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De Jawad à Abdeslam, petit délinquant deviendra tueur d’enfants

Le terrorisme se nourrit de nos démissions


De Jawad à Abdeslam, petit délinquant deviendra tueur d’enfants
Jawad Bendaoud interrogé par BFM TV lors de son interpellation à Saint-Denis, le 18 novembre 2015.

Les procès de Jawad Bendaoud, Mohamed Soumah et Youssef Aït Boulahcen et celui de Salah Abdeslam sont l’occasion de nous interroger sur les liens entre la délinquance et le terrorisme islamiste, beaucoup moins systématiques qu’on ne l’a dit parfois, mais néanmoins notables.

L’islam condamne les voleurs à avoir une main tranchée, et s’oppose à toute consommation de drogue. Dès lors, comment ne pas s’étonner des liens étroits que l’on observe entre une certaine frange de la délinquance – du moins en Occident – et le terrorisme islamiste ? Le constat est pourtant implacable.

Les réseaux asociaux

Tous les djihadistes ne sont pas d’anciens délinquants, loin de là, et tous les délinquants ne deviennent pas djihadistes. Il y a cependant une grande partie de la délinquance dont on sent intuitivement qu’elle appartient au même monde que les djihadistes, et que ce n’est pas vraiment le nôtre. C’est le monde des fameux « territoires perdus de la République » – dont il n’est pas inutile de rappeler que les habitants ne sont évidemment pas tous délinquants ni terroristes, que beaucoup subissent malgré eux le poids des bandes et des réseaux islamistes, que certains ont le courage de s’opposer fermement à la délinquance ou au terrorisme, mais que, malgré tout, délinquants et djihadistes sont le plus souvent au milieu d’eux comme des poissons dans l’eau.

L’importance des nuances ne doit pas rendre aveugle aux grandes tendances, et celles-ci en retour ne doivent pas faire oublier la complexité du réel ni la grande diversité des situations individuelles. Gardons-nous donc des explications simplistes et des généralisations caricaturales, mais ne refusons pas non plus le constat essentiel : une certaine délinquance est rattachée aux djihadistes avant tout par l’appartenance aux mêmes réseaux communautaires, et un égal mépris pour les Occidentaux et leur culture.

Pauvre victime socio-économique…

Commençons par rappeler ce qui devrait être évident, mais continue malheureusement à être nié par ceux qui soutiennent le déterminisme contre le libre-arbitre. Ceux qui voudraient faire du djihadisme la simple expression d’un malaise socio-économique ou une réaction à un racisme supposé – qui peuvent jouer un rôle dans des adhésions individuelles à l’islam politique, mais n’expliquent absolument pas son existence. Oussama Ben Laden n’était ni pauvre ni victime de discrimination à l’embauche, et la destruction du sanctuaire de Taëf en 632 n’a pas été ordonnée en réaction à la politique d’Israël ou des Etats-Unis…

Comme l’écrit très justement Gabriel Martinez-Gros : « Imagine-t-on d’analyser le nazisme comme on prétend aujourd’hui analyser le djihadisme, en détachant sa « base sociale » de son « propos idéologique » ? On en conclurait que les nazis furent des ouvriers malchanceux, des petits commerçants ruinés par la crise, des intellectuels au chômage, des ratés du système capitaliste… La guerre mondiale, la hiérarchie des races, l’extermination des juifs ? Mais de quoi parlez-vous ? Simple habillage infantile d’une violence de déshérités… »

Délinquance et djihadisme, les six liaisons dangereuses

Revenons aux liens entre le djihadisme et la délinquance. Ce n’est évidemment pas de n’importe quelle délinquance dont il est question, mais de celle dite « des banlieues », c’est à dire de personnes vivant dans des secteurs géographiques où la culture majoritaire est musulmane. De liens, j’en vois au moins six, sans aucune prétention à l’exhaustivité.

