Roland Jaccard garde son allure d’étudiant est en pleine crise d’adolescence. Quel plaisir de lire cet intellectuel au débit lent et à la pensée aussi agile qui dénote dans le paysage crapouilleux de la rive gauche. Son Helvétie le rend hérétique à une kyrielle de donneurs de leçons. Le youtubeur Roland Jaccard n’est d’aucune coterie, d’aucun bureau de renseignements. Il n’est pas affilié à un syndicat de bonimenteurs. Il ne participe pas à la grande mascarade humaniste et progressiste qui plombe les débats actuels. Il laisse seulement dériver sa plume sur des sujets essentiels et dérisoires, bien qu’aujourd’hui il soit difficile de faire la différence entre le sérieux et le futile. Dans son analyse du phénomène BB, il y a plus d’intelligence et d’irrévérence que dans un rapport gouvernemental sur la fuite des cerveaux. Ce philosophe en slip de bain n’a pas besoin d’une toge pour imposer son magistère moral. Il ne croit pas aux sérénades du pédiluve. Le style Jaccard, c’est de la dynamite ! Une noirceur réjouissante, une profondeur douillette, un dilettantisme carnassier, une hauteur de vue qui ne néglige jamais les bas-fonds de l’âme, avec comme coup d’état ou d’éclat permanent, le sens de la formule vipérine. Jaccard exécute d’un mot, d’une phrase. Sa concision nous laisse sur le carreau, béat et rasséréné. Il nous venge d’une littérature bavarde et absconse. Il met les vendeurs de moraline K.O. Toujours cette même soupe servie dans les pages « culture » qui sent l’encaustique et la lavande coupée, bien trop odorante pour être honnête. L’écriture de Mister Jaccard frappe à la carotide.
Un bréviaire atrabilaire
Il le prouve dans son dernier essai Penseurs et Tueurs aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Un bréviaire atrabilaire qui vous instruira (il n’aimera pas ce verbe de professeur), vous divertira (il emmerde la société du spectacle) ou vous plongera dans une perplexité aiguisée (la mort est notre seul destin commun). Jaccard dérange et intrigue lorsqu’il se met à filmer des saynètes avec quelques copains dans un bar à sushis. Ce garçon aime provoquer les pleurnichards du système. Il a l’art du contre-pied et du pince-fesses. Les intellos qui marchent au pas cadencé ne comprennent rien à ce canardeur solitaire. Jaccard, c’est Dino Risi au Monde des Livres, Cioran chez Pif Gadget, Oscar Wilde en Une de Nous Deux. Ne comptez pas sur lui pour vous laisser tranquillement lire et bercer vos illusions. Vos charentaises et votre confort, il s’en moque. Ces chroniques chahutées décapiteront les timorés. On ne s’ennuie pas dans son univers plombé par les existences mornes et inutiles. On aime son portrait de Michel Foucault tout en arabesques. Son tête-à-tête avec Proust. Et sa stèle dantesque à Serge Doubrovsky. « Serge était un homme séduisant. Il ne ressemblait en rien aux petits marquis de la littérature française qui gravitaient autour de Sollers et compagnie » tranche-t-il.
Il nous bombarde de maximes dérangeantes
Dans ce gymkhana spirituel, Jaccard nous bombarde de maximes dérangeantes. Un auteur qui ose citer en 2018 Le confort intellectuel de Marcel Aymé et Mémoires d’une fripouille de George Sanders a tout notre sympathie. Nous sommes en famille. Son venin se répand dans de courts textes, témoignages originaux, mitrailles sémantiques ou considérations forcément désabusées. Ce type-là n’est pas dans le moule de l’édition française. Les C.V ripolinés lui donnent la nausée. Il déraille et disjoncte à l’envi. Du génie, de l’écrit et de la folie. On ne sort pas de ce triumvirat, matrice de sa prose. « Conclusion : les grands écrivains sont aussi des voyous de la pire espèce. J’ajoute : ils doivent l’être ». Parole d’expert.
Penseurs et tueurs, Roland Jaccard, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 2018.
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