L’annonce de la programmation du rappeur Médine au Bataclan a provoqué la colère de certaines familles de victimes du 13 novembre 2015. Le chanteur, lui, accuse « l’extrême droite » d’instrumentaliser l’affaire.
Le gars, il ne doute de rien. Il veut se payer le Bataclan, rien que ça, trois ans après. L’air de rien.
L’air en question, c’est quand il te sort un titre tout plein d’amour et de tolérance, bon, faut lire entre les lignes, hein. Ça s’appelle « Don’t Laïk », et il y a plutôt tendance à éructer qu’à susurrer : « Crucifions les laïcards comme à Golgotha », « Si j’applique la charia les voleurs pourront plus faire de main courante », « Je scie l’arbre de leur laïcité avant qu’on le mette en terre », « J’mets des fatwas sur la tête des cons » et autres amabilités.
C’est pas ma faute à moi…
Pas de bol, cette déclaration d’amour à la laïcité et à la lutte contre la radicalisation inonde les bacs pile une semaine avant le massacre de Charlie Hebdo. Les mecs ont dû prendre le coup de la fatwa au premier degré, c’est pas de la faute de Médine, tout le monde ne comprend pas la poésie subtile.
Re-pas de bol, d’autres malcomprenants décident une fatwa sur la tête des mécréants qui assistent à un concert à la gloire du Sheitan, du moins le croient-ils, car le groupe s’appelle « Eagles of Death Metal ». Ils débarquent, en rigolant ils massacrent le public, bim les cervelles, bam les tripes, qu’est-ce qu’on se marre, et ils s’en vont rejoindre les houris, là-haut, en espérant qu’elles aient de quoi recoller les morceaux.
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En tout cas, Médine, il n’y est pour rien. Véhiculer de la haine, lui ? C’est tout le contraire ! Tenez, en 2005, quand il a sorti son disque « Jihad », le sous-titre c’était « le-plus-grand-combat-est-contre-soi-même », faut les trouver, des formules de haute philosophie comme ça, il a fallu qu’il revoie Star Wars, quand y a Yoda qui cause. Comme il n’avait pas de sabre laser, il a fait avec un sabre tout court pour la pochette. Ça fait un peu décapitation, mais c’est une coïncidence.
L’extrême droite, vraiment ?
Alors, pourquoi on va lui chercher des poux ? Puisqu’il vous dit qu’il vous aime ! Tout ça, c’est un complot d’extrême droite, qui fait rien qu’à « détourner le sens de ses chansons ». Oui, mais ce n’est pas « l’extrême droite » qui a tué le 13 novembre 2015. Ce sont des gens dont l’idéologie a comme un air de famille avec ses paroles qui ont massacré 130 personnes et en ont estropié 413 autres. Au Bataclan. Là où il veut faire son spectacle.
Alors, ça coince un peu. Ça coince aussi parce que, dans le quartier, pas loin, habitaient Ilan Halimi, Sarah Halimi et Mireille Knoll. Tués parce que juifs. Or, qu’est-ce qu’il a fait, ce Médine qui aime tout le monde ? Il a un peu joué avec l’antisémitisme, une quenelle par-ci, une ovation par l’ami Kémi Séba (suprémaciste antisémite) par là… Il paraît qu’on n’a rien compris, que c’était une démarche artistique, ou de chercheur, ou de je ne sais quoi, c’était juste pour être « sur le terrain », quoi.
Sauf que, quand on met tous ces éléments bout à bout, le portrait qui s’en dégage perd un peu de sa beauté artistique. Outre qu’on peut légitimement se demander si Médine ne se foutrait pas ouvertement de notre gueule, il y a une notion bien vieille, bien oubliée, pas hyper branchée, qui s’appelle la décence. Et selon la décence, il n’a rien à y faire, au Bataclan.
Liaisons dangereuses
Et puis, il y a encore plus gênant que les paroles de Médine le rappeur. S’il peut toujours s’en tirer en invoquant la liberté d’expression de l’artiste, son appartenance au Havre de Savoir, association affiliée aux Frères musulmans, est une autre chanson. Qui trouve-t-on dans cette association dont il est un ambassadeur officiel ? Le CCIF, Nabil Ennasri, Samy Debah, tout le gratin de l’islamisme. Hani Ramadan y a ses entrées, cet islamiste radical assumé, l’homme pour qui une femme non voilée est comme « une pièce de deux euros ». Et là on se dit, non, ce n’est pas possible, l’islamisme ne peut pas fouler le sol du Bataclan.
Mais rien n’y fait. Déjà, une partie des gens qui font l’opinion volent à son secours en stigmatisant une réaction d’horreur populaire, qu’ils balaient avec mépris (« l’extrême droite, monsieur, l’extrême droite »). Les mêmes avaient volé au secours de Mehdi Meklat et de ses milliers de tweets nauséeux, emplis d’appels au meurtre, au viol, et de haine antisémite. Parce que c’était, soi-disant, une démarche littéraire. Les mêmes trouvent très bien le racisme indigéniste et ses attaques contre « la blanchité ».
L’insulte finale
Aux dernières nouvelles, des associations de familles des victimes s’indigneraient, elles aussi, de l’indignation contre la venue de Médine au Bataclan. C’est sidérant, mais c’est ainsi, comme si son jeu mortel avec des symboles de haine faisait écho à leur haine de soi.
Oublie-t-on, à la fin, qui est le plus grand perdant dans cette affaire ? Est-ce la décence ? Non. Est-ce la laïcité, la mémoire, l’unité nationale ? Pas davantage.
La défaite remonte à une date antérieure aux concerts de Médine, quand on a décidé qu’il ne fallait pas fermer le Bataclan, parce que la fête est plus importante que tout (et le tiroir-caisse, aussi). Cette défaite est celle de la réalité. Les concerts de Médine, c’est l’insulte finale, la déréalisation ultime d’une tragédie nationale, mise sous le tapis de la post-modernité, qui rime de plus en plus avec la soumission.
S’en inquiéter, s’en affliger, ça n’est pas d’extrême droite. C’est un devoir.
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