La dramaturge et romancière brésilienne née à Sao Paulo publie avec Feu follet (Actes Sud, 2017) un étonnant roman noir dont la référence à Drieu la Rochelle est explicite. Et pas seulement du fait de ce titre.
Le Feu follet est d’abord un roman publié en 1931 par un écrivain devenu ensuite sulfureux, Pierre Drieu la Rochelle. Drieu, au sujet duquel Julien Hervier s’apprête à publier un livre en forme d’abécédaire chez Gallimard, s’est suicidé le 15 mars 1945, après s’être engagé dans la Collaboration et avoir dirigé la prestigieuse NRF durant la guerre.
Drieu en toile de fond
Drieu n’en est pas moins reconnu comme étant un des écrivains importants du siècle passé, son œuvre ayant été rééditée dans la prestigieuse Pléiade en 2012, un écrivain du mal-être intérieur, un mal-être dont la vie est d’une certaine manière la traduction. Il pouvait être sauvé par Paulhan en 1944, il décida pourtant d’aller au bout de ce qu’il se pensait être, et se suicida en même temps que l’Allemagne s’écroulait. Drieu la Rochelle fut ce « socialiste fasciste », théorisé dans de nombreux textes parus dans divers journaux, dont celui du PPF de Doriot, un PPF dont il fut dès 1936 la figure de proue intellectuelle, ainsi que dans un ouvrage paru en 1934 et fort lu à l’époque, Socialisme fasciste.
Il se revendiquait de socialistes non marxistes, particulièrement Proudhon, à l’image de divers courants de pensée actuels ou de Michel Onfray. Comme à l’époque de Drieu, il y a aujourd’hui une sorte de « mode Proudhon ». Outre son Feu follet, on cite souvent à propos de son œuvre des romans tels que Une femme à sa fenêtre, Béloukia ou L’Homme à cheval. Il y a en réalité plusieurs Drieu en ce Drieu la Rochelle et j’ai pour ma part un goût prononcé pour Gilles, que je tiens pour l’un des plus grands romans français du XXe siècle. Avec, pour rester dans ce coin d’ombre et d’eaux troubles, Voyage au bout de la nuit de Céline ou Les Deux étendards de Rebatet. Trois écrivains du catalogue Gallimard. L’éditeur parisien publiait alors les principaux écrivains et poètes français, fussent-ils de droite ou de gauche. On trouvait ainsi au catalogue Aragon et Drieu la Rochelle. Cependant, Le Feu follet est aussi une adaptation cinématographique célèbre de Louis Malle, avec l’excellent Maurice Ronet dans le rôle titre (1963).
Ainsi que plus récemment, l’adaptation du cinéaste norvégien Joachim Trier, Oslo 31 août, film ayant à juste titre rencontré un certain succès critique et public.
Étonnante postérité que celle de Drieu la Rochelle, laquelle se prolonge donc avec le Feu follet en forme de roman noir de Patricia Melo.
Le théâtre du suicide
L’entraînant et truculent roman noir de Patricia Melo se déroule à notre époque, dans une Sao Paulo en proie à une vague de violences urbaines. C’est dans ce contexte que la jeune et fort jolie responsable du service scientifique de la police de la ville, Azucena, est amenée à enquêter sur la mort d’une célébrité des feuilletons télévisés, fort prisés en Amérique du sud. Ce comédien, Fabbio, est alors à l’affiche de l’adaptation théâtrale en portugais du Feu follet de Drieu la Rochelle. La première représentation terminée, le public est impressionné par le réalisme du suicide final du personnage principal, lequel se tire une balle dans la tête. Sauf que le comédien est vraiment mort sur la scène. Suicide ? Meurtre ?
Critique de la société de l’image
Outre la qualité et les rebondissements de l’intrigue policière, ainsi que la véracité des rapports humains au sein des services de police de Sao Paulo, l’affaire donne un beau prétexte à la romancière pour nous entraîner à sa suite dans une critique de la société de l’image dans laquelle nous sommes plongés, tant du côté des médias et de leur « téléréalité » que de celui d’une presse avide de sordide et de tranches de vie de stars à la limite de la prostitution. Images dégradantes de certaines femmes avides de se vautrer dans la société de l’image qui les abîme. La critique du monde médiatico-culturel est féroce, elle sonne cependant juste. Tout comme sonne juste le regard porté par Patricia Melo sur les vies contemporaines. Celle du comédien et de sa femme, bien sûr. Mais aussi celles des autres protagonistes, pris entre leurs métiers, leurs divorces et leurs enfants.
Les salauds ne sont pas ceux que l’on croit
Si ce roman est un roman noir, il est aussi une sorte d’instantané de ce que sont devenues les vies quotidiennes de nombre de nos contemporains, mondialisés, assoiffés d’images, la leur comme celles fournies par une pornographie partout envahissante, et les velléités de profit sale qui vont avec. Il y a des salauds bien sûr, dans ce Feu follet, et ce ne sont évidemment pas ceux que l’on croit – et l’on tue pour des raisons autres que celles que l’on pense de prime abord. Alerte, satirique, plein d’humour tout aussi noir que son thème, ce roman est aussi, et peut-être surtout, un très beau roman sur ce que nous sommes en train de devenir. Quels feux follets sommes-nous, maintenant ? Ceux de Drieu ? De Louis Malle ? De Joachim Trier ? De Patricia Melo ?
Patricia Melo, Feu follet, roman traduit du portugais (Brésil) par