Une pensée (démocratiquement) vilaine, m’a effleuré. Si Marine Le Pen n’avait pas ses 500 signatures, on ne respirerait pas mieux ? Parce qu’apparemment, cette fois-ci, ce n’est pas du bluff. On était habitué de la part du père à une dramatisation spectaculaire de la question en 2002 comme en 2007. Une bonne intox pour attirer l’attention, l’inespérée tribune dans les média, la focalisation sur le FN en pleine campagne présidentielle, et pas un rond versé à des communicants pour faire parler de soi. Du grand art, comme dans le vieux manuel chinois des 36 stratagèmes : se défaire d’une brique pour attirer le jade, stratagème 17, prévu pour les batailles offensives. Le leurre parfait. On force les autres à se poser de graves interrogations sur la démocratie alors qu’ils ne parlent que de vous. A la fin, matois et réjoui, le Menhir ressortait tout faraud du Conseil Constitutionnel, avec 533 parrainages en 2002 et 507 en 2007. Ce n’était pas Byzance mais le pari était relevé.
En 2012, l’angoisse de Marine Le Pen ne semble pas feinte. Les maires renâclent. Je ne sais pas, comme l’a évoqué ici Frédéric Rouvillois, si ce système est mauvais et renvoie au suffrage censitaire. C’est celui, en tout cas, avec lequel on doit faire. ll n’est certainement pas idéal mais demandons-nous en même temps pourquoi ces passages ric et rac ne touchent, dans les grands partis, que le Front National. Alors que les sondages nous indiquent un niveau d’intentions de vote sans précédent pour Marine Le Pen, aux alentours de 20%. On pourrait penser que cette difficulté est due à l’incapacité du FN, en bientôt trente ans de présence à haut niveau électoral, à s’ancrer localement. On n’aura pas la cruauté de s’attarder sur les fiascos municipaux de 1995. Parce que prendre une mairie, c’est bien mais savoir la garder, c’est mieux. Un parti, ça ne vit pas sans élus de base et le FN paye sa conception tribunicienne de la politique. Ce qui compte, c’est la protestation. On fait un score d’enfer dans les rendez-vous nationaux et on sert de défouloir à la population qui revient au bercail au second tour. Ces villes minières du Pas de Calais, par exemple, qui aux présidentielles de 95 donnaient plus de 40% à Le Pen père mais élisaient à 60% Jospin au second.
Pour prendre les exemples qui fâchent, je suis bien évidemment sûr que Mélenchon a déjà ses 500 signatures. Et même plus que ça. C’est que la France a encore pas mal de mairies communistes. Les communistes se vautrent joliment aux présidentielles, depuis quelques temps, mais leurs élus locaux, eux, ont la cote. Même auprès de citoyens moyennement convaincus par le matérialisme dialectique et l’appropriation collective des moyens de production. C’est comme ça, tout le monde n’a pas la chance d’avoir des maires communistes.
Qu’un mode de scrutin majoritaire empêche le FN d’avoir des élus à l’Assemblée nationale, on peut accepter l’explication. Mais des mairies tout de même : il suffit d’une bonne équation personnelle, d’une implantation locale, d’une impression de compétence. Toujours pour rester dans les sujets qui fâchent, aux municipales de 2008, le PCF dont on nous serine le déclin inéluctable, a, contrairement au FN, (re)conquis des mairies comme Dieppe, Roissy en Brie ou Vierzon. Il faut croire que l’on fait plus confiance au FN pour l’incantation que la remunicipalisation de l’eau.
Mais il y a tout de même quelque chose de scandaleux à ces difficultés. On peut penser que la conversion sociale de Marine Le Pen est de circonstance, que l’électorat ouvrier est proprement manipulé, qu’on le pousse à se tromper de colère et à trouver des boucs émissaires qui n’en peuvent mais. C’est bien connu, comme l’antisémitisme hier, la dénonciation de l’immigré, c’est le socialisme des imbéciles. La formule n’est pas de moi. Plus poliment, je dirai que c’est le socialisme de ceux dont la conscience de classe a disparu.
On dit, pour expliquer les difficultés de Marine Le Pen, qu’il faudrait chercher du côté de Debout La République et de Dupont-Aignan. Que ses militants ont réussi à convaincre les élus susceptibles de parrainer une candidature FN que le souverainisme social et gaulliste de NDA est quand même plus propre sur lui. Si c’est vrai, c’est de bonne guerre, surtout de la part d’un candidat aussi maltraité par les médias et les sondages.
On pourra trouver beaucoup plus critiquables, en revanche, les consignes données aux maires UMP ou non-inscrits (non-inscrit, ca veut dire de droite, mais seulement à la campagne.). Pas une signature pour Marine, dont la courbe sondagière flirte dangereusement avec celle du Président. Evidemment, ce n’est pas par vertu que ces consignes sont données ou ces pressions exercées. C’est simplement le syndrome Frankenstein, quand la créature échappe à son créateur. Demandez à Claude Guéant ou à Brice Hortefeux, ils voient très bien de quoi je parle.
Il faut donc que Marine Le Pen ait ses cinq cents signatures. Pour une raison bien simple, c’est qu’une campagne force à dévoiler un programme et que manifestement, cela ne va pas être le fort du Front National qui a du mal à s’écarter des généralités pour entrer dans le chiffrage. Et puis aussi parce que pour la gauche, la vraie, c’est l’occasion ou jamais de relever le défi, d’oublier Terra Nova et de se souvenir du peuple.
La vraie victoire idéologique ne serait pas une Marine Le Pen absente du scrutin présidentiel mais une Marine Le Pen doublée par Mélenchon le soir du premier tour. Improbable ? On ne perd que les batailles qu’on ne mène pas. C’est le trentième stratagème : changer la position de l’invité et de l’hôte.
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