à merveille la dialectique de l’idéologie et des intérêts qui est au cœur de l’expérience néolibérale.
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