En érigeant Lilian Thuram au rang de « co-commissaire » de l’exposition « Imaginaires et représentations de l’Orient: question(s) et regard(s) », le musée Delacroix permet à l’ancien footballeur de décliner un discours dogmatique où s’entrecroisent contre-sens et anachronismes douteux.
Comme souvent, tout part d’une bonne intention. Depuis qu’il a abandonné ses crampons de champion du monde (1998), Lilian Thuram met à profit sa popularité auprès des jeunes pour défendre la tolérance et le vivre-ensemble. Il crée en 2008 la Fondation Lilian Thuram pour l’éducation contre le racisme et sillonne collèges, lycées et plateaux télé pour diffuser la bonne parole dans nos « quartiers ». Cette sagesse de grand-frère dépasse vite les salles de classe et séduit les institutions. Des musées en mal de liens avec le réel le sollicitent et, en 2011, l’ex-arrière droit de la victorieuse équipe « black-blanc-beur » est nommé commissaire général de l’exposition « L’invention du sauvage », au musée du Quai Branly. Une expo-réquisitoire censée illustrer la manière scandaleuse dont l’Occident a « appréhendé l’Autre depuis près de cinq siècles ». Et comme les réserves de nos musées débordent de représentations de « l’Autre », cet historien de l’Autruisme récidive ces temps-ci au musée Delacroix pour nous expliquer l’Orientalisme, ce coupable mouvement artistique.
« L’Orientalisme permet de renforcer le sentiment de supériorité des Européens »
Qu’un musée national fasse preuve de pédagogie est a priori normal, c’était même leur mission originelle. Ce qui l’est moins, c’est qu’il se mette au service d’un discours militant à l’attention d’un public précis, qu’on ne peut pas nommer pour-ne-pas-stigmatiser. Ce discours est égrainé au fil des salles, sur les cartels de chaque œuvre. Sous une charmante Scène orientale de Léon Riesener, on apprend ainsi que « l’Orientalisme permet de renforcer le sentiment de supériorité des Européens car ils s’éprouvent comme plus “avancés” ; regarder l’Orient, c’est revenir aux sources, en arrière, aller vers un archaïsme. (…) L’Occident enferme l’Orient dans un espace clos, le fabrique commercialement et économiquement. Aujourd’hui encore, cette marchandisation est sensible. » Il est vrai que les Orientaux ont attendu les Européens pour inventer ces caravanes commerciales qui sillonnèrent les continents pendant des siècles… et que nous sommes les redoutables prédateurs de Dubaï ou d’Abou Dhabi. Toujours subtil, il note plus loin, sur La Mort de Sardanapale : « Remarquez que c’est un serviteur noir qui est chargé de tuer les chevaux. » Et que dire face à l’Autoportrait de Delacroix ? Qu’il figurait sur nos billets de 100 francs ? Que nenni ! Il rappelle que dans son Journal, « Delacroix veut souligner la dignité des Orientaux et en montrer la beauté. Cette beauté est, elle, universelle. » Nous voilà rassurés.
« Se sentir français, n’est-ce pas un déguisement ? »
Le Thuram illustré apprend aussi au « jeune public » à refuser les déguisements avec une troublante ambiguïté : « L’éducation n’est-elle pas l’apprentissage des déguisements ? Se sentir français, n’est-ce pas un déguisement ? (…) Est-ce qu’être élève, c’est se déguiser en élève ? Il faut être conscient des différents rôles que nous jouons. Qu’on nous demande de jouer. Il faut faire attention de ne pas s’enfermer dans des déguisements. Sinon on ne peut accepter l’égalité. » Et puis : « Le goût du travestissement, du déguisement, est fort en Occident. Aujourd’hui encore, le fait de se travestir avec des vêtements orientaux, jouer de la liberté d’une nouvelle présentation, demeure présent. » Et ça c’est pas bien, comme il l’expliquait sur Arte le 16 janvier dernier : « J’ai toujours l’impression que lorsqu’il y a déguisement, il y a une certaine hiérarchie. C’est-à-dire que, historiquement, des personnes de couleur blanche se déguisaient en Noirs. Mais je pense que ça ne traverse pas l’idée à une personne noire de se déguiser en une personne blanche. Donc ce fait culturel est très important. » S’il le dit… Oublions que les Romains célébraient le déguisement en hommage à Saturne, que Rio accueille toujours son Carnaval, que les Afghans les plus traditionalistes ont encore leurs bacha bazi, des adolescents travestis, et que la culture polynésienne cultive le transgenre avec ses rae rae. Et assurons, comme Dominique de Font-Réaulx, conservateur du musée, interviewée sur Arte : « Je pense que sa voix peut porter fort, notamment à un jeune public qui va se dire “voilà un homme qui me ressemble ou à qui j’ai envie de ressembler” ». Ça promet.
« Imaginaires et représentations de l’Orient : question(s) et regard(s) », musée Delacroix jusqu’au 2 avril 2018.
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