Pour son premier Salon du livre de Paris en tant que président, Emmanuel Macron a frappé fort en boycottant le stand officiel de la Russie, pourtant invité d’honneur de cette édition.
Macron, Emmanuel Macron
En plein psychodrame britannique autour de l’empoisonnement d’un ex-agent double, cet incident spectaculaire nous replonge avec un petit côté rétro dans une atmosphère digne des grandes heures de la Guerre froide, quelque part entre James Bond, OSS 117 et autres parapluies bulgares.
Faisant le désespoir de tous les acteurs russophiles du secteur du livre : auteurs, éditeurs, libraires, qui avaient préparé cet événement, Emmanuel Macron tourne capricieusement le dos à un pan culturel immense, pourtant partie intégrante de l’Europe, celle de la vision gaulliste qui va de l’Atlantique à l’Oural (pas celle de Bruxelles, germanocentrée).
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Or, en dépit du côté surprenant de la démarche, on peut douter que celui qui déclamait quelques jours plus tôt en son palais des phrases du Pierre et le loup de Prokofiev, dans la grande tradition du Roi Soleil comédien, ne mesure pas parfaitement la force des symboles. Lui qui a fait du maniement de ces symboles de l’autorité un des outils de sa gouvernance dès le soir de sa victoire au Louvre, ne peut que maîtriser très précisément l’intention et l’impact d’une telle geste.
Poutine, le dernier espoir de l’Europe ?
Il s’agit donc de manifester de nouveau, loin de la réception du Tsar contemporain au Palais de Versailles, le rejet opportun et méthodique d’une vision politique érigée en épouvantail. Car Poutine sert à quelque chose, à son corps défendant, dans cette mise en scène digne de Tolstoï. Il sert de repoussoir, de meilleur ennemi contre lequel un modèle européiste en totale perte de vitesse tente encore vaguement de se raccrocher aux branches. Il est tout ce qu’il reste comme contre-modèle à cette pauvre n européenne qui va si mal qu’on essaie à toute force de l’inoculer encore davantage aux peuples européens en mode antibiotique (quitte à prendre le risque de tuer le bestiau).
La Russie de Poutine – lequel sera très probablement reconduit demain -, c’est un modèle politique qui promeut l’idée de nation, qui prône et assume une politique internationale cohérente, pragmatique et qui se satisfait ouvertement de n’être pas multiculturaliste.
C’est donc l’adversaire idéal. Celui qu’il faudrait inventer s’il n’existait pas. Et qu’il convient d’ériger en ennemi (on entend, pas loin, grogner les vieux cercles clintoniens atlantistes et belliqueux aux portes des frontières baltes, ukrainiennes…). C’est l’effroyable ogre russe contre lequel, sans même la moindre discrétion, on tente de monter cet invraisemblable projet de loi contre les « fake news » au son de « une propagande oui, mais à condition que ce soit la nôtre ». Le journal Le Monde, totalement décomplexé sur le plan de la liberté d’expression, n’a d’ailleurs pas hésité à relayer une pétition pour faire interdire certains médias (en l’occurrence la jeune et populaire chaîne russe Russia Today).
L’hiver des peuples
C’est le contre-modèle culturel parfait pour tenter un dernier sursaut de cette Union européenne à bout de souffle, rejetée élection après élection. Ce n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes de l’Histoire que le prétexte en vienne cette fois du sol britannique qui a pour mission actuelle d’entériner le Brexit. De là à penser que les conditions de sa sortie en seront atténuées, il n’y a qu’un pas. Impossible à franchir sans passer pour des complotistes.
Les grands sacrifiés de cette représentation théâtrale du jeu diplomatique sont, comme toujours, les peuples, en l’occurrence les peuples russes et français dont l’entente et la connivence, en particulier culturelles, sont constantes et profondes depuis longtemps, et qui se réjouissaient de la tenue de ce Salon.
A jouer ce jeu-là contre le pays d’excellence du matérialisme dialectique et des échecs, il est toutefois fort à parier que les épopées bienpensantes se casseront encore quelques dents de lait.
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