Le premier relève de la sélection la plus pragmatique. Un individu « normal » qui du jour au lendemain se découvrirait une vocation de terroriste aurait bien du mal à savoir comment s’y prendre. Tout le monde peut acheter un couteau de cuisine, agresser quelqu’un et se faire arrêter ou « neutraliser » par les forces de l’ordre. Mais trouver des armes, des planques, de faux papiers, voler des voitures pour se déplacer, disparaître après une attaque pour préparer l’opération suivante, voilà qui est tout autre chose ! A moins d’avoir parmi ses contacts un habitué de l’économie souterraine et des réseaux clandestins, l’aspirant djihadiste a peu de chances d’arriver à ses fins – du moins jusqu’à ce qu’il rencontre un autre fidèle de l’islam politique qui, lui, saura lui fournir les connexions nécessaires.

En parlant des délinquants radicalisés, le comité des experts contre le terrorisme du Conseil de l’Europe notait justement, en mai 2017 : « Loin d’être un obstacle, leur passé les a rendus indifférents à l’illégalité et la violence, voire les a dotés de « compétences » exploitables à des fins terroristes. »

Le second lien est bien cette attitude de sécession, pour ne pas dire de prédation, vis-à-vis de la société. Irrespect des lois, acceptation et même jouissance de la violence. Délinquants et djihadistes, y compris lorsqu’ils s’opposent, appartiennent aux marges brutales qu’Ibn Khaldoun appelle les « bédouins », d’autant plus agissantes que la société « normale », qu’il qualifie « d’impériale », se veut pacifiée et renonce à l’emploi de la force, interdisant même à ses membres d’en faire usage pour se défendre, ou ne l’acceptant qu’en se pinçant le nez.

Quand Yann Moix ferme les yeux sur les exactions des migrants envers les habitants de Calais, mais assimile la moindre utilisation de la force par l’État à du totalitarisme et aux « heures les plus sombres », il illustre à lui seul la pertinence des théories d’Ibn Khaldoun, et envoie aussi bien aux délinquants qu’aux djihadistes du monde entier un message clair : la France se sent coupable de se défendre, elle est donc une proie facile. D’où, d’ailleurs, l’importance que le message contraire soit relayé aussi bien par des intellectuels que par les pouvoirs publics : non seulement nous ne nous laisserons pas faire, mais nous ne nous en sentirons pas coupables et donc nous ferons preuve de toute la détermination nécessaire.

Le troisième lien est le phénomène de radicalisation en prison, qui a lui-même plusieurs causes. L’une d’entre elles est le besoin d’appartenance à un groupe pour ne pas rester seul dans un environnement hostile. Le prisonnier qui rejoint une bande en détention bénéficie évidemment d’une certaine protection de la part des autres membres, et dans certains cas comme celui des islamistes cette protection comprend une aide financière à la famille « à l’extérieur », et des points de chute une fois sorti de prison. Naturellement, cette appartenance impose des contreparties, et la protection peut vite se transformer en pression. On peut d’ailleurs rapprocher ce constat de celui des jeunes de quartiers dits « difficiles » qui font partie d’une bande pour ne pas être seuls, le solitaire étant une victime toute désignée. Là comme en prison, plus de fermeté de la part de l’État et des sanctions plus strictes permettraient de mieux protéger ceux qui respectent les règles, et éviterait aux uns et aux autres de devoir rechercher le soutien d’un réseau criminel pour être en sécurité.

Le quatrième est la souplesse bien plus grande qu’on ne l’imagine de l’islam politique envers la délinquance, dans certains cas du moins. Héritage fantasmé du temps des razzias, la violence envers les mécréants et autres kouffars est regardée avec indulgence, quand elle n’est pas ouvertement encouragée. Bien évidemment, le discours médiatique chargé d’une repentance à sens unique entretient un profond ressentiment, laissant croire que les musulmans d’Occident seraient privés de ce qui leur serait dû, en oubliant toujours de préciser qu’ils ont ici beaucoup plus de droits et de facilités que ne peuvent en espérer les non-musulmans en terre d’islam. Dans ce discours, la délinquance devient donc réparation d’injustices et non plus agression.

