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Pierre et Jean-Jacques, si proches, si lointains


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Pierre Goldman, Jean-Jacques Goldman. Sipa. Numéro de reportage : 00106648_000002. • Numéro de reportage :00544969_000001.

La journaliste Ambre Bartok publie un beau portrait de Pierre Goldman et Jean-Jacques Goldman, deux frères qui ont embrassé deux destinées parallèles. Le génie dialectique de l’un, l’engagement artistique et humanitaire de l’autre, s’enracinent dans une même lignée ashkénaze saignée par les drames du XXe siècles. 


Qui se souvient de Pierre Goldman ? Ce nom évoque parfois aux fans du chanteur Jean-Jacques Goldman, son frère assassiné à seulement trente-cinq ans en 1979, resté célèbre pour son procès, ses deux livres fracassants et son style inimitable d’intellectuel marxiste frayant avec les voyous. Vendus à 60 000 exemplaires en quelques semaines, ses Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France retracent sa destinée de révolutionnaire en quête de révolution, entre hold-ups parisiens et épopée vénézuélienne. « J’étais disponible pour toute aventure (révolutionnaire), si désespérée fût-elle, pourvu qu’elle me jetât dans un affrontement authentique, historique. », glissa-t-il à ses lecteurs.

Du Yiddishland à Paris

Styliste à nul autre pareil, maniant l’imparfait du subjonctif comme un prêcheur du Grand Siècle, le héraut tombé sous les balles d’un mystérieux commando (ETA, droite radicale, ex-guerilleros vénézuéliens ?) est à l’honneur du livre d’Ambre Bartok sobrement intitulé Les Goldman (Pygmalion, 2018).

Dans cet exercice d’admiration au style ciselé, l’ex-journaliste de Canal + reconstitue avec maestria l’humus familial askhénaze. Modestes commerçants engagés dans la Résistance au nom d’idéaux universalistes, Alter Mojze Goldman (« ce petit tailleur juif reconverti en mineur ») et Ruth Ambrunn Goldman sont nés au cœur du Yiddishland avant de gagner la France, cet eldorado qui aurait pu devenir leur tombeau. Si Pierre est né d’une première union d’Alter Mojze avec une Juive polonaise revenue au pays pour y mener son combat communiste, Ruth le reconnut également comme son fils, au même titre que Jean-Jacques. Chez ces Juifs idolâtrant le savoir, il est entendu que « l’askhénaze ne sait pas reposer son esprit », qu’il déploie son génie intellectuel comme Pierre, ou l’emploie à l’étude du piano et du violon façon Jean-Jacques. Fille de psychanalyste d’origine hongroise, Ambre Bartok sait de quoi elle parle lorsqu’elle dépeint ces tablées modestes où l’amour filial se dispense d’une débauche de cris et de gestes.

Saigné par la Shoah, l’Askhé se tourne pour pleurer, versifier ou composer des chansons, à l’instar du très discret Jean-Jacques Goldman, depuis longtemps fâché avec des journalistes qui l’atterrent. Aux tubes du cadet, dont l’auteur exagère sans doute la portée philosophique, répondent les méditations de l’aîné Pierre, lequel « a écrit sur le judaïsme plus que sur tout autre sujet » en un temps où gauche radicale et judéité n’étaient pas des sœurs fâchées. Effaçons-nous un instant devant sa finesse dialectique : « Les juifs sont le peuple de l’exil infini et ils sont également le peuple du Livre qui n’a jamais pris à la lettre la lettre du Livre : les juifs sont le peuple de la fidélité absolument infidèle, de l’optimisme absolu absolument pessimiste, des croyants absolus absolument mécréants, le peuple du dogmatisme absolu absolument sceptique. » Jean-Jacques, athée mais « aussi juif qu’un rabbin » confesse ne pas connaître la signification exacte de Roch Hachana mais qu’importe, le fil de la transmission traverse ce fils de héros. « Où qu’il soit diasporé, l’askhénaze depuis les camps ne croit plus en Dieu dans sa majorité », constate Bartok.

Quelques années à Fresnes

C’est certainement en pensant à sa lignée remontant au fond des âges que l’auteur-compositeur-interprète a osé déclarer en 1996, tandis qu’on l’interrogeait sur Israël : « Je ne suis pas du tout persuadé, comme Mme Rabin, qu’en étant plus gentil, la paix peut survenir (…) On n’est pas en Bretagne ! »

Tout aussi pétri d’identité juive, Pierre Goldman avouait néanmoins ne pas pouvoir adhérer au projet israélien. Non qu’il adhère au prêchi-prêcha humanitariste qui dégouline aujourd’hui sur l’extrême gauche pro-pal. L’homme était simplement réfractaire aux nations, à commencer par la France, qu’à la différence de Jean-Jacques, il percevait comme une patrie antisémite. A sa décharge, son procès pour assassinats dans une pharmacie du boulevard Richard-Lenoir (un acte perpétré fin 1969 qu’il nia jusqu’à sa mort et reste inélucidé depuis) fut émaillé de dépositions aux relents judéophobes. Libéré après quelques années de détention à Fresnes qui lui inspirèrent des lignes exaltées, tel un poète infréquentable, l’interlope Pierre, amateur de musique cubaine, ne pouvait souffrir la France de papa, qu’il croyait engoncée dans son pétainisme larvé. Lorsqu’ils n’étaient pas voyous, les amis de ce fou génial avaient pour nom Serge July, Alain Krivine, ou Pierre Bénichou, là où son frère fraie avec la gauche socialiste tout en écrivant pour Céline Dion, Johnny Hallyday mais aussi Ray Charles et Joe Cocker.

Le regretté Pierre Goldman a laissé deux livres, dont L’Ordinaire mésaventure d’Archibald Rapoport, roman dont le héros s’appelle Archibald Israël de façon à ce « qu’une absurdité atténuât et cachât la pesanteur du second prénom », comme il s’en amusait.

Un authentique écrivain

C’est peu dire qu’Ambre Bartok nous transmet le goût de sa prose. Son livre-portrait refermé, je me suis précipité sur les sites d’occasion pour me constituer une petite bibliothèque Pierre Goldman. Happée par son sujet, Bartok nous prouve sans difficulté la nature du mensch Jean-Jacques Goldman, certes richissime mais humble, aussi soucieux de l’avenir de ses enfants qu’engagé dans Les Restos du cœur et autres bonnes œuvres. Quant à Pierre, attend-il vraiment une réhabilitation ? Son esprit grinçant, qui transparaît ici et là dans des saillies de son frère, ne s’accommode guère de moraline. Ainsi vogue la littérature.

Les Goldman, Ambre Bartok, Editions Pygmalion, 2018.

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est journaliste.

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