Laurent Wauquiez est devant un mur lisse, qu’il doit escalader. De temps en temps, il aperçoit une prise. Elle n’est pas forcément adaptée, mais il fait un petit détour pour l’accrocher. L’image du mur lisse n’est pas de nous. Elle est de Wauquiez lui-même. Confidence d’une hiérarque des Républicains (LR), qui traduit bien le désarroi du premier parti d’opposition en nombre de sièges au Parlement, à défaut de l’être dans les études d’opinion.
Le baudet Wauquiez et la harde des offusqués
Depuis qu’il a décidé de prendre la tête de LR, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes est devenu la cible préférée de la presse française. Marine Le Pen dans les choux, il supplante même Jean-Luc Mélenchon dans le hit-parade des détestations de l’intelligentsia. Tout est bon pour se payer Wauquiez. La séquence de la semaine dernière fut un modèle du genre. Wauquiez a été la cible pour deux raisons : l’affaire du tract « Pour que la France reste la France » et la photo en costard-cravate dans les ruines de Mossoul.
Passons rapidement sur la seconde : accompagné par Bruno Jeudy, rédacteur en chef à Paris Match, il s’est laissé photographier par ce dernier de manière improvisée. Bruno Jeudy a posté la photo sur Twitter, déclenchant les moqueries de la twittosphère. Un buzz savamment entretenu par les détracteurs habituels de Laurent Wauquiez qui l’auraient critiqué de la même façon s’il avait été vêtu en treillis, en tenue de plage, et même s’il avait suivi les conseils avisés de Cristina Cordula.
Accompagné du gouverneur de Mossoul, #Wauquiez dans les ruines de la vieille détruite à 90% par les milices de Daech @ParisMatch pic.twitter.com/6YlF2DopQt
— Bruno Jeudy (@JeudyBruno) 6 juin 2018
L’affaire du tract revêt un sens plus politique. Convaincu depuis quelques années que « l’insécurité culturelle » constitue un thème central dans les électorats de toutes les démocraties occidentales, Laurent Wauquiez dégaine un tract au slogan claquant comme un coup de fusil : « Pour que la France reste la France ».
« Pour que la France reste la France », ceux qui hurlent avec les loups face à notre slogan @lesRepublicains étaient étrangement silencieux lorsque @NicolasSarkozy avait souhaité « que la France reste la France » lors de son discours du Zénith en 2016
➡️https://t.co/EAnNuTFDOw pic.twitter.com/c5z5mLf5DR— Valérie Boyer (@valerieboyer13) 8 juin 2018
Les bonnes âmes y voient une parenté avec les tracts du FN, rappelant le « On est chez nous » scandé par les militants frontistes. Elles interpellent les élus LR sur le ton : « Mais vous, le gaulliste – l’humaniste – le libéral (rayer le ou les mentions inutiles), comment pouvez-vous supporter ? Allez-vous distribuer vous-même ce torchon rappelant les heures les plus sombres de la droite décomplexée ? ». « Droite décomplexée », dites-vous ? N’est-ce pas un concept cher à Jean-François Copé qui semblait, invité ce dimanche sur l’antenne d’Europe 1, oublieux de son passé « petit pain au chocolat », se désolidarisant du tract en question, toute honte bue. Pourtant, ce slogan n’a pas été inventé par Wauquiez. C’est d’ailleurs la principale critique qu’on pourrait lui adresser : le manque d’originalité.
