Malgré le terrifiant bilan du djihadisme français, le camp islamo-sceptique a produit bien peu de violence et de réactions. On ne s’offusquera donc pas de l’indignation des réseaux sociaux devant une jeune fille voilée qui reprend la rhétorique de nos bourreaux.
Je me souviens du témoignage de cette femme à l’accent du Maghreb qui s’exprimait après les attentats djihadistes de Toulouse en 2014, en larmes et à la radio. Elle avait prié pour que le responsable ne fût pas arabe avant de découvrir que l’assassin s’appelait Mohamed Merah. De mémoire, voilà ce qu’elle disait : « C’est une catastrophe. Les représailles seront terribles et jamais les musulmans de ce pays ne s’en remettront. » Elle se trompait : un peu plus de trois ans et 300 morts plus tard, ceux qui pratiquent l’amalgame l’ont sans doute gardé pour eux parce qu’on n’a pas vu de boucheries hallal vandalisées ni d’épiciers agressés. Même si ça ne saute pas aux yeux partout, la France n’est ni un pays du Moyen-Orient (les mosquées ne sont pas mitraillées quand un imam dit une bêtise, ou une horreur, c’est-à-dire une fatwa) ni un pays d’Afrique (l’armée n’a pas encore besoin de protéger un groupe ethnique menacé par les autres en période de crise pour cause de susceptibilité politique ou religieuse).
Les Français ne font pas d’amalgames
Alors que les éditorialistes de L’Obs et d’ailleurs se font depuis le début des attentats lanceurs d’alerte contre une islamophobie montante portée par un populisme dangereux, le camp des islamo-sceptiques a produit bien peu de terrorisme, bien peu de désordre, et finalement bien peu de réactions. La justice, submergée, en plus des attentats, par 17 000 Français Daesh friendly à surveiller, par les revenants et bientôt les fils et filles de, n’a eu qu’un attentat-charcutier à l’adresse d’une mosquée à se mettre sous la dent, qu’elle a eu dure puisque le condamné qui avait glissé du jambon dans la boîte aux lettres a pris plus cher que Jawad Bendaoud, le logeur de Daech.
Les Français ne pratiquent pas les amalgames, j’aime à croire que c’est par éducation plus que par soumission aux propagandes, mais ils ne peuvent s’empêcher d’observer des rapprochements. Les enquêtes qui se poursuivent après les attentats révèlent que sous les cellules terroristes isolées, il y a bien un terreau. La popularité de Mohamed Merah dans certaines banlieues et les 20 000 internautes qui ont tweeté « je suis Kouachi », mais aussi les résultats d’enquêtes et de sondages auprès de musulmans de France peuvent intimer à la prudence. À l’écart d’une France d’en haut ou d’en bas, n’assistons-nous pas à l’émergence d’une France d’ailleurs, et qui entend le rester ?
Dans ce contexte, les Français pratiquent si peu l’amalgame que la jeune Mennel avait toutes ses chances de gagner une notoriété et une popularité massive en participant à l’émission « The Voice », même voilée, et même en chantant une partie de sa chanson en arabe. Ou peut-être grâce à cela, si l’on considère un public jeune, avide de resservir la tolérance bien apprise par son éducation et par l’effet des propagandes, en consacrant l’Autre dans un exercice citoyen et un télé-crochet. Si elle n’avait eu que sa différence, si elle n’avait fait que porter sa culture d’origine en bandoulière, ou même en étendard, la demoiselle aurait pu se lancer dans la chanson et devenir un jour peut-être « personnalité préférée des Français », comme l’ont été Jamel Debbouze et Omar Sy.
L’islam c’est chic, mais…
Au lieu de cela, parce que des internautes fouineurs ont exhumé les propos d’une fille compréhensive ou complaisante avec ses coreligionnaires criminels, la chaîne a semble-t-il poussé la chanteuse à se retirer de la course. On peut trouver sévère la sentence parce que tous les jeunes disent des conneries conformes à leur milieu qu’on finit par leur pardonner, et il faut bien se faire à l’idée que les jeunes musulmans disent des conneries islamistes. Quand je rappelais à Charb que dans les cités, on taguait « Vive Ben Laden », il me répondait que les punks arboraient des croix gammées. De fait, il avait raison, mais les punks auraient fait de piètres nazis, alors que certaines racailles se sont révélées être de parfaits petits talibans. Toutes les époques ne se ressemblent pas, et toutes les jeunesses non plus.
Et c’est peut-être à une partie de notre jeunesse, dont la pauvre Mennel est devenue le visage avec son appartenance affichée et ses ambiguïtés, qu’une partie du pays qui ne s’exprime que sur les réseaux sociaux a voulu opposer une réaction, et poser des conditions. Si certains messages excluaient d’emblée une jeune fille préjugée étrangère à la nation, la plupart rejetaient une chanteuse qui ne savait pas elle-même ou n’avait pas su, même face aux crimes commis, qui étaient les vrais coupables et peut-être où allaient ses allégeances. Et les regrets de la chanteuse dépassée par l’affaire n’ont rien changé. Le rejet a dépassé de très loin, par son ampleur et par sa nature, le racisme ou l’islamophobie des messages habituels et marginaux qui circulent quand un Noir ou un Arabe est exposé dans les médias. Il semble qu’aujourd’hui le choix d’une musulmane affichée puisse être du dernier chic multiculturel, mais qu’il puisse poser problème si elle comprend, excuse ou exonère le terrorisme. Voilà ce que la chaîne a compris et pourquoi elle a préféré exclure la candidate.
Il reste interdit d’interdire
Certains compatissent. C’est bien triste en effet pour cette jeune fille qui a eu, nous dit-on, ses rêves brisés. Mais le petit peuple des réseaux sociaux peut-il encore, sans être insulté, rejeter ceux qui aspirent à être starisés quand ils parlent comme ceux qui tirent dans les foules et qu’ils ont la même religion ? Est-il légitime à discriminer une femme arabe et voilée sur la base d’un comportement, d’une attitude, d’une position ? Il semblerait que non. Après que les lanceurs d’alerte ont affolé le braillomètre en parlant d’exclusion, de racisme, d’islamophobie et de lynchage, on peut se demander ce qu’il reste du buzz dans l’opinion. J’ai posé la question autour de moi, à des jeunes de l’âge de la chanteuse. Les avis se sont partagés. Les uns ne voient pas où est le problème avec le voile, les autres trouvent qu’on a bien le droit de contester des « thèses officielles ». Les bras m’en sont tombés, mais après les avoir pas mal agités pour ramener tout ce petit monde à un peu de bon sens, j’ai dû me rendre à l’évidence : il reste toujours très mal vu d’interdire. On est mal barrés.
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