La polémique qui se développe sur la question des cinq cents parrainages d’élus nécessaires pour être candidat à l’élection présidentielle est le signe évident que ce système ne fonctionne plus. A l’origine, il était destiné à limiter le nombre de candidats fantaisistes, ou seulement désireux de bénéficier d’une présence médiatique dans le cadre de la campagne officielle. Instauré en 1976, ce dispositif était calibré pour qu’un parti, ou un courant d’idée disposant d’une implantation militante à l’échelle nationale puisse avoir accès au débat public majeur de notre vie politique.
Le vivier de plus 40 000 élus, pour la plupart maires sans étiquette de petites communes (une exception française !) devait, dans l’esprit du législateur, suffire à garantir un minimum d’équité dans l’accès à la candidature.
Trente-cinq ans plus tard, le paysage de notre démocratie locale a été considérablement modifié : l’intercommunalité, qui couvre actuellement plus de 95% du territoire rend les « petits maires » beaucoup plus dépendants, sur le plan budgétaire, des élus de communes plus importantes. Ces derniers sont dans leur grande majorité affiliés à des partis politiques, et sont – c’est humain !- fortement tentés de faire pression sur leurs collègues pour les dissuader d’accorder leur parrainage à un candidat, ou une candidate risquant de présenter un danger pour le champion de leur parti.
Inversement, ils peuvent inciter ces maires de petites communes à promettre leur signature à un candidat susceptible de gêner leur principal adversaire politique.
Cet effet pervers apparaît dans toute sa nocivité avec le cas Marine Le Pen. N’étant pas marmiton dans la cuisine électorale du Front national, je suis dans l’incapacité de trancher sur le fait que cette dernière bluffe ou pas quand elle sonne l’alarme en affirmant qu’elle risque ne pas obtenir les cinq cents signatures exigées. Néanmoins, je constate que les édiles de mon voisinage sont de plus en plus réticents à apparaître publiquement comme parrains d’un candidat : la satisfaction d’avoir contribué à l’expression du débat démocratique ne compense pas, et de loin, les désagréments causés par la publicité donnée à leur geste. Le « qui parraine qui ?» est devenu un marronnier de la presse quotidienne régionale lors de chaque élection présidentielle, ouvrant la voie à leur mise en cause par des citoyens qui confondent parrainage et soutien politique.
Je constate également que les formations politiques dont la pratique est la plus proche des sectes ou religions prosélytes faisant du porte à porte comme le Parti ouvrier européen de Jacques Cheminade, ou Lutte Ouvrière de Nathalie Arthaud, recueillent plus aisément des parrainages que des aspirant candidats représentant un courant de pensée de l’arc politique classique, comme Nicolas Dupont-Aignan ou Christine Boutin.
Enfin, est-il juste de faire reposer sur les seuls maires ruraux le bon fonctionnement de notre démocratie ? C’est un peu comme si l’on confiait aux aides-soignants des hôpitaux le soin de choisir les bons docteurs capables de traiter un patient…
Comment s’en sortir ? On pourrait, par exemple, décider que seuls les partis ayant obtenus 5% des suffrages lors d’un scrutin national au cours du quinquennat écoulé soient habilités à présenter un candidat à l’élection présidentielle. Si cette règle avait été instituée pour celle de 2012, L’UMP, Le PS, le Modem, le Front National, le Front de Gauche et EELV auraient pu concourir. Quant aux trotskistes, ils auraient sans doute, comme ils l’ont fait en 2004, présenté des listes communes de leurs diverses chapelles aux européennes ou aux régionales pour tenter d’être présents lors de la présidentielle.
Cette proposition ne règle pas le cas urgent de Marine Le Pen, dont l’absence forcée lors du scrutin du 22 avril prochain causerait un dommage certain à l’image de notre démocratie, notamment à l’étranger. Au cas où son incapacité à recueillir les cinq cents parrainages serait avérée, il reviendrait aux grands partis d’éviter la catastrophe d’une élimination « technique » d’un courant politique peut-être haïssable, mais dans lequel un grand nombre d’électeurs semblent se reconnaître. Ainsi, un accord entre le PS et L’UMP (et peut-être d’autres partis représentés au Parlement) pourrait décider de compléter la liste des parrains de la candidate FN en les tirant au sort parmi les députés et sénateurs de ces formations, ce qui les exonèrerait de tout procès de connivence avec la bête immonde.
Cette solution aurait également l’avantage de rendre plus difficile pour Mme Le Pen de se présenter comme une candidate « anti-système », alors même qu’elle devrait à ce système de pouvoir concourir.
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