Donald Trump nous fait le coup de la forteresse assiégée. Ses mesures commerciales protectionnistes sont plus efficaces pour doper sa popularité que pour lutter contre le chômage. Il n’est pourtant pas impossible de s’ouvrir aux autres économies sans renier sa souveraineté.
En appliquant des taxes de 10% sur l’importation d’aluminium et de 25% sur l’achat d’acier en dehors des frontières américaines, Donald Trump a lancé les hostilités commerciales mondiales. Seuls le Canada et le Mexique sont épargnés pour ne pas faire échouer la renégociation de l’Alena en cours. Bien sûr, en dépit de ce que laisse penser la réaction des partenaires commerciaux des États-Unis, les Américains ne sont pas les seuls à mettre en œuvre des mesures protectionnistes. Toutes les grandes puissances se livrent à divers degrés à des formes subtiles de restrictions sectorielles au gré des pressions exercées par les coalitions envieuses de producteurs disposant de bonnes connexions politiques.
Sa guerre commerciale, un film d’honneur
Mais la décision de Donald Trump a ceci de particulier qu’elle se veut solennelle tout en mobilisant une rhétorique explicitement belliqueuse. Le président des États-Unis assume le terme de guerre commerciale, et n’hésite pas à invoquer la sécurité nationale comme prétexte pour justifier ses mesures sur le plan juridique, conformément à ce que permet la section 232 du Trade Expansion Act de 1962.
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L’artifice de la sécurité nationale lui permet d’ailleurs de contourner plus facilement les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – qui admet en théorie ce genre d’exemption – tout en vantant simultanément la protection de l’emploi. Mais ce mercantilisme affiché dissimule en réalité des considérations exclusivement politiques. Il est peu probable que Donald Trump, qui ne manque pas de conseillers économiques à la Maison Blanche, soit convaincu de l’opportunité commerciale d’une telle décision. Comme toutes les mesures similaires prises par ses prédécesseurs, celles-ci ne ramèneront pas davantage les emplois détruits dans le secteur de l’acier. Ceci est d’autant plus vrai que les principaux facteurs qui ont affecté l’emploi dans cette industrie ont été les gains de productivité ainsi que la baisse de la demande et non la concurrence internationale.
La signification de ce geste est donc tout autre. Il faut le remettre dans un contexte culturel particulier qui se traduit par un très haut degré de scepticisme de l’opinion publique américaine vis-à-vis du multilatéralisme instauré après la Seconde Guerre mondiale. Amalgamé à tort avec la mondialisation économique, ce système multilatéral, originellement instauré par les États-Unis, est désormais perçu comme le cheval de Troie d’une idéologie mondialiste incompatible avec la souveraineté de la nation américaine. En suscitant la protestation des gouvernements étrangers et des organisations multilatérales comme le FMI, l’UE ou encore l’OMC, Donald Trump réaffirme auprès de la frange la plus isolationniste de son électorat l’autonomie décisionnelle des États-Unis vis-à-vis des ingérences extérieures.
Sauver la mondialisation du mondialisme
Cette défiance à l’égard du multilatéralisme explique d’ailleurs pourquoi tout recours devant une juridiction comme le mécanisme de règlement des différends de l’OMC se soldera inévitablement par un échec. Le gendarme du commerce mondial n’aura jamais le courage politique suffisant pour contester le motif sécuritaire invoqué pour l’application des restrictions commerciales. Quand bien même il le ferait, l’administration Trump ignorerait toutes les mises en demeure internationales. La mondialisation économique serait davantage confondue avec la tentative de déposséder les États-nations de leur autorité, sans parvenir à sauvegarder l’ouverture du commerce international.
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Pour les pays désireux de poursuivre un agenda commercial ouvert et ambitieux malgré les tentations nationalistes, un compromis envisageable consisterait donc à cesser de confondre ouverture commerciale et gouvernance supranationale. Il conviendrait dans ces conditions d’admettre qu’il n’y a rien de contradictoire à prôner l’ouverture économique dans une configuration politique plus décentralisée et plus respectueuse du principe de subsidiarité.
Décentraliser pour mieux gouverner
En Europe, par exemple, des pays comme la Suisse, la Norvège ou l’Islande parviennent à sécuriser des relations commerciales internationales sans se fondre dans de vastes ensembles politiques supranationaux susceptibles d’instiller chez les populations locales un sentiment de dépossession politique. Il en va de même pour ces nations très commerçantes que sont l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore le Canada. Réconcilier les populations avec la mondialisation passe paradoxalement par une plus grande décentralisation des centres de décision.
L’ouverture au commerce mondial sera d’autant plus acceptée qu’elle sera le fruit de décisions locales par définition plus légitimes. Reste à savoir si les champions de la société ouverte en Europe et ailleurs oseront montrer l’exemple en poursuivant unilatéralement la libéralisation des échanges internationaux ou s’ils se contenteront, de manière sournoise et hypocrite, à vociférer contre le protectionnisme étranger sans balayer devant leur porte.
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