En outre, découlant de choix collectifs et non de l’autorité divine, les lois de la République sont jugées blasphématoires de par leur existence même, la charia seule pouvant être légitime pour réguler la vie en société. Dans la radicalisation, un délinquant trouvera une justification et même un encouragement à ses choix de comportements prédateurs, quitte à changer de « proies » pour n’avoir comme victimes que des « incroyants » ou de « mauvais musulmans »… c’est à dire tout le monde à part les adeptes de sa branche de l’islam ! On voit que la contrainte est des plus légères. Au fond, tout ceci n’est que la mise en application de ce qu’enseignait Al Ghazâli dès le XIe siècle : « Si un infidèle empêche, par l’action, un musulman (de faire quelque chose), c’est un acte d’autorité sur le musulman, ce qui constitue une humiliation pour ce dernier. or le débauché mérite l’humiliation, mais non de la part de l’infidèle qui lui, la mérite à plus juste raison. »

Le cinquième, paradoxal en apparence au regard du précédent, est celui d’une forme de désir de rédemption, ou du moins de soif de remplir un vide existentiel. N’en déplaise à certains, vouloir posséder une Rolex à 50 ans ou avoir envie de devenir milliardaire ne suffit pas à donner du sens à une vie. Qu’un délinquant de petite ou grande envergure finisse par aspirer à autre chose, par éprouver de la honte ou de la culpabilité, par ressentir le besoin de faire quelque chose de grand et qui dépasse la satisfaction de ses intérêts égoïstes, voilà qui devrait plutôt nous rassurer sur la nature humaine ! Nulle recherche de légitimation théologique de ses appétits dans un tel cas, mais au contraire un authentique besoin de se racheter, de se mettre au service d’une cause plus grande que soi.

Or, les djihadistes bénéficient d’un prestige certain auprès d’une part non négligeable de la communauté musulmane occidentale, y compris auprès de ceux de ses membres qui ont choisi la délinquance comme mode de vie. Plus encore, même lorsque leurs méthodes sont rejetées, leur idéal n’est que timidement critiqué quand il n’est pas implicitement approuvé, et ils s’appuient de surcroît sur des références culturelles et religieuses familières, et connotées positivement dans la communauté. Par le recours permanent à l’autorité des textes fondateurs, le djihadiste juge sans qu’on puisse le juger. Rien d’étonnant donc à ce que ce soit au service de cet idéal-là, si pervers soit-il en réalité, qu’un repenti sincère puisse décider d’offrir sa vie.

Méditons ce constat fait au sujet du parcours d’un jeune catholique converti à l’islam : « Autour de lui, personne n’a l’air prêt à donner sa vie pour les formules un peu fades qu’il entend au caté ou à la messe. Où sont les abbés Pierre dans cette banlieue trop tranquille où les copains passent leur temps à fumer des joints ? »

On peut débattre pour savoir s’il faut plus de courage pour mourir en martyr glorieux d’une cause, ou pour vivre en la servant humblement au quotidien. Mais on ne peut nier la séduction qu’exerce l’intensité de l’engagement des djihadistes, fascination même, au point d’abolir tout regard critique sur la monstruosité de ce qu’ils servent et des crimes qu’ils commettent en son nom.

Enfin, n’oublions pas la solidarité communautaire, ou plutôt communautariste, aux triples ressorts ethniques, culturels et religieux. Il y a les liens familiaux ou de voisinage en France, mais aussi les réseaux toujours actifs dans les pays d’origine pour les personnes issues de l’immigration, qui malgré quelques convertis forment tout de même l’essentiel des djihadistes. Il y a l’habitude de la loi du silence dans les quartiers sensibles, qui y prédispose à donner asile à des criminels sans se demander s’ils sont terroristes ou de droit commun. L’habitude aussi de côtoyer tant la délinquance que les marqueurs de l’islam politique, qui les banalisent l’un et l’autre. Et la sympathie pour la cause de l’islam politique, ainsi que la croyance en la légitimité de la charia, favorisent plus que fortement la complaisance envers les djihadistes de la part d’une portion non négligeable des habitants des « territoires perdus », qu’ils soient ou non délinquants.

Surtout, l’islam littéraliste pousse fermement les musulmans à toujours soutenir un « frère » ou une « sœur » contre les « mécréants », quoi que ce « frère » ou cette « sœur » puisse avoir fait… ou avoir l’intention de faire. L’Oumma avant tout ! Trop de musulmans qui, pourtant condamnent les crimes des terroristes, se sentent malgré tout plus proches d’un djihadiste que d’un athée, d’un païen, d’un juif, voire d’un chrétien…

Ce n’est pas pour rien que Houria Bouteldja déclarait en 2012 : « Mohamed Merah c’est moi, et moi je suis lui. » Ce n’est pas que postcolonial ou décolonial, son « amour révolutionnaire » se dit surtout « Allahou akbar », et son injonction aux « Blancs » dans Les Blancs, les Juifs et Nous est sans ambiguïté : « changez de Panthéon, c’est ainsi que nous ferons Histoire et Avenir ensemble » car sinon « demain, la société toute entière devra assumer pleinement le racisme anti-Blanc. » Pour elle, la séparation entre croyants et incroyants surpasse toute autre considération, et on en revient au djihad : la conversion ou la mort. Décidément et résolument, en matière de panthéon je préfère la Triade capitoline !

C’est d’ailleurs la même réaction de défense de la communauté au prix de l’éthique qu’on peut voir à l’œuvre dans la dénonciation frénétique des prétendus amalgames – en réalité refus de l’autocritique et fuite face aux responsabilités. Même les condamnations prononcées ne le sont généralement que précédées d’une exclusion : « ce n’est pas ça l’islam », « ce ne sont pas de vrais musulmans », et trop rares sont ceux qui, comme Abdennour Bidar, ont le courage et l’honnêteté de dire que si l’islam ne se résume pas au djihadisme, il le porte néanmoins en lui.

Il faut imposer le respect de nos lois

Le procès en cours nous donne l’occasion de ces constats. Mais si importants soient-ils, ils ne suffisent pas. Nous devons maintenant nous demander comment affaiblir ces liens, en particulier le dernier. Comment convaincre nos concitoyens musulmans que l’appartenance à la République peut être au moins aussi noble et importante que l’appartenance à l’Oumma ? Il faut – c’est même primordial – imposer le respect de nos lois, mais il faut aussi convaincre.

Or, proposer véritablement un autre modèle de société que celui des islamistes, proposer d’autres voies de rédemption ou d’accomplissement de soi que l’alternative absurde entre la jouissance consumériste et la jouissance destructrice, impose de croire en ce que nous proposons et de vivre en conséquence, sans quoi nous ne pourrons pas être pris au sérieux.

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Ce qui veut dire d’une part, agir conformément à nos principes, et notamment ne plus nous compromettre avec les pires promoteurs de l’islam radical dès qu’il est question de pétrodollars, mais aussi imposer des limites à la guerre économique, ou cesser de sacrifier l’avenir des écosystèmes au nom d’intérêts immédiats. Et d’autre part, reconnaître la légitimité et la valeur du plaisir et du confort mais arrêter de les confondre avec le bonheur, et nous libérer de la double chape de plomb du relativisme moral et de la repentance – qui a depuis longtemps cessé d’être une critique nécessaire et s’est muée en haine de soi nihiliste – pour pouvoir renouer enfin avec l’aspiration à la grandeur.

Projet ambitieux ? Évidemment. Projet impossible ? Bien sûr que non ! Nous sommes héritiers d’Athènes et de Rome ; de Périclès, Auguste et Winston Churchill ; de Cicéron et Aliénor d’Aquitaine ; d’Hypatie, Léonard et Marie Curie ; de Cléanthe et Saint François ; du Parthénon et des cathédrales gothiques ; de Thémistocle et Marie Hackin ; d’Ulysse, Perceval et Cyrano de Bergerac. Nous ne pouvons pas faire moins.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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