Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !
Madame Nyssen avait choisi le bon métier. Pas ministre. Éditrice. Un rapport publié le 7 mars confirme : entre 2000 et 2017, zéro Palme d’or féminine au Festival de Cannes, mais 44 prix littéraires sur 108 – presque la moitié. Un auteur ou une auteuse écrit seul.e, tandis qu’une réalisatrice ou un réalisateur donne des ordres. Les trucs relax style théâtre ou danse : 34 % de metteuses en scène, alors que les trucs à trique genre chef d’orchestre : 3 %. Moralité, rayon culture, où y’a pouvoir y’a pas parité. Et les grosses machines supervisées par Notre Ministre Françoise Nyssen sont les pires. Opéra de Paris, Philharmonie, 100 % zizi.
Censure, chantage et pied au cul
Pour que ça change, Notre Ministre a « établi une feuille de route » (depuis Jack Lang le ministère de la Culture se la joue ministère de la Défense, on y distribue des feuilles de route, on y monte au créneau, on y descend dans l’arène. Faut être au moins une femme pour tenir la cadence. Ces dix dernières années, sur six ministres de la Culture, cinq étaient de ce sexe héroïque, et encore à condition de prêter à Frédéric Mitterrand un sexe auquel lui-même ne s’accroche qu’à regret).
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Donc, la feuille de route. Grossa moda, elle se résume à quatre consignes : censure (« veille », en dialecte local), intimidation (« obligation spécifique »), chantage (« conséquences financières sous la forme d’un “malus” pour les structures labellisées qui ne respecteraient pas ces objectifs ») et pied au cul (« déconstruction des stéréotypes »). Avec un soupçon de soupçon flambé à l’amalgame (« égalité » professionnelle = « répression des auteurs de violences », avec ou sans preuve).
Le ministre de la Culture saoudien n’est pas une femme
Ah ça ira, ça ira, Madame Nyssen ne pense qu’à ça. Le 26 février, « plan d’action » présenté par une « chargée de mission pour les labels Égalité et Diversité au ministère de la Culture ». Du 5 au 16 mars, « une vidéo par jour sur le droit des femmes » diffusée par ladite mission. Le 7, rapport de l’Observatoire 2018 de l’égalité entre les femmes et les hommes. S’il vous reste une heure à tuer, lisez la feuille de route. « Une réflexion sera ouverte sur la manière de célébrer au Panthéon les femmes ayant œuvré en faveur des droits des femmes. » Moi j’aurais dit « les hommes ayant œuvré » : toujours plus prudent d’être soutenu par autrui que par soi-même. Les femmes en tant que femmes qui œuvrent au nom des femmes en faveur des droits des femmes, je trouve ça louche. Mesquin.
Mais bon. Tout est relatif. Le 9 avril, Madame Nyssen, Notre Ministre pareil que quinze jours plus tôt, reçoit le ministre de la Culture saoudien, Awwad Alawwad, qui n’est pas une femme. Monsieur Alawwad a sûrement l’intention d’établir une feuille de route pour l’égalité femme-homme. En tout cas, il a dit qu’il voulait construire un opéra comme le nôtre à Djeddah et des cinémas partout en Arabie où le cinéma est un art satanique. Première projection le 18 avril à Riyad : Black Panther, gros blockbuster plus oncle Sam que clair de femme dans un pays délicieux où les nanas doivent impérativement porter l’abaya pendant que les mecs se pavanent en Nike, où très peu osent encore bouger sans la permission du « gardien », où depuis 2016 une femme s’expose au fouet si elle ouvre le smartphone de son mari (« sécurité de la famille », vous voyez que tout est relatif). Mais qui présente neuf courts métrages au Festival de Cannes 2018. Une première, dont Madame Nyssen se félicite. Allez, ma minijupe Medina, mes escarpins Folle du Désert, et à Cannes !
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