Un samedi après-midi, on se laisse guider, par instinct et désœuvrement, au Théâtre Michel, rue des Mathurins. A Paris, le printemps peine à s’émanciper d’un interminable hiver, les jours d’avril rallongent mais l’ennui persiste. La grève des cheminots empêche tout retour en province. Les Corail sont à quai. Les bermudas enfermés dans les penderies et les pelouses prolifèrent dans l’indifférence. Aucun espoir de tondre le jardin ou d’enfourcher une bicyclette sur une route déserte de campagne, l’urbain est contraint de sortir en ville, en milieu hostile, entre les vélib’ et la faune festive.
Si vous n’en pouvez plus de voir Macron…
Voir une pièce est encore la meilleure façon de tuer le temps dans cet air vicié. Mai 68 occupe l’esprit des éditorialistes. Les étudiants rêvent de troubles intérieurs pendant que les militaires préparent les guerres extérieures. Si l’on avait suivi le matraquage de la télé, le choix de Pierre Arditi se serait imposé à moi. Il joue, il lit, il soliloque, il s’épanche déjà assez dans la petite lucarne pour qu’on tente de lui échapper le week-end venu. C’est assurément le plus redoutable concurrent médiatique au président Macron. Ces deux-là occupent les écrans avec une persistance remarquable et un brin de contentement. Près des Grands Boulevards, à deux pas de la Madeleine, on a préféré choisir la compagnie de Christophe Malavoy et de Tom Novembre dans Fausse note, une pièce écrite par Didier Caron qu’il met en scène avec Christophe Luthringer.
Pourquoi ces deux-là accrochent-ils le regard et électrisent le texte ? Avec cette brutalité non trafiquée qui terrifie et enchante le spectateur. Leur intensité et leur complémentarité nous réveillent de tant de bassesses, elles nous redonnent même foi dans un théâtre sans les artifices et les habituelles béquilles psychologiques. Ces deux comédiens transportent avec eux, sur leur corps et leur visage, une charge mystérieuse qu’une pratique assidue de leur art n’a pas anéantie. Après une longue carrière, ils sont toujours aussi pénétrés et intransigeants dans leurs rôles, cherchant inlassablement la plus juste et sauvage des interprétations. Chez eux, la vérité n’est pas un leurre, elle s’exprime avec une vitalité qui transcende le public fatigué par les ronrons de la profession. Contrairement à tant de faiseurs, ils ne sont pas usés par la mécanique de la scène, cette routine du métier qui asphyxie les dialogues et phagocyte les gestes. Ces deux-là n’occupent pas les planches pour passer le temps ou cachetonner entre deux autres projets plus rentables.
Tom Novembre, chef d’orchestre
On aime la violence contenue de Malavoy, son explosivité à fleur de peau, ce mauvais coucheur aux accents céliniens laisse poindre un délicieux malaise. Novembre, le lunaire au profil fantomatique, toujours aussi étrange et impénétrable, joue ici une variation infinie des émotions. De la suffisance à la peur, de la lâcheté à l’ignominie, il montre l’étendue de son talent. La pièce de Didier Caron, précise et impeccable dans ses montées chromatiques, tient autant du thriller que de l’abîme. Il y a une âpreté digne des meilleures enquêtes policières, la patte d’un Jacques Deray dans le méconnu Symphonie pour un massacre pour le côté millimétré. Et puis, cette confrontation des caractères où l’écho de l’Histoire forcément tragique rappelle l’œuvre de Costa Gavras. Caron a inventé un genre nouveau, quelque part entre le duel à la Pinter ou le poker-menteur à la Beckett.
A la fin d’un concert au Philarmonique de Genève, Hans Peter Miller (Tom Novembre), chef d’orchestre internationalement reconnu se retrouve dans sa loge à tempêter contre le monde entier, sur la médiocrité de ses musiciens, l’absence de son régisseur et les réticences de son épouse à le suivre en Allemagne. Il vient d’être nommé à Berlin pour occuper un prestigieux poste. Il pourra ainsi retourner dans son pays après de longues années d’absence. Quand un spectateur, un certain Léon Dinkel (Christophe Malavoy) l’importune pour lui demander un autographe. Il s’est spécialement déplacé de Belgique pour entendre l’incomparable Miller. Ce Dinkel s’incruste à en devenir inquiétant. Avec des manières insistantes et allusives, il avance ses pions jusqu’à pousser Miller à la faute. Dans cette partie d’échecs, le passé refait surface et les souvenirs se ramassent à la pelle. Il y est question de mémoire, de Mozart, de mensonges et de l’incapacité pour les hommes de se regarder dans un miroir. Malavoy et Novembre exécutent une splendide partition qui secoue, qui enivre et qui finit par faire chavirer. C’est du beau théâtre sans prétention élitiste et sans facilité vulgaire, pur et juste à la fois. La pièce est encore programmée jusqu’au 29 avril, du jeudi au samedi à 21h00 avec matinées le samedi et le dimanche.
Fausse note – une pièce de Didier Caron – avec Christophe Malavoy et Tom Novembre – Théâtre Michel.
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