Ma vie littéraire a longtemps été bercée par le Magazine du même nom. J’y ai été longtemps abonné, j’avais conservé religieusement certains numéros exemplaires — avant qu’une inondation ne les gâche irrémédiablement. Et le papier imprimé retourna à la pulpe…
Formule gagnante : un dossier, le plus souvent remarquable, sur un auteur consacré ou un mouvement littéraire, et des articles intelligents sur ce qui venait de paraître. Ajoutez à cela une lecture diagonale des titres offerts par votre libraire, et vous avez trouvé la formule du Comment parler des livres que l’on n’a pas lus chère à Pierre Bayard — indispensable, Bayard.
Le Nouveau Magazine littéraire a tué le père
Vous dire comme j’ai bondi d’espoir quand j’ai trouvé il y a quelques jours dans un kiosque le Nouveau Magazine littéraire. D’instinct, j’ai acheté les trois numéros parus, de janvier à mars.
Erreur fatale. « L’espoir, vaincu, pleure… » J’ai rarement lu autant d’âneries en si peu de pages. Résumé malheureusement objectif, en commençant par le numéro de janvier.
Le Nouveau Magazine Litteraire, nouveau magazine en kiosque, n°1https://t.co/P7kp7928Ah#NML #Le18 pic.twitter.com/RHObiCVqay
— GigaPresse (@GigaPresse) 19 décembre 2017
J’aurais dû me méfier : un mensuel qui offre pour fêter le début de l’année quatre pages à Najat Vallaud-Belkacem (elle hésitait encore à l’époque entre la direction — rémunérée — du PS et une vie dans l’édition) pour faire sa pub aurait dû m’être suspect. Suivi d’un article de Cécile Alduy sur la Droite où la « chercheuse associée au CEVIPOF » affirme — à propos de Wauquiez : « Il est l’homme qu’on ne pourra pas faire taire, celui qui lève ‘l’omerta’. Comme si Elisabeth Levy, Alain Finkielkraut, Pascal Brückner, Eric Zemmour, Natacha Polony ou Valeurs actuelles ne saturaient pas déjà les ondes et les librairies des mêmes refrains. » Ah, comme c’est doux à l’oreille, ces listes de futures proscriptions…L’époque est à la balance.
C’est curieux, quand même, que cette Gauche bobo qui se cherche des idées n’en trouve que dans l’exécration. En fait, elle est exactement sur les positions de Drumont, de Barrès et de Brunetière (qui a inventé le mot « intellectuel » pour désigner Zola et ses amis), anti-dreyfusards notoires. Ciel ! L’antisémitisme ne serait-il décidément pas là où l’on voudrait, par habitude, le chercher ?
En clair, la droite ne serait-elle pas, en ce moment, à gauche ? Et vice versa, forcément…
Antigone contre les forces du mâle
Comme je tiens à être exhaustif et objectif, ce même numéro héberge un excellent article de Marc Wiezmann sur les dérives de la famille Merah, à partir d’enregistrements effectués à Fresnes des conversations entre Abdelkader Merah (le frère de Mohamed de sinistre mémoire) et sa mère. Tout à fait glaçant — et attendu en même temps. Les chiens font des chiens.
Le n°2 du Nouveau magazine littéraire est dispo à la BU Pierre Sineux #Caen
On y parle de révolution, de féminisme, d’#Antigone et bien d’autres choses encore. @Le_NML #Onlaaa pic.twitter.com/80Lgm4D19x— BibLettres (@BibLettres) 31 janvier 2018
En février, rebelote. Numéro spécial femmes. « D’Antigone à #MeToo », clame la couverture. Pauvre Antigone — et surtout, pauvre Créon.
Passons (on passe beaucoup, à lire le Nouveau Magazine littéraire) sur les imprécations féministes d’Elsa Dorlin, qui assène trois pages durant tous les clichés machos qu’elle a pu trouver dans son inconscient torturé — elle qui est travaillée d’une « rage emmurée » qui fait bien entendu penser à la fin d’Antigone, à qui est consacré un long dossier dans lequel on lit finalement un nombre sidérant d’absurdités.
« De quoi est-elle le nom ? », se demande Sarah Chiche, qui a coordonné le dossier. « Une héroïne de notre temps », en butte à un monde d’hommes (Œdipe, Etéocle, Polynice, Hémon et Créon pour finir). Il n’y a guère que l’article un tant soit peu érudit de Daniel Loayza, le seul à distinguer ce qui est du ressort de la loi familiale (philia) et de la loi civile (andres — forcément, seuls les hommes votaient, à Athènes), et à dire en filigrane qu’Antigone est une figure de la réaction, de la tradition, du mythe contre l’Histoire. Etonnez-vous qu’entre le XVIIème et le XVIIIème on se soit tant intéressé à cette histoire — merci à Christian Biet, même s’il ne m’aime plus, pour les recherches érudites qu’il fit en son temps sur les diverses versions d’Œdipe.
Le mythe, c’est ce qui refuse l’entrée des hommes (et des femmes) dans le processus historique. Fils et filles — tenants de la tradition — contre le père, représentant de l’Etat : c’est ainsi que Rostam a défait Sourab dans la légende iranienne. Et que Créon élimine Antigone : il a cent fois raison. Cette gamine en pleine crise adolescente est réactionnaire au sens plein, et Créon a lu Gabriel Naudé et ses Considérations politiques sur le coup d’Etat (1640).
Créon, oui — mais pas Kaouther Adimi, à qui son professeur de Français demandait : « Qui sont vos Antigone ? » Ma foi, j’espère que ce n’est plus personne — du moins si l’on tient à une analyse politique, et non aux imprécations stériles de pétroleuses perturbées par l’acné juvénile.
Manon Lescaut et Carmen ont-elles été pré-violées ?
Mais quand même, dans ce numéro, la palme du crétinisme revient à ma consœur Sophie Rabau, enseignante à Paris-III, qui suggère de traquer dans la littérature toutes les traces de viol antérieures aux histoires que racontent les œuvres. Si. Médée ? Violée — c’est pour ça qu’elle cède à Jason. Ne cèdent sans doute que des femmes pré-violées, particulièrement à des héros favorisées par diverses déesses. Nausicaa ? Violée itou — par Ulysse, aussi désemparé soit-il quand il aborde les côtes phéacienne. Mélisande ? Violée — c’est pour ça qu’on la prend aux cheveux sans doute… Et Manon Lescaut, et la Célimène du Misanthrope, toutes violées antérieurement…
Et Carmen, dont…
>>> Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli <<<
Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ?
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