Le président Emmanuel Macron a présenté l’esquisse de sa réforme pénale, par laquelle il entend encourager les alternatives à l’emprisonnement. Comme si la prison était la principale responsable de la récidive…
Les récentes annonces d’Emmanuel Macron sur ses projets de politique carcérale sont l’occasion de réfléchir au rôle que notre société entend fixer à l’administration pénitentiaire. Un point de situation est en tout cas nécessaire avant de succomber aux sirènes d’un « modèle scandinave » idéalisé car moralement réconfortant, ou de paralyser toute véritable réflexion en nous enfermant dans une confrontation purement idéologique entre « humanisme naïf laxiste » et « Etat policier répressif adepte du tout-carcéral ».
L’emprisonnement doit répondre à quatre objectifs : 1. punir 2. mettre temporairement à l’écart 3. réinsérer 4. participer à la réparation des dommages causés.
1. Punir
N’en déplaise à quelques beaux esprits, la délinquance n’est pas forcément la dernière option d’un individu désespéré victime des injustices sociales. C’est aussi, et le plus souvent c’est surtout, un acte de prédation égoïste et non nécessaire, commis sciemment au détriment de victimes choisies pour leur vulnérabilité. Ce qui mérite d’être puni.
Punir, cela signifie causer un désagrément. Une peine doit être pénible. Camille Potier, du Conseil de l’Ordre des avocats de Paris, prétend que « le système répressif qui consiste à faire mal à celui qui a fait du mal n’est pas la bonne manière de voir les choses. » Pourtant, et même si l’idée de punition peut sembler infantilisante, les sanctions sont indispensables pour marquer la réprobation de la société vis-à-vis de certains comportements. Sans cela, la condamnation des actes commis semble bien faible, les victimes ne sont pas reconnues comme ayant subi une chose inacceptable, et les faits sont perçus comme « pas si graves que ça » – ce qui, bien sûr, encourage de nouveaux passages à l’acte.
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Mais la punition n’est pas la vengeance. Son rôle principal n’est pas de sanctionner le passé, mais de protéger l’avenir. Autrement dit, de dissuader. Les délinquants qui ne relèvent pas de la psychiatrie sont des individus rationnels, qui consciemment ou non comparent les gains qu’ils espèrent et les risques qu’ils prennent. Si les risques encourus ne sont pas à leurs yeux supérieurs aux gains espérés, ils passeront à l’acte. La punition doit donc être coûteuse pour l’individu puni : moralement, financièrement, socialement.
La prison n’est pas forcément, d’ailleurs, la mieux à même pour remplir ce rôle. Dans un bon nombre de milieux, le passage par la « case prison » est banalisé voire valorisé, et les périodes d’enfermement sont acceptées : « je passe une partie de ma vie en détention, mais au moins quand je suis dehors j’ai la belle vie ». Des sanctions financières frapperont donc souvent plus efficacement « là où ça fait mal ». Leur mise en œuvre impose cependant que l’État se donne les moyens de recouvrer les sommes considérées, y compris lorsqu’elles semblent trop modiques pour en valoir la peine (l’enjeu n’est pas la rentabilité de l’opération pour les services fiscaux, mais la lutte contre la délinquance) ou lorsqu’elles sont investies à l’étranger (à titre d’exemple, certaines villas somptueuses dans l’ex-Europe de l’Est sont notoirement financées par des cambriolages à l’Ouest).
2. Ecarter
C’est un constat d’échec, mais la prison sert parfois avant tout à empêcher un délinquant de commettre d’autres délits ou crimes le temps de son enfermement. Tout policier ou gendarme connaît des habitants de sa circonscription qui récidivent dès qu’ils sortent de prison, ou peu s’en faut, et contre lesquels le travail des forces de l’ordre est désespérément répétitif.
C’est aussi parfois une nécessité : certains sont en dehors de notre capacité collective à les « sauver ». On peut penser notamment à des prédateurs sexuels, à des individus ultra-violents ou aux terroristes militants. Parfois à la frontière de la psychiatrie, mais de loin pas toujours, ils posent également la question de l’enfermement préventif, dont les dérives possibles sont évidentes et inquiétantes, mais dont le refus systématique aboutit à des drames terribles.
