Au nom d’un égalitarisme idéologique, Emmanuel Macron noie les classes moyennes – qui ont voté pour lui – sous l’impôt pour mieux faire en sorte… qu’elles restent moyennes.
Les tensions sociales auxquelles nous assistons actuellement, ne sont que les prémisses des difficultés à venir pour le gouvernement Macron. L’homme de la mondialisation heureuse, de l’Europe ouverte et du libéralisme sociétal évolue à contre-sens de l’histoire ; celui des mouvements de fond qui travaillent les sociétés européennes. Les chocs répétés des vagues migratoires et la multiplication des conflits identitaires, dont le terrorisme n’est que la partie émergée de l’iceberg, redessine un nouveau paysage politique en Europe.
Les temps changent, et Matteo Renzi, quintessence d’un libéralisme de centre gauche, vient d’en faire les frais ; le vent du boulet a également bousculé l’impassible lourdeur d’Angela Merkel. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il n’y a aucune raison d’imaginer qu’Emmanuel Macron puisse échapper aux conséquences logiques des mêmes phénomènes.
Ce n’est toutefois pas sur les enjeux sociétaux que la grande vulnérabilité du président français va d’abord se révéler mais bien sur les questions économiques, sur lesquelles il a forgé sa crédibilité politique et son succès électoral.
Ceux qui ne sont moyennement rien
Passons rapidement sur les effets d’annonce qui permettent de multiplier les messages positifs sur le retour de la croissance et la baisse du chômage. L’amélioration de l’indice de croissance, général à l’Europe, ne change rien aux fondamentaux de notre économie : les déficits publics s’aggravent, les prélèvements obligatoires s’alourdissent et notre compétitivité, si l’on en juge par les chiffres de notre commerce extérieur, ne cesse de se dégrader. Quant à la baisse du chômage, elle provient en bonne part d’un changement de méthode statistique en utilisant l’indicateur, très particulier, du Bureau international du Travail.
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Emmanuel Macron a donc joué toute sa mise politique sur le succès de sa politique économique, dans une séquence historique où les Français désabusés pouvaient entendre un discours d’audace et de réforme. La France de la mondialisation positive et des centres-villes bourgeois s’est reconnue en lui et la France « moyenne », celle des classes moyennes qui s’accrochent pour ne pas décrocher, a, globalement, suivi le mouvement, pour se donner aussi le plaisir de dégager les sortants. La France populaire, très majoritairement, a voté contre le système ou s’est abstenue.
En toute logique, ceux qui ont rejoint le pouvoir actuel avec conviction attendent à minima un effet neutre sur leurs situations sociales, et ceux qui l’ont suivi par défaut espèrent une amélioration de leurs conditions de vie. Or, d’évidence, il est déjà possible de dire que le compte n’y est pas. Le jeu de bonneteau présidentiel sur la baisse des prélèvements a tourné court une fois les factures présentées. Dans le même temps, deux institutions économiques que l’on ne peut soupçonner a priori d’être des ennemis du gouvernement – l’Insee et l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) – ont montré, chiffres à l’appui, l’inexistence du gain fiscal si magistralement vendu aux Français.
Le sacrifice des « riches » qui ne roulent pas sur l’or…
L’Insee a ainsi calculé que la pondération des hausses et baisses d’impôts du budget 2018 dégage une amputation du pouvoir d’achat des ménages de 4,5 milliards d’euros, soit une baisse de 0,3 point. Le gouvernement, évidemment, conteste ces chiffres, mais en ajustant les deux approches, l’OFCE affirme, pour sa part, qu’au mieux les ménages ne gagneront rien en termes de pouvoir d’achat. La hausse de la CSG, des carburants et du tabac effaçant les maigres « cadeaux », principalement liés à la suppression de certaines cotisations sociales.
Mais le plus important dans la politique fiscale du gouvernement Macron n’est pas le débat sur le gain ou la perte globale de ses choix budgétaires, mais de comprendre la répartition sociale des gains et des pertes ; la vraie mesure qui révèle la véritable nature de la politique gouvernementale.
A cet examen nous voyons très vite que rien ne change vraiment dans la politique française et que Macron n’est que le digne successeur des politiques suivies depuis des décennies : la charge fiscale pèse avant tout sur les classes moyennes. La critique de « gauche », naïvement, se jette sur l’argument facile du cadeau aux plus riches : 46% des baisses d’impôts accordées, note l’OFCE, bénéficient aux 10% les plus riches.
La France égalitariste s’indigne ; mais si l’on y regarde de plus près, l’OFCE précise que, pour faire partie de ces 10% les plus riches, il faut gagner plus de 3599 euros net pas mois, soit, pour un couple, 1800 euros net par conjoint, soit encore le salaire médian français ! On est donc au cœur de la base de la classe moyenne, parler de « riches » est proprement un détournement de réalité. Les vrais riches (c’est-à-dire les très riches), pour leur part, savent depuis longtemps jouer de l’optimisation fiscale pour échapper aux filets de Bercy.
…au nom de l’égalitarisme
L’orientation des prélèvements obligatoires traduit une vision égalitariste qui postule que l’impôt a, d’abord, une fonction d’égalisation des conditions sociales, et que l’Etat a vocation à être le promoteur de cette volonté d’égalité. C’est au nom de ces grands principes que, depuis des décennies, la France s’adjuge un titre de championne toute catégorie des prélèvements obligatoires sur fond de dérive de la dépense et des déficits publics. Faute du courage nécessaire pour réformer le pays, les forces politiques françaises choisissent la solution la plus facile et immédiate, la hausse des prélèvements.
Cela a été le cas du premier gouvernement Chirac, et le coup de massue fiscale de Juppé a provoqué la défaite de 1997, cela a été également le cas pour Nicolas Sarkozy, puis pour le gouvernement Hollande en 2012. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la pression fiscale a pénalisé la croissance et engendré la défaite politique. Il n’y a aucune raison de penser que Macron, reproduisant le même schéma, échappe au même scénario politique.
Un contre-sens politique
Sans être un libéral acharné, il est facile de comprendre que le niveau de performance d’une économie moderne repose d’abord sur le niveau de performance et de qualification de sa population moyenne et moyenne supérieure. Elle forme les gros bataillons des cadres qualifiés et représente un vivier de forts potentiels par l’éducation qu’elle a reçu et qu’elle transmet à ses enfants.
Les classes moyennes sont très soucieuses de l’éducation de leurs enfants et forment, à ce titre, la clé de voûte de l’équilibre et du progrès social. Elles tentent d’échapper tant bien que mal au processus d’effondrement de l’école publique, mais leurs marges de manœuvre, là aussi, sont sans cesse réduites. Et contrairement à l’idée reçue, la politique de l’actuel ministre de l’Education nationale renforce cette tendance ; la priorité est clairement donnée aux zones dites « sensibles », au détriment des zones de « normalité », où les classes moyennes tentent encore de scolariser leurs enfants.
L’accumulation du capital social et culturel au fil des générations est un facteur essentiel de développement des sociétés. Brider, voire briser, cette dynamique est un contre-sens politique grave qui repose sur une illusion idéologique qui imprègne la psychè française. Cette vision politique repose sur une appréhension égalitariste et individualiste de la vie sociale ; elle va à l’encontre de la réalité des sociétés portée par des dynamiques collectives de long terme.
La politique du gouvernement Macron ne sort pas de ce cadre idéologique : les très riches bénéficient de quelques mesures avantageuses sur l’ISF et la fiscalité du capital, mais les classes moyennes et moyennes supérieures – le cœur de son électorat, donc – comprennent peu à peu qu’elles font les frais du « renouveau » politique que Macron est censé incarné.
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