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Pourquoi l’écriture inclusive est exclusivement idéologique

...et met la langue française en danger


Pourquoi l’écriture inclusive est exclusivement idéologique
Tag en écriture inclusive, Paris 18° arrondissement. © Jeanne Menjoulet/Flickr

L’écriture inclusive n’a aucune justification valable: elle embrouille l’esprit et détruit l’équilibre du français. La différence a un sens.


En ces temps d’épuration héroïque, certaines féministes radicales ont décrété que les langues étaient sexistes, particulièrement la langue française. Ces ardentes combattantes de l’égalitarisme à tout crin se sont donc évertuées à « désexiser » notre langue pour redonner aux femmes toute leur place parmi les formes linguistiques. La méthode dans le vent porte le nom édifiant d’« écriture inclusive », l’inclusion ayant été érigée en ce début du XXIe siècle en idéal suprême de l’humanité.

Soyons bons joueurs et admettons que certains procédés de féminisation conviennent bien pour assurer une représentation plus équilibrée des femmes et des hommes dans le discours, surtout quand les préconisations en cause touchent les deux modes de langage, l’oral et l’écrit. Pour la désignation des fonctions, marquer explicitement, soit par le déterminant, soit par la forme même du nom, le sexe de la personne qui l’occupe paraît tout à fait judicieux : « À vous la parole, madame la ministre. L’écrivaine Marguerite Yourcenar est née à Bruxelles. » Pas de querelle pour ce genre de formulation.

« Françaises, Français; Belges, Belges ! »

Les choses se gâtent quand les usages proposés n’ont qu’une existence graphique et qu’à la prononciation un agaçant effet de redondance est créé par la répétition de la même forme : « Les professeurs et les professeures de l’Université de Toulouse ». Pour ces cas indifférenciés à l’oral, devrait-on aller jusqu’à rétablir la prononciation du « e » final, qui est muet depuis quatre siècles ? En vérité, rien ne saurait arrêter nos hardies féministes qui n’hésiteraient sûrement pas à inverser le cours de l’histoire de la langue pour remplir leur noble mission de « désexisation ».

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Le tableau s’assombrit davantage lorsque, pour contrer la règle d’économie linguistique attribuant au masculin une valeur générique, les formes féminines envahissent la page à coup de parenthèses, de traits obliques, de traits d’union, de majuscules ou de points médians : « Les boulanger(ère)s d’ici sont talentueux/ses/, inventif-ve-s, passionnéEs et accueillant·e·s ». Loin de mieux s’intégrer dans la langue, le genre féminin se transforme en un capharnaüm de lettres superflues et perturbantes.

Un point c’est trop !

Pour les textes courants, ces procédés de surenchère graphico-grammaticale mènent à la catastrophe sur le plan de la lisibilité. Dans le cas des textes littéraires, ils aboutissent à un véritable massacre culturel. « Lecteur-trice », jugez par vous-mêmes en vous risquant à décoder cet extrait du roman Les fous de Bassan de la romancière québécoise Anne Hébert, qui a été fourni comme modèle par des exterminatrices patentées du « sexisme linguistique » :

Toustes dehors en pleine nuit, arrachéEs au sommeil, interrogé-e-s, questionné(e)s, mis et mises debout, habilléEs, chaussé\e\s, lâché.e.s dans la campagne. Les mains en porte-voix appeler Nora et Olivia. Les chercher partout sur la grande route, le long des fossés, dans les buissons, sur la grève, dans la cabane à bateaux, dans les sentiers, les chemins de traverse. Les feux de nos lampes de poche brillent de-ci de-là. Les rares automobilistes qui passent dans leurs voitures étrangères sont interpellé·e·s, pressé/e/s de questions. Quelques-unes et quelques-uns de cap Sauvagine et de cap Sec se joignent à nous dans nos recherches.

C’est franchement la tour de Babel quand on se met à inventer des structures linguistiques ou à bannir des mots. Pour rappeler un antécédent, la grammaire inclusive vous offre le choix d’employer à la fois le pronom masculin et le pronom féminin: « Ces touristes veulent visiter la Chine. Ils et elles devront obtenir un visa », ou bien encore, le fin du fin, à recourir à des formes syncrétiques créées de toutes pièces : « illes » ou « iels » pour « ils » et « elles », « celleux » ou « ceulles » pour « celles » et « ceux ». L’hallucination atteint son paroxysme quand de belles âmes, dans leur acharnement à « dégenrer » le français, exigent qu’on proscrive officiellement des mots jugés sexistes comme « patrimoine ». Ce nom devrait être en effet éliminé parce qu’il renverrait de façon outrageusement masculine au latin « patrimonium » qui signifie « héritage du père ». C’est ignorer que la vaste majorité des locuteurs utilisent la langue en fonction de sa structure actuelle sans se référer à son histoire. Très peu de francophones vont spontanément rattacher les noms « patrimoine » ou « patrie » à l’étymon latin « pater », « père ». On dit même la « mère-patrie »… Et il faudrait se plier à un tel délire sous peine d’être honni !

Un lion, une lionne; un éléphant, un éléphant

En français, le genre a un rapport avec le sexe seulement dans le cas des êtres animés, et encore ce rapport ne s’avère pas constant. En général, pour les animés, un nom masculin renvoie à un être mâle alors qu’un mot féminin dénote un être femelle : un oncle, une tante; un lion, une lionne. Cette correspondance souffre cependant des exceptions, car il arrive qu’un nom masculin s’applique à un être femelle et inversement qu’un nom féminin renvoie à un être mâle : « Carla Bruni a été un mannequin célèbre. Charlie Chaplin est une grande vedette du cinéma ». Cette discordance s’observe souvent dans le vocabulaire des animaux où un genre donné peut désigner indifféremment le mâle ou la femelle : un éléphant, une grenouille… Comment nos Érinnyes de l’orthodoxie linguistique peuvent-elles s’accommoder du fait que le nom féminin « personne » et le nom masculin « individu » s’appliquent tous les deux aussi bien à un homme qu’à une femme ?

Il importe de rappeler qu’en français le genre affecte majoritairement des noms inanimés et les répartit entre le masculin et le féminin de façon immotivée : on doit dire « un » bureau mais « une » table, selon une convention purement formelle qui n’a aucun lien naturel avec la réalité. Le caractère arbitraire de la morphologie du genre en français devrait prévenir les esprits contre toute exacerbation du débat et les inviter plutôt à la circonspection et au discernement.

La différence a un sens

Au sein du système de la langue, le genre assume diverses fonctions en plus de la simple identification du sexe. Par exemple, le genre peut distinguer des homonymes : « le » manche et « la » manche, « le » mousse et « la » mousse. Il peut contribuer à renforcer la cohésion des syntagmes en liant formellement le déterminant et l’adjectif au nom : un poète africain, une enseignante compétente. Dans certains cas, l’opposition de genre peut servir à éviter une ambiguïté possible : en lisant ou en entendant la phrase : « J’écoute une chanson d’un marin que je trouve très joyeuse », on sait grâce à l’accord en genre que l’adjectif « joyeuse » se rapporte au nom féminin « chanson » plutôt qu’au nom masculin « marin ».

La féminisation, en tant qu’entreprise linguistique, doit tenir compte du fonctionnement propre de la langue en distinguant bien le genre comme catégorie morphologique et le sexe comme catégorie sociobiologique. L’écriture inclusive pourrit le débat par ses excès qui n’ont rien de linguistique, mais qui pataugent plutôt dans la déraison et l’idéologie.

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