Valentine Imhof débarque en force avec un premier roman, Par les rafales, qui étonne, dérange, enchante et qui est servi, d’emblée, par une écriture rageuse et poétique, brutale et soyeuse, bref un style, cette chose devenue si rare aujourd’hui, y compris dans la littérature blanche. Sans compter que son intrigue, sa manière de construire son histoire comme on fabrique une arme de précision, indique d’emblée que cette auteure, née en 1970, à qui on devait déjà un essai sur Henry Miller, ne devrait pas en rester là, tant elle semble faite pour redonner confiance au lecteur blasé par un genre qui s’est terriblement policé dans la contestation sociale de centre-gauche qui ne porte pas à conséquence mais donne bonne conscience.
La folie d’une femme
Par les rafales est un roman sur la folie d’une femme, Alex Fjaersten. Enfance norvégienne, jeunesse française, routarde spécialisée dans le rock et les festivals où en joue. Elle envoie régulièrement des papiers à des magazines. Elle picole sec, avec une prédilection certaine pour les genièvres parfumés qu’on trouve en Flandres. Elle joue au billard comme une championne. Elle change d’adresse mail un peu trop souvent. C’est elle qui vous joint, jamais le contraire. Quand on fait connaissance avec elle, elle massacre un homme dans une chambre d’hôtel près de Nancy, un de ces hôtels comme on en trouve dans les zones commerciales. Le type lui a fait croire qu’il était musicos, qu’il connaissait Trent Reznor. Elle a joué la fan énamourée, lui a fait croire qu’elle le croyait. Jeu de fauves. Elle l’a même laissé lui faire l’amour. Libido compliquée : il voulait qu’elle lui serre très fort une cravate autour du cou. Il a été exaucé au-delà de ses vœux.
Le question est de savoir pourquoi Alex a fait ça, avec une telle sauvagerie avant de repartir malade à en vomir.
On va mettre un certain temps à comprendre. Comme mettra un certain temps à comprendre son ami Anton, rencontré dans un bar de Metz où ils ont leurs habitudes. Anton est photographe, il ne lui demande rien, même pas, quand il la voit nue, pourquoi son corps a des traces de brûlures de cigarettes, de coupures de lames de rasoir sur les aréoles mais surtout, pourquoi ce corps est couvert presque intégralement d’un immense texte tatoué en lettres « humanistiques », cette écriture qui, « à la fin du Moyen-Age, avait supplanté la minuscule caroline et gothique, et avait servi de modèle aux premiers caractères d’imprimerie. Lisible mais qui produit un maillage bien serré. » On trouve un bloc de ce texte en tête de chaque chapitre du roman de Valentine Imhof. On peut s’amuser à le déchiffrer, ou pas. De toute manière, l’auteur nous donne obligeamment les références à la fin du roman. On apprend ainsi qu’Alex s’est fait une seconde peau avec des extraits de poètes de la renaissance, de poètes fin-de–siècle, de Melville, Conrad ou Kafka.
« Elle ne sera le chagrin de personne. Et c’est très bien comme ça. »
On apprend aussi en parallèle, en suivant l’enquête d’une jeune fliquette des îles Shetland qu’un habitant a été tué lors du grand festival viking du mois de janvier précédent, pour fêter la victoire de la lumière sur la nuit. Rock, drakkar en flammes dans la nuit et meurtre sauvage, avec un cheveu noir de femme comme seul indice. Pas besoin d’être devin pour comprendre qu’il s’agit d’Alex. Il y a les hommes qu’elles aiment, Anton ou Bernd, son tatoueur artiste de Gand. Et puis ceux qu’elles tuent. L’origine du problème sera à chercher quelque part en Louisiane mais le savoir ne changera rien au fait que si elle est folle, Alex est surtout dans la recherche d’une guérison impossible. Valentine Imhof ne la quitte pas d’une semelle, ne la juge jamais mais ne nous épargne rien de son martyre à bas bruit.
Alors, voilà: enfin un portrait poignant et violent d’une femme dans un roman noir qu’on n’oubliera plus. Alex Fjaersten de Valentine Imhof, c’est l’Aimée Joubert, la Fatale de Manchette, version 2020. Un roman noir où le corps profané et furieux devient un texte vengeur, une longue citation sur la folie et la colère.
C’est d’un lyrisme à haute teneur en alcool fort, en rock, en érotisme noir et en mythologie viking. Ca sent la moiteur mortifère du bayou, le genièvre des Flandres et l’iode septentrional de la Scandinavie à Terre Neuve en passant par Saint-Pierre et Miquelon. « Elle ne sera le chagrin de personne. Et c’est très bien comme ça. » écrit Valentine Imhof à propos de son héroïne.
C’est bien le seul moment où elle se trompe. Alex Fjaersten demeurera longtemps notre tendre souci.
Par les rafales de Valentine Imhof (Rouergue/Noir, 2018)
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