Accueil Culture Expo Picasso-Voyages imaginaires: le Minotaure avait le goût du harem

Expo Picasso-Voyages imaginaires: le Minotaure avait le goût du harem

Marseille montre les amours d'un faune


Expo Picasso-Voyages imaginaires: le Minotaure avait le goût du harem
Deux femmes courant sur la plage © Succession Picasso 2018 photo : RMN-Grand Palais (musée national Picasso - Paris) / Mathieu Rabeau.

Immigré, c’est un job à plein temps. Vous avez quitté votre pays, vous avez choisi l’errance, et l’errance vous rattrape et vous colle à la peau : après ce « là-bas » abandonné, il n’y a que des « ici » provisoires. L’immigré migre sans cesse : il se rend à Paris, passe à Marseille, puis à Sorgues, choisira un jour les environs d’Aix ou d’Antibes et de Vallauris. Parce que le train inlassablement le ramène vers le soleil, ce soleil abandonné « là-bas » mais qu’il quête « ici ».

D’une femme à l’autre

L’immigré a peu de goût pour les destinations lointaines : il erre dans un périmètre délimité par le soleil méditerranéen. Mais il a le goût de l’ailleurs : faute d’Afrique (fantôme) ou d’Océanie (rêvée), il en caresse les fétiches, en collectionne les masques, s’en inspire, les reproduit, les décompose en surfaces planes.

Le vieil atavisme du Sud lui a greffé le goût du harem. Alors il va d’une femme à l’autre, sa vie est une errance sentimentale — quand il pense à Fernande, il bande, il bande, mais quand il pense à Eva / Olga / Marie-Thérèse / Dora / Françoise / Geneviève / Jacqueline, il bande aussi. Lorsqu’il se rend dans un bordel d’Avignon, il bande encore. Il est plus que consommateur de femmes — quasi anthropophage (rappelons que l’anthropophage mange l’âme de ses victimes, alors que le cannibale se contente de se nourrir de ce qu’il a sous la main — l’imbécile !).

L’itinéraire de notre immigré est donc aussi une errance érotique. On est minotaure ou on ne l’est pas : « Si on marquait sur une carte tous les itinéraires par où j’ai passé et si on les reliait par un trait cela figurerait peut-être un minotaure ? » Treizième signe du Zodiaque. L’homme à la tête de taureau.

enlevement sabines pablo picasso
L’Enlèvement des Sabines, Pablo Picasso. Succession Picasso 2018.

Toiles, cartes postales, dessins, sculptures

C’est sur cette interrogation que s’ouvre la très belle exposition proposée à la Vieille Charité de Marseille, « Picasso — Voyages imaginaires ». C’est lui, bien sûr, l’errant, l’immigré perpétuel, l’inlassable explorateur du continent noir féminin. Pablo. Enfant amoureux de cartes et d’estampes — et de cartes postales. Il a commencé son voyage à l’époque même où les frères Séeberger inventaient le petit carton photographié / griffonné. Il en a reçu des centaines, écrit tout autant. Réinventé aussi. L’exposition en propose quelques dizaines, recto-verso. Images choisies — l’Espagne, l’Afrique, et ces représentations dont l’excuse ethnologique faisait passer, à l’époque, les seins dénudés. Oui, mais de ces visages exotiques, l’immigré tire de belles et sauvages inspirations. Par exemple Trois figures sous un arbre — un arbre à palabres, probablement.

L’exposition ne se contente pas des cartes postales, des dessins et des toiles : les sculptures sont particulièrement bien mises en valeur.

C’est aussi l’occasion d’apprendre, une fois de plus, qu’une nature morte n’est jamais ce que l’on croit — et que la guitare si souvent présente dans les toiles cubistes de Picasso, c’est Eva — la caisse de résonance que l’artiste fait vibrer en jouant sur ses cordes. Elle mourra précocement – de tuberculose, pour une fois notre collectionneur de muses n’y est pour rien. La toile s’intitule d’ailleurs « Guitare J’aime Eva » — où l’instrument et le prénom encadrent la déclaration d’amour, dans un mouvement circulaire — ou tautologique, comme on voudra.

SM avec Dora Maar

Evidemment, le Minotaure consomme aussi ses victimes — sinon, il se contenterait d’être une vache au pré. Les multiples portraits de Dora Maar avouent la relation sado-masochiste du peintre épuisant la muse — qui survivra pourtant, et dont le souvenir s’obstine dans cette Femme qui pleure de 1937.

Qu’elle sanglote sur son sort entre les mains du monstre ou sur celui de l’Espagne : après tout, c’est l’époque même de Guernica. À la géographie topographique s’ajoute une géographie affective — tous les immigrés portent en eux le souvenir affectif des lieux où ils ne retourneront plus.

L’exposition ne se contente pas des cartes postales, des dessins et des toiles : les sculptures sont particulièrement bien mises en valeur.

Lisez la suite sur le blog de Jean-Paul Brighelli.



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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