Le siècle de Willy Ronis est-il terminé ? Sur le papier, pas tout à fait. Le photographe des grèves ouvrières et du Paris populaire est né en 1911, mort en septembre 2009. Pas tout à fait cent ans séparent ses premiers autoportraits au Kodak à soufflet, à l’époque où la musique et le violon sont ses vraies passions, et sa dernière image prise à titre professionnel en 2001. Fils d’un photographe émigré juif d’Odessa, réputé pour effacer les rides des dames élégantes, c’est tout naturellement qu’il prend l’habitude d’appuyer sur le déclencheur et de capturer des instants que seuls ses yeux semblent percevoir. Des instants de chance, des instants miraculeux, de bonheur parfait, qui résonnent d’une manière particulière dans les quartiers de Belleville et de Ménilmontant. « C’était le quartier des Apaches, on n’y allait pas » raconte-t-il. Et une fois le pli pris : « J’ai vécu à Belleville des bonheurs personnels et des bonheurs photographiques, pour moi cela ne fait qu’un, c’est le bonheur tout court. »
La voix du photographe
Aussi l’exposition Willy Ronis par Willy Ronis a-t-elle naturellement trouvé sa place au 121 de la rue de Ménilmontant, sur deux étages du Pavillon Carré de Baudouin, une bâtisse du XVIIème remise à neuf par la mairie du 20ème arrondissement. Composée comme un travelling dans l’oeuvre du photographe, l’exposition rassemble près de deux cent clichés, nus, scènes de rues, scènes d’usines, moments de grâce et autoportraits. Outre la qualité renversante des tirages, qui rendent les noirs profonds et les gris très bavards, Willy Ronis vaut le détour pour sa voix, captée sur des documentaires diffusés dans les deux grandes salles de l’exposition, son discours définitivement humain, précis jusqu’au détail, sa manie délicieuse de conter l’histoire d’une image et la modestie avec laquelle il déclare, à propos de « La Péniche aux enfants » (1959), sa photo préférée, « je n’ai pris qu’un cliché (…) Et le cadrage était parfait. »
Le cadrage, mais pas seulement. La lumière et le « stylisme » pour « Le pub de Berlemont à Soho » (1955), le jeu des ombres et des formes dans l’iconique et sollersien « Nu provençal », pour ne citer qu’une image, de la seconde où il fallait déclencher, dans « Fondamente Nuove », (1959), « Le Café de France » à L’Isle-sur-la-Sorgue (1979), perfection, aussi, pour l’Histoire de « Rose Zehner, déléguée syndicale, pendant une grève chez Citroën, Javel », (1938).
Photographe humaniste ou humaniste photographe ?
Mais ceux que Willy préfère photographier, ce sont les anonymes. Il disait qu’un petit salaire fixe et un emploi sur les quais de Seine auraient aussi bien fait son bonheur. Il voit se refléter ce bonheur dans les yeux des vignerons bordelais, des ouvriers métallurgistes lorrains, des marchandes de frites de la rue de Rambuteau, des manifestants du Front Populaire en 1936 ou encore, et toujours, des « Gamins de Belleville sous l’escalier de la rue Vilin » (1959), de son fils Vincent et de sa femme Marie-Anne.
Tous les clichés archi-connus sont agrandis et encadrés au Pavillon Carré de Baudouin, les moins célèbres aussi, parmi lesquels manquent, un tout petit peu, ses portraits de deux amis et confrères, Brassaï (Paris, 1980) et Robert Capa (Megève, 1939).
Photographe humaniste ou humaniste photographe ? Willy Ronis aurait sans doute répondu à cette question par un sourire et une photo. La dernière exposée est une commande sur le thème de la mémoire après la Libération. Il compose : trois personnages, de dos, un couple âgé et une jeune fille, regardent le mémorial élevé aux Juifs inconnus, anonymes victimes du nazisme, et la jeune fille pose sa main sur l’épaule de la vieille femme.
Willy Ronis par Willy Ronis, au Pavillon Carré de Baudouin, 121, rue de Ménilmontant, Paris, du 27 avril au 29 septembre, entrée libre.
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