3. Réinsérer
Si certains délinquants sont statistiquement irrécupérables, tous ne le sont pas. Sur ce point, les critiques sévères faites au système carcéral français sont malheureusement justifiées, et il est probable que les prisons ouvertes scandinaves soient plus à même de donner envie à un prisonnier de vivre « normalement ». Mais ne soyons pas naïfs : tant que le crime payera, les bons sentiments seront de peu d’efficacité. L’efficacité de la dissuasion ne s’oppose donc pas à la réinsertion, elle est plutôt un facteur de motivation ! Et l’efficacité de la réinsertion ne s’oppose pas à la dissuasion : en offrant une alternative crédible à la récidive perpétuelle, les opportunités de réinsertion sont un fondement indispensable de la légitimité et de la crédibilité des menaces de sanctions futures.
4. Réparer
Favoriser la réparation par les délinquants des préjudices causés à leurs victimes. Ce n’est pas directement le rôle de l’enfermement carcéral, même si en permettant à des prisonniers d’exercer une activité rémunérée il les aide à payer d’éventuels dommages et intérêts – dans une certaine mesure. Bien sûr, je doute que l’on puisse évaluer tous les préjudices en termes financiers : il y a des choses dont la « valeur de remplacement » ne peut être chiffrée. Difficile donc de réintroduire l’ancienne tradition du wergeld, justement scandinave : combien pour un meurtre ? Un viol ? Une mutilation ?
La réparation n’est pas toujours possible, et l’expression classique de « payer sa dette à la société » ne doit pas le faire oublier – ce qui n’interdit pas à un délinquant de vouloir se racheter, et d’y parvenir humainement parlant s’il fait les efforts nécessaires. Sauf cas exceptionnels, ce n’est pas en détention qu’il le fera. La prison peut néanmoins l’aider à s’y préparer, ce qui est proche de la réinsertion et y contribue, mais revêt une dimension différente.
Les victimes d’abord
Oui, il est nécessaire de réfléchir en profondeur à notre système carcéral : la surpopulation dans les prisons, le manque de sécurité pour les détenus comme pour les gardiens, l’inefficacité de la réponse pénale en termes de dissuasion, les résultats tout relatifs des politiques de réinsertion, le coût prohibitif des places de prison (immobilier, système de sécurité, surveillance, accompagnement…), ne sont absolument pas satisfaisants.
Mais dans les réflexions menées, il ne faut pas oublier que c’est le souci des victimes qui doit être au cœur de la politique pénale : victimes passées, et victimes futures potentielles. Il ne faut pas oublier non plus les citoyens honnêtes, qui forment heureusement l’écrasante majorité du corps social, et dont un bon nombre ont connu dans leur vie des souffrances et des difficultés au moins aussi grandes que la quasi-totalité des délinquants.
La députée Caroline Abadie a raison sur un point : « les futures victimes seront moins nombreuses si les délinquants sont mieux réinsérés ». Pour être exacte, elle aurait dû dire « si les délinquants ne récidivent pas », soit en effet parce qu’ils seront réinsérés, soit parce qu’ils craindront trop la sanction pour (re)passer à l’acte – l’un n’excluant pas l’autre. Dans les deux cas, les clefs du succès sont d’éviter le premier passage à l’acte, et la lutte contre la récidive. Éviter le premier passage à l’acte relève de la prévention, et sur ce plan la prison ne peut au mieux être qu’un croquemitaine dissuasif, ce qui n’est pas rien !
Le Valhalla scandinave n’existe pas
On prétend que le modèle scandinave permet un taux de récidive moindre que le modèle français. Comme souvent, les statistiques n’ont de sens que si on les analyse en profondeur. En effet, la « récidive » au sens du droit français désigne très spécifiquement la réitération d’une infraction proche ou équivalente d’une infraction précédemment et définitivement condamnée. Un cambrioleur condamné en première instance, qui fait appel et commet un nouveau cambriolage avant la tenue de son jugement en appel, n’est donc pas un récidiviste mais un réitérant, sa condamnation n’étant pas encore définitive. Le même cambrioleur qui, plus tard, se reconvertirait dans l’escroquerie ne serait pas non plus récidiviste, puisque les nouveaux faits seraient sensiblement différents des précédents.
Les différentes études conduites sur le sujet montrent que le principal facteur de récidive est d’avoir déjà récidivé dans le passé. En d’autres termes, la récidive concerne principalement les « délinquants d’habitude », c’est à dire des personnes ayant choisi d’intégrer la délinquance dans leur mode de vie, ou du moins une forme de délinquance qui peut être lucrative (trafic de drogue, vol, cambriolage, etc.) ou relever du rapport à autrui (violences, menaces, etc.). Il suffit donc d’écarter des prisons ouvertes ces délinquants d’habitude pour constater qu’il y a très peu de récidive à la sortie des prisons ouvertes. Mais cela revient à constater que le revenu moyen des habitants d’un immeuble de luxe est plus élevé que celui des occupants d’un HLM : normal, ils ont justement été sélectionnés sur ce critère !
La prison n’explique par la récidive
De plus, si en 2016 la prison représentait 52% des peines prononcées (à peine plus de la moitié : on est loin d’un véritable « tout-carcéral »), il faut comprendre qu’en règle générale, et en dehors des crimes violents (homicides, agressions sexuelles,…), seuls des délinquants multirécidivistes sont condamnés à des peines de prison effectives. En d’autres termes, du moins en France, ceux qui vont en prison sont généralement ceux qui avaient le plus fort risque de récidiver avant même d’aller en prison, et ce qu’on les y envoie ou non. Que le passage par la prison ne les dissuade pas de récidiver une fois libérés est regrettable, mais ne veut pas dire que ce qu’ils ont vécu en prison serait responsable de leur récidive.
Mieux vaudrait donc évaluer séparément :
– d’une part, le taux de récidive des ex-prisonniers ayant déjà récidivé préalablement à leur incarcération, ce qui permettrait de mesure l’efficacité réelle de la réinsertion ;
– d’autre part, le taux de récidive des primo-délinquants, à condition de se concentrer sur ceux qui ont réellement commis leur premier acte de délinquance, et de ne pas les confondre avec ceux qui sont sanctionnés pour la première fois, mais après plusieurs dizaines de faits commis ! Ce chiffre-là permettrait d’évaluer la capacité à éviter d’encourager la délinquance chez les personnes qui ne l’ont pas encore clairement choisie comme « métier », à éviter que la prison soit une « école du crime ».
Car il est vrai qu’un certain nombre de délinquants profitent de leur passage en détention pour étoffer leur carnet d’adresses. Il est vrai aussi que ce qu’ils y vivent ne leur donne pas forcément envie de devenir honnêtes – mais ce dernier constat ne doit surtout pas amener à opposer répression et réinsertion : une société incapable de protéger ses membres parce qu’elle refuse de punir véritablement ceux qui s’attaquent à eux ne donnera pas envie de la rejoindre. A ce titre, d’ailleurs, garantir la sécurité des détenus en détention est primordial : c’est le meilleur moyen de leur montrer que respecter les règles ne les condamnera pas à devenir à leur tour des victimes, et que l’État qui les sanctionne se donnera aussi les moyens de les protéger s’ils se plient à ses lois.
La réinsertion passe par plus d’autorité
Quant au coût du système carcéral comparé à ses alternatives, il ne peut être évalué avec pertinence qu’en intégrant aussi le coût des conséquences de ces deux systèmes, c’est-à-dire le coût des préjudices causés aux victimes ou au contraire des dommages évités – par la mise à l’écart, la dissuasion, la réinsertion.
Reste la situation des honnêtes gens. Sans tomber dans le propos caricatural selon lequel « les détenus sont mieux traités que les pauvres », ce qui mériterait d’être considérablement nuancé, il n’est pas sain que des délinquants bénéficient d’aides auxquelles d’autres citoyens n’ont pas accès : aides financières, hébergement, alimentation, mais aussi formations, accompagnement vers l’emploi, suivi médical… Outre l’injustice évidente, c’est une faute stratégique majeure : comment convaincre les citoyens de respecter les lois, si ceux qui prennent la peine de le faire ne bénéficient pas d’avantages susceptibles d’être enviés par ceux qui ne le font pas ? Ce n’est qu’un aspect de l’acceptabilité sociale des règles, mais c’est un aspect à ne pas négliger.
Car comment, sinon, donner envie aux délinquants de se réinsérer ? Comment donner envie notamment aux plus jeunes d’être et de demeurer honnêtes ? Il faut qu’ils y gagnent ! Dans un monde idéal, la liberté, le sens civique et une certaine notion de l’honneur, « noblesse oblige », y suffiraient. Dans la réalité, il faut s’assurer que les avantages induits de l’honnêteté soient plus désirables que les bénéfices attendus de la délinquance. Ce n’est qu’à cette condition qu’une politique pénale et de réinsertion efficace sera possible à grande échelle.
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