Une pétition signée par plusieurs dizaines d’ONG encourage, aujourd’hui, la France à respecter son engagement de se passer du glyphosate, molécule présente dans des herbicides utilisés dans l’agriculture, d’ici trois ans. D’après le chirurgien, Guy-André Pelouze, la dangerosité du produit n’est pourtant pas scientifiquement avérée.
Au dernier Salon de l’agriculture, en février, les échanges ont été houleux entre le président de la République et les agriculteurs sur l’épineux sujet du glyphosate, cette molécule largement utilisée dans le monde agricole. Pour justifier sa volonté d’interdire, « d’ici 3 ans », la substance, Emmanuel Macron s’en est remis à la science et évoqué le désastre de l’amiante: « Le glyphosate, il n’y a aucun rapport qui dit que c’est innocent. Dans le passé, on a dit que l’amiante ce n’était pas dangereux, et après les dirigeants qui ont laissé passer, ils ont eu à répondre », a expliqué le président, invoquant le principe de précaution.
J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans. #MakeOurPlanetGreatAgain
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 27 novembre 2017
À défaut d’être juste, cette remarque a le mérite d’interroger le rapport à la science et aux risques dans nos démocraties modernes. Notre monde est complexe et il est facile de reconnaître un danger de manière intuitive avec nos sens ou en se référant aux connaissances passées, mais il est très difficile de mesurer par soi-même le risque auquel nous sommes exposés. C’est encore plus difficile quand les effets d’une ou plusieurs molécules ne sont pas immédiats et/ou échappent à nos sens pour ensuite se manifester par une maladie grave. Or, ce qui compte, c’est bien sûr la quantification du risque et non pas l’éradication au demeurant impossible de tout danger. Si au paléolithique les dangers étaient d’abord les accidents et les famines, il existait aussi des agents carcinogènes comme la fumée des feux allumés dans les cavernes. Dans nos sociétés ces dangers ont disparus mais il existe d’autres agents carcinogènes, en particulier liés à une exposition professionnelle, à la pollution, à l’alimentation ou au tabac.
L’amiante, une responsabilité politique
Comment la science peut-elle nous aider à lever cette incertitude en mesurant le risque encouru dans des situations où nos sens sont pris en défaut devant un danger potentiel ? Par l’expérimentation et des outils statistiques. C’est à ce moment-là du raisonnement que la comparaison d’Emmanuel Macron au Salon de l’agriculture est intéressante.
Examinons les études scientifiques qui ont mesuré le risque des dangers évoqués. Les expérimentations s’agissant de l’amiante et du glyphosate, auxquels nous avons ajouté le tabac, ne peuvent être faites entre deux groupes soumis au hasard à ces substances. Il s’agit donc de l’observation sur de longues périodes de populations humaines exposées: travailleurs de l’amiante, fumeurs, agriculteurs utilisant le glyphosate. Le lien entre cancer et amiante a été affirmé pour la première fois en 1943 en Allemagne par H.W. Wedler chez des ouvriers exposés. Cette étude fut ignorée car provenant de l’Allemagne nazie. Une étude sud-africaine, en 1960, révéla un lien très fort entre l’exposition à l’amiante et le cancer de la plèvre et du poumon. En 1968, le British Medical journal affirme que les preuves sont solides, selon lesquelles l’amiante peut causer ces cancers. Or, l’amiante n’a été interdite en France que le 1er janvier 1997.
Pendant 28 ans les preuves ont été négligées et aucune décision n’a été prise, mais les données existaient. Du point de vue scientifique l’incertitude était levée et c’est bien le pouvoir politique qui n’en a pas tenu compte. Pour d’autres raisons, un retard considérable a été pris dans le signalement du danger mortel du cancer du poumon chez les fumeurs. Ce lien connu depuis 1950 a mis des décennies à être reconnu et les politiques de prévention n’ont vu le jour qu’après les années 1980, et seulement en 1991 en France avec la loi Évin. Encore une fois, les données étaient disponibles et il n’y avait pas d’incertitude.
Le glyphosate est-il vraiment dangereux pour la santé d’après la science ?
Faisons-nous la même erreur avec le glyphosate ? Pour cela, il faut savoir que le glyphosate comme les autres herbicides et pesticides est suivi à travers le monde depuis sa commercialisation et en particulier dans une étude gigantesque commencée en 1993, l’Agricultural Health Study (AHS), qui regroupait, fin 2017, 44 932 utilisateurs de glyphosate. Il est essentiel à ce stade de ne pas confondre les études scientifiques des populations et les rapports d’agences qui ne contiennent aucune donnée d’expérience, mais des avis à propos de celles-ci. Depuis 1999, il y a eu 60 études sur glyphosate et cancer chez l’homme. L’institut national de la santé des États Unis a récemment analysé les données de l’AHS et n’a retrouvé aucune augmentation de cancers chez les agriculteurs utilisant le glyphosate. Il n’a pas non plus retrouvé d’augmentation du risque en étudiant 22 cancers et leucémies humains séparément. Ces résultats sont en ligne avec les études précédentes chez les humains. Mais ce qui est frappant c’est la différence de risque calculé. L’amiante c’est + 1770 % d’augmentation du risque de cancer de la plèvre pour un travailleur exposé, le tabac c’est + 2360% d’augmentation du risque de cancer du poumon pour un homme. Pour les utilisateurs de glyphosate, le risque de tout cancer est compris entre – 1 % et + 4 %, ce qui n’est statistiquement pas significatif et ce qui correspond à des variations dues au hasard.
Mais il y a plus, récemment deux études passionnantes sont venues conforter la capacité de l’épidémiologie à mesurer des risques. La première est justement issue de cette population d’agriculteurs utilisant le glyphosate. Dans l’AHS, les agriculteurs qui fument ont un risque élevé de faire un cancer du poumon, ce risque est celui que l’on mesure chez des non agriculteurs. La seconde concerne le myélome multiple, un cancer des cellules sanguines qui est augmenté avec l’usage d’autres pesticides ou herbicides. Le 11 septembre 2001, l’attentat terroriste des tours jumelles a tué 2 753 personnes mais a aussi produit un accident écologique localisé d’une grande gravité. Des milliers de pompiers ont été exposés pendant plusieurs mois à des carcinogènes (dioxines, polychlorobiphényle, hydrocarbures aromatiques polycycliques, amiante). 781 d’entre eux ont été suivis et leur risque de présenter des anomalies précurseurs d’un myélome multiple est le double de personnes comparables. Ainsi, nous pourrions détecter un type particulier de cancer comme le cancer du poumon chez les agriculteurs ou des anomalies biologiques précurseurs du myélome multiple chez les pompiers exposés aux carcinogènes du 11 septembre et nous ne pourrions pas le faire pour le glyphosate ? C’est proprement invraisemblable.
La comparaison utilisée par Emmanuel Macron est au contraire un puissant argument qui met en évidence l’innocuité du glyphosate du point de vue du cancer chez l’humain.
Les cancers de l’amiante et du tabac ont été longtemps ignorés, non en raison d’une incertitude scientifique mais à cause d’une utilisation médiocre des données de la science et de conflits d’intérêt. Aujourd’hui, il n’y a pas de risque carcinogène mesurable chez l’homme avec une utilisation du glyphosate conforme aux recommandations. La comparaison entre différents dangers a de la valeur quand elle est éclairée par la quantification du risque sinon elle expose au relativisme.
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