De rassemblements pro-Charlie en colloques universitaires, on ne nous offre qu’une laïcité de confort. Rassurante. Réchauffant le cœur des gens à la lueur du souvenir de Jaurès et Briand. Ultime radeau de la Méduse d’une gauche en lambeaux, lui évitant toute analyse de sa part de responsabilité dans la dérive. Si elle n’était désormais qu’un concept permettant de penser en paix dans les salons feutrés et de se rassurer en croyant les oppositions limitées à une question de pratiques religieuses un peu envahissantes.
Mais la laïcité empêchera-t-elle des sauvages de frapper un enfant de huit ans dont le seul tort était, semble-t-il, d’être juif ? Permettra-t-elle aux filles qui le souhaitent de sortir librement dans leur quartier ? Est-elle une réponse à la violence qui règne au lycée Galliéni de Toulouse, comme dans bien d’autres moins médiatisés ?
La Cassandre Obin
Sur l’école, il fut pourtant un temps où certains osèrent pousser plus loin l’analyse. En 2004, Jean-Pierre Obin, inspecteur général honoraire de l’Education nationale, remettait à François Fillon, ministre de l’Education nationale son rapport sur « les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires ». Il écrivait : « Un grand nombre d’élèves d’origine maghrébine, Français voire de parents français, la majorité sans doute dans certains établissements, se vivent comme étrangers à la communauté nationale, opposant à tout propos deux catégories : « les Français » et « nous ». […] L’identité collective, qui se référait souvent hier chez les élèves à une communauté d’origine, réelle ou imaginaire, et qui avait fait parler à certains sociologues de « l’ethnicisation » des rapports entre les jeunes, semble se transformer de nos jours en un sentiment d’appartenance assez partagé à une « nation musulmane », universelle, distincte et opposée à la nation française. Ses héros sont à la fois les adolescents palestiniens qui affrontent à mains nues les blindés israéliens, et dont les images des corps ensanglantés passent en boucle sur les chaînes satellitaires des pays arabes, et les chefs djihadistes responsables des attentats de New York et de Madrid ».
Le rapport évoquait aussi la question d’influences extérieures : « Le projet de ces groupes ouvertement ségrégationnistes et qui dénoncent l’intégration comme une apostasie ou une oppression, va encore plus loin. Il est aussi de rassembler ces populations sur le plan politique en les dissociant de la nation française et en les agrégeant à une vaste ‘nation musulmane’ ».
Les filles sont devenues invisibles
Moins connu, à la même époque, le rapport Femmes et sport de Brigitte Deydier fut, lui, remis à Jean-François Lamour, ministre de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative et Nicole Ameline, ministre de la Parité et de l’Egalité professionnelle. On pouvait y lire : « Il convient de constater que le modèle séparatiste de beaucoup de communautés d’origine méditerranéenne ne favorise pas le brassage social et l’intégration des femmes […] Les rues sont parfois soumises au contrôle des bandes qui excluent les filles. La sociabilité masculine se reconstitue, encourageant les démonstrations de force. Dans certains quartiers, les filles sont devenues réellement invisibles, elles évitent de sortir pour leur propre sécurité. Les installations sportives de proximité sont utilisées quasi exclusivement par les garçons. […] En plus des problèmes liés à l’adolescence que connaissent toutes les filles de cet âge ainsi que les exigences scolaires, il semble qu’une pression familiale et culturelle spécifique joue un rôle dans cet abandon. »
Des élèves perdus pour la République… aujourd’hui parents
Les élèves dont il était question sont aujourd’hui parents. Quatorze années d’enseignement du « vivre ensemble » ou de l’ « éducation morale et civique » n’ont rien changé à la donne. Aujourd’hui comme hier, le refus de mixité garçons/filles s’exprime dès la maternelle. Les profondes racines plongées dans l’Antiquité du monde méditerranéen et arrosées d’islam rigoriste font des femmes des citoyennes de seconde zone. « La pression familiale et culturelle » est toujours là. L’antisémitisme chasse les juifs de certaines écoles et de certains quartiers. Les pompiers se font accueillir par des jets de pierre, des policiers sont brûlés vifs. Nous sommes bien au-delà d’une simple pratique religieuse débordant le champ de la liberté de conscience.
Pourtant, la loi emblématique de 2004, qui interdit « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse », a validé la seule lecture religieuse du port du voile, effaçant son versant politique. La bienpensance a fait le reste : la diversité des cultures ne pouvait être que source d’enrichissement. L’attractivité des valeurs d’égalité hommes-femmes et l’accès à un savoir émancipateur mèneraient à l’harmonie.
Le premier qui dit la vérité…
Aujourd’hui, la censure par la pensée molle du vivre-ensemble n’a pas de limite. Elle condamne à la mort sociale l’enseignant qui oserait parler ou s’éloigner de la doxa officielle, avec plus d’efficacité que les techniques d’intimidation de sa hiérarchie, adepte du désormais célèbre « pas-de-vague ». Ils sont ainsi majoritaires ceux qui pensent, en les choisissant comme accompagnatrices de sortie, ouvrir la porte de leur prison domestique aux « mamans voilées ». Ils oublient qu’ils ferment celle de l’émancipation à leurs filles, en validant le port d’un marqueur identitaire jusque dans l’espace de liberté que devrait être l’école.
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Viennent ensuite les enthousiastes, qui prêchent la richesse du bilinguisme lorsque l’Education nationale offre le symbole fédérateur de la langue arabe à ces communautés aux dialectes d’origine pourtant divers, en les rassemblant dans le cadre des ELCO, Enseignements des Langues et Cultures d’Origine. Controversés ELCO, confiés à des personnels mis à disposition par des pays étrangers, dont le ripolinage rapide par Najat Vallaud-Belkacem se limite à un changement de nom en EILE, Enseignements internationaux en Langues étrangères et une infographie suffisamment vague pour éviter les questionnements sur sa mise en pratique effective.
La loi de 1905, base nécessaire mais insuffisante
Enfin, n’oublions pas les stages en non-mixité proposés par Sud-Education 93, qui attestent de l’adhésion de certains enseignants à des thèses dont il est difficile de croire qu’elles contribuent à un apaisement des relations interculturelles, pilier d’une République une et indivisible.
Notre laïcité, présentée par certains comme universaliste et émancipatrice, génère l’espoir que la loi de 1905 suffira à elle seule à ramener la paix dans la Cité. Ce postulat apaise la conscience de l’homme de gauche en lui évitant de penser que certains des nouveaux damnés de la terre qu’il s’était trouvés ne souhaitent en rien partager ses valeurs. La posture est tenable aussi longtemps que l’on s’affranchit de la cruauté du réel. Aussi longtemps que l’on cède à la tentation de Versailles en débattant dans les salons et concevant des directives suffisamment vagues pour que la responsabilité n’incombe jamais qu’au lampiste en bas de l’échelle.
Or, si la laïcité est un bien précieux, elle n’est qu’une condition nécessaire mais non suffisante au retour à l’équilibre dans nos écoles comme dans notre société. Le rapport Obin se concluait par un appel à la lucidité et au courage. Après les quatorze ans d’inaction qui ont suivi sa rédaction, ces vertus sont plus que jamais d’actualité car nul de saurait résoudre un problème en ne le nommant pas. Aussi, prenons garde à ne pas utiliser la laïcité comme paravent destiné à masquer les velléités de développement d’une contre-société.
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