Après Nietzsche et le Crépuscule des idoles, Où le penseur philosophait à coups de marteau, et rappelait que « ce qui est laid affaiblit et trouble l’homme », voici Nicolas Gaudemet qui annonce la fin des idoles. Il signe son premier roman, La fin des idoles, véritable déclaration de guerre à la société médiatique envahie d’écrans et de marques.
L’héroïne se nomme Lyne Paradis. Elle est blonde, le regard pâle où l’on devine une bonté mélancolique. C’est un ancien mannequin, devenu docteur en neurosciences, excusez-du peu ! Elle a décidé de se venger de la société du spectacle dénoncée par Guy Debord, en 1967. Son but : infiltrer une chaîne de télévision, V19, et créer des émissions subversives. Elle veut à tout prix faire comprendre aux candidats de la télé-réalité que courir après la célébrité ne rend pas heureux. Il faut au contraire apaiser son désir de reconnaissance, le contrôler, jusqu’à le détruire. Vaste programme, comme eût dit le grand agitateur Lénine. Elle veut guérir Paloma, starlette boulimique et obsédée par la célébrité, pour montrer que les maux du paraître ne sont pas une fatalité. Paloma semble tout droit sortie d’un roman de Bret Easton Ellis.
La psychanalyse en prend pour son grade
Ces émissions provoquent un scandale et déchaînent Gerhard Lebenstrie, psychanalyste, habitué des plateaux de télévision et adversaire des neurosciences. Ce n’est pas franchement un roman crypté, mais ça y ressemble un peu. On reconnaitra en effet quelques figures, souvent crispantes, de la planète médiatique…
Lebenstrie, tête à claques, commence par disputer à Lyne la thérapie de Paloma. Puis ils se livrent à un duel sous les sunlights qui finit par inquiéter le pouvoir politique. La querelle des Anciens et des Modernes est remplacée par les champions du Cerveau augmenté face aux défenseurs de la psychanalyse. La France se passionne.
La psychanalyse en prend pour son grade. A commencer par son « père », Freud. « Quoi, après un demi-siècle de recherches, le fondateur de la psychanalyse n’avait accouché que ‘de la souris du bien et du mal ? du yin et du yan ?’ », peut-on lire à la fin du roman. Ou encore : « Autant dire d’une pensée tournaillant sans fin dans le vide. Gesticulation sans autre but que celui de quémander la ‘célébrité éternelle’. » C’est envoyé.
Sollers: « l’hostilité envers la psychanalyse est normale »
Dans son nouveau roman, Centre, où le personnage féminin est une psychanalyste de 40 ans, Nora, Philippe Sollers rappelle que « l’hostilité envers la psychanalyse est normale », et souligne au passage que l’époque est « de plus en plus hystérique ». Il en profite pour décrire un Freud éloigné des stéréotypes imposés par les marathoniens des médias, invités officiels de la pensée unique. Le docteur Sigmund voyage en Italie, en compagnie de sa belle-sœur, Minna, qu’il présente dans les hôtels comme sa femme. Il boit, mange, fume, il a trop chaud, se baigne à Naples. Bref, il jouit de la vie. Sollers conclut (provisoirement) : « Dans le style voyage en Italie avec une belle-sœur, Freud a un précurseur sulfureux qu’il ignore : Sade. »
Revenons à La fin des idoles. Par son rythme, dialogues vifs, phrases sèches, ce roman audacieux nous tend un miroir qu’on doit saisir pour bien comprendre les enjeux de cette course à la célébrité. Mais pour cela, il convient de tourner le dos à la course aux followers et aux likes érigés en valeur. Il faut rester connecter, mais de façon clandestine. Et comme le dit Sollers : « Pour vivre cachés, vivons heureux. »
Guy Debord pensait que le marxisme détruirait la société du spectacle. Nicolas Gaudemet espère que les neurosciences pourront la renverser. Quoi qu’il en soit, le désir de reconnaissance n’est pas prêt de décroître. Dans le désarroi généralisé, et la confusion des valeurs, beaucoup sont prêts à mourir pour avoir le fameux quart d’heure de célébrité, fût-il posthume.
Nicolas Gaudemet, La fin des idoles, Tohubohu éditions, 2018.
Philippe Sollers, Centre, Gallimard, 2018.
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