Réchappé de quatre ulcères, le journaliste gastronomique allemand Jörg Zipprick s’est soigné en arrêtant la malbouffe industrielle. Trente ans plus tard, sa croisade contre la cuisine moléculaire et ses poisons chics fait oeuvre de salubrité publique. Portrait.
Depuis son invention il y a deux siècles par Grimod de la Reynière (1758-1837) et Brillat-Savarin (1755-1826), le journalisme gastronomique regroupe trois grandes catégories d’adeptes. Il y a d’abord les justiciers, les pourfendeurs de la « malbouffe », toujours prêts à dénoncer des magouilles (déjà, à l’époque, Grimod de la Reynière se plaignait que l’on ne sût plus préparer les andouilles correctement…). Il y a ensuite les esthètes, dandys gentiment réactionnaires pour qui la nourriture relève d’un véritable art de vivre et permet de se réconcilier avec l’état du monde présent : ceux-ci préfèrent transmettre leurs émois que ruminer leur fiel. Entre les deux, se coagulent les courtisans et les mondains, toujours invités où il faut, à l’affût des dernières tendances qu’ils prétendent « décrypter » pour nous. Installé en France depuis une trentaine d’années, le journaliste allemand Jörg Zipprick (« maniaque » pour les uns, « incorruptible » pour les autres) appartient d’un bloc à la première catégorie, dont il est même devenu l’archétype au point d’avoir été surnommé « l’Eliot Ness de la critique gastronomique » par ses pairs. Non pas que traquer les conflits d’intérêts à la tête du Guide Michelin, comme il le fit avec courage en 2010, un an avant que le directeur du plus célèbre guide gastronomique du monde soit poussé à la démission, soit en soi passionnant ; mais à l’heure où la chronique gastronomique est devenue aussi plate qu’une limande (et tellement complaisante !), il est utile que quelqu’un se dévoue pour faire le « sale boulot » et rappelle certaines règles de déontologie à ceux qui, précisément, prétendent être prescripteurs…
« 90% des grands chefs se fournissent chez Metro et non chez les fameux petits producteurs qui, en réalité, crèvent de faim »
Né en 1965 à Cologne, dans un pays et à une époque où la nourriture était 100 % industrielle, à l’image du poulet congelé qui puait le poisson quand on le cuisait façon Jacques Tricatel dans L’Aile ou la Cuisse, (on a eu la même chose en France), Jörg Zipprick n’était pas particulièrement destiné à devenir la terreur des chefs et des guides, si ce n’est, peut-être, par son enfance dans le jardin potager de sa grand-mère paysanne à Königsberg où il apprit très tôt à identifier et à mémoriser le vrai goût d’une pomme juteuse cueillie sur l’arbre ou d’une quenelle de veau fermier faite main et cuite au vin blanc avec des harengs et des câpres ; « un
