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Avec Macron, nous ne savons pas où nous allons

Il a donné l'impression de n'avoir qu'une perspective: s'aligner sur Bruxelles et Berlin


Avec Macron, nous ne savons pas où nous allons
L'interview télévisée d'Emmanuel Macron par Edwy Plenel et Jean-Jacques Bourdin, 15 avril 2018. Crédit photo : François Guillot.

Au cours de ces deux entretiens télévisés d’avril, le président a eu l’occasion de donner du sens à sa politique. C’est raté. En donnant l’impression de s’aligner sur l’orthodoxie de Bruxelles et Berlin comme seule perspective, Emmanuel Macron pourrait s’aliéner les français.


Où allons-nous ? Derrière les soubresauts de l’actualité, qu’on les appelle « crises » ou « mouvements sociaux », il y a toujours, dans le fond, cette seule et unique question dont découle tout le reste ; « tout le reste », c’est-à-dire le rapport au réel que construit le peuple français à travers ses représentations culturelles et son imaginaire, ses institutions et ses traditions politiques, sa vision de la religion et de sa place dans la cité, sa conception des relations sociales.

« Où nous conduisez-vous ? »

Nous avons besoin de nous projeter dans un avenir commun, même par la dispute, car se disputer c’est partager un langage commun qui prouve que nous pouvons faire France, ensemble, en dépit de nos différences d’origine et des antagonismes sociaux qui nous caractérisent.

Bien des pays qui ont traversé des crises économiques plus aiguës que la nôtre ne connaissent pas le même marasme que nous. Nous ne savons pas où nous allons : ne cherchez pas ailleurs l’origine de la dépression française depuis un quart de siècle. Or, un an après avoir été élu sur la promesse de nous remettre « en marche », le président Macron esquive ostensiblement la question de la destination vers laquelle il entend nous mener.

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C’est d’ailleurs la première question que lui a posée Jean-Jacques Bourdin lors de l’entretien présidentiel du 15 avril. BFM, RMC, Mediapart : « Emmanuel Macron… Où allez-vous ? où nous conduisez-vous ? » Réponse : « Peut-être que nos échanges permettront d’y répondre en partie ; d’autre part, l’histoire jugera. » Tout journaliste portant cravate et disant « Monsieur le président », parce qu’il est conscient du caractère symbolique de la fonction présidentielle et connaît la tension entre la mystique et la politique républicaine dont parlait Péguy, aurait pu relancer ainsi : « Monsieur le président, vous avez dit devant le Congrès que le premier mandat que vous aviez reçu des Français était de restaurer la souveraineté de la nation. C’était reconnaître que la France devait retrouver la maîtrise de son destin. Cela suppose aujourd’hui que vous soyez capable de dire où vous entendez nous amener. Vous avez précisé à Bucarest que les Français refusaient les réformes imposées de l’extérieur, mais que l’on pouvait transformer la France et conserver sa singularité à partir d’une vision universaliste. Avez-vous renoncé à ce mandat que vous ont confié les Français ? »

Elu parce qu’il n’a pas choisi

La question de la réforme européenne et du blocage allemand dont dépend notre souveraineté n’a pas, de même, été abordée. Les postures inquisitoriales et morales des journalistes portant sur les effets des réformes gouvernementales, et non sur leurs fondements, ont permis au président de survoler les échanges avec précision technique et hauteur de vue, mais en contournant l’essentiel – ce qui peut mettre le pays en action –, dont dépend la réussite du macronisme.

Emmanuel Macron ne s’y est pas trompé. Il a été élu car il était le seul à affirmer que la France n’avait pas à choisir entre la soumission et la résistance au monde extérieur, à la globalisation, aux contraintes bruxelloises, mais qu’elle pouvait se mettre en mouvement en partant de ce qui la constitue. François Fillon pensait que la France, pour survivre, devait renoncer à son modèle social. En contrepartie, il promettait de préserver notre identité culturelle et de rétablir nos valeurs morales. Marine Le Pen voulait résister au monde extérieur en s’appuyant sur la préférence nationale, sociale et identitaire, au risque de nous enfermer sur nous-mêmes alors que nous devons nous projeter. Jean-Luc Mélenchon, en cours de campagne, a tenu un discours social et patriotique promettant au pays de défendre notre modèle social contre le monde extérieur, mais au risque de dépérir économiquement.

Inconnu il y a quatre ans, Emmanuel Macron a dit aux Français qu’ils n’étaient pas responsables de leurs malheurs et que la France était une « grande nation » capable de relancer l’Europe et d’exister dans le monde ; que les responsables de notre enlisement étaient le système et le personnel politiques, archaïques avec leur clivage gauche/droite dépassé. Il le savait bien, il y était…

Macron nous prend par dessus

Si les classes moyennes et les entrepreneurs, détenteurs de ressources économiques et culturelles suffisantes, se sont approprié sa volonté de remettre le pays en marche, les classes populaires et moyennes, précarisées, souhaitaient se défendre contre la globalisation financière par le conservatisme social. Depuis le sommet de l’État, incarné par une jeune technostructure, le président a commencé à « libérer les énergies » en lançant, au nom de l’efficacité économique, des réformes souvent jugées injustes, mais qui semblaient converger vers une dynamique de relance économique annonçant le retour de la France en Europe et dans le monde.

Notre néo-Bonaparte espère ainsi, à travers son incarnation, créer avec les Français un lien vertical et direct contournant et bousculant les corps intermédiaires – Parlement, partis traditionnels, collectivités territoriales, médias – et permettant de tenir ensemble des individus isolés dans le monde horizontal de la « start-up nation », des marchés et des réseaux sociaux. Nonobstant l’impopularité relative qui affecte le président, le pays consent au macronisme : les luttes sociales ne convergent pas et l’opinion ne fait pas « grève par procuration » en soutenant les cheminots. Mais elle attend en retour que le pays retrouve sa souveraineté et sorte de l’ornière ; bref que les efforts soient, à terme, justement récompensés. Le critère ultime de l’action du président dépend finalement de la réponse à une question : permettra-t-elle de sauvegarder le modèle français en le rendant plus souple et efficace ou aboutira-t-elle à sa dissolution sous la pression de Bruxelles et de Berlin – ce qui nous ramènerait aux politiques qui nous ont plongés dans la dépression ? La communication gouvernementale et le primat accordé à la recherche d’économies budgétaires suggèrent que la deuxième option est privilégiée alors que les propos présidentiels semblent pencher pour la première, d’où l’attentisme du pays.

Le déficit budgétaire de la France vient de passer sous la barre des 3 % dans l’indifférence générale. Pour l’heure, la chancelière Merkel a répliqué par une fin de non-recevoir aux demandes françaises de relance européenne. Or, la destination collective des Français en dépend. Que les réponses françaises au recul économique et aux régressions politiques de l’Europe soient ou non pertinentes n’y change rien. Les raisons du blocage allemand sont avant tout culturelles. Dans l’imaginaire allemand, les règles sont leur propre fin, alors que, dans le nôtre, la vision, le projet, doit précéder et justifier les règles. Quand la communication présidentielle commence à opérer une segmentation en fonction des cibles et à s’aligner sur le discours gouvernemental de l’adaptation, on a quelques raisons de s’inquiéter. Pour la réussite du macronisme et pour celle de la France.

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Causeur #57 - Mai 2018

Article extrait du Magazine Causeur




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