« Pour que la France reste la France », un slogan socialiste
Figurez-vous qu’il a été utilisé par feu « la belle alliance populaire » de Jean-Christophe Cambadélis, dans un tract distribué par les militants socialistes en 2016. Il était précédé par la mention « Front des progressistes », certes, et n’évoquait ni le terrorisme, ni le communautarisme, ni l’immigration mais plutôt la protection sociale et tous les acquis sociaux du siècle dernier. Mais à dire vrai, l’intention était la même, en miroir inversé. Il s’agissait de dénoncer une dépossession, celle que vivent les peuples d’Europe. Que la gauche la prenne en compte à sa manière et que la droite le fasse à la sienne, on ne peut juste que déplorer leur hémiplégie à tous les deux, mais constater qu’elle est bien ressentie comme telle. Ceux qui dénonçaient le tract de LR ce week-end ne comprennent rien au film qui se joue en ce moment dans nos contrées, ou le comprennent trop bien, ce qui est pire, puisque méprisant ce refus des peuples alors qu’il faudrait le comprendre, l’analyser, le prendre en considération.
Le haro sur Wauquiez peut se voir dans d’autres attitudes médiatiques. Ainsi, le barouf créé autour de la création de l’école de Marion Maréchal, de la participation de cette dernière à un colloque sur Mai 68 et surtout autour du délestage de la partie « Le Pen » de son patronyme, était sans doute, consciemment et inconsciemment, entretenu pour enquiquiner l’homme à la parka rouge. Et tout cela répond à merveille aux desseins de l’Elysée qui voit en lui le seul à pouvoir l’inquiéter dans un futur second tour en 2022, profitant éventuellement de l’abstention des « insoumis ».
Dans la droite ligne de Chirac et Sarkozy
Tout est bon pour l’étouffer, l’empêcher de respirer, le ridiculiser. Mais convenons que Wauquiez lui-même ne s’aide pas. La séquence des confidences aux étudiants lyonnais a validé le soupçon qui pesait sur lui depuis quelques années : l’insincérité politique. Comment croire un homme qui avoue user de « bullshit médiatique » sur les plateaux ? Comment croire un homme qui passe en quelques années de la figure tutélaire de Jacques Barrot à l’ombre planante de Patrick Buisson ? Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy étaient finalement parvenus après de longues années à faire oublier leur parcours sinueux et faire de leurs contradictions une richesse, suscitant une audience plus large. Ils n’avaient pas été ménagés par la presse non plus, accusés l’un après l’autre de s’acoquiner avec les thèmes de l’extrême droite, de « Facho-Chirac » aux « odeurs », et du Kärcher au « mouton dans la baignoire ». Laurent Wauquiez peut-il, comme ses prédécesseurs, inverser la tendance ? Ce n’est pas exclu, à condition toutefois qu’il ne se trompe pas de stratégie, et qu’il comprenne complètement que le paysage politique a changé, que le clivage droite-gauche, s’il subsiste culturellement, n’est plus le clivage fondamental, ainsi que l’ont analysé les politologues Jérôme Sainte-Marie et Jérôme Fourquet, et un autre spécialiste pratiquant sis rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris.
Reculer pour mieux sauter
Et le président de LR n’en montre pas les signes, tentant maladroitement et contre toute raison électorale, de convaincre que le quinquennat Macron se situe dans la droite ligne de celui de son prédécesseur. Non, Jupiter n’est pas le fils spirituel de Flanby. Personne ne peut croire cela, à part peut-être au siège de LR. Ceux qui répètent à l’envi cette antienne se fourvoient et doivent remiser leurs vieux réflexes au vestiaire. Ils ont certes raison de combattre l’idée que Macron serait le président dont la droite avait rêvé, mais ce n’est pas une raison pour en faire celui de la gauche.
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Il ne faut pas s’interdire de penser que Laurent Wauquiez soit conscient de tout cela, au moins en partie. Mais il semble enfermé dans une course contre le temps, et est obsédé par l’unité de son parti. En parant au plus pressé avec les vieux réflexes, il aggrave paradoxalement son temps de passage, et n’améliore pas davantage la cohésion de LR. Pour cela, il doit peut-être abandonner son objectif de grimper au mur lisse, reculer, observer. Il verra peut-être une porte qu’il ne distinguait pas jusque-là ou qu’il refusait d’emprunter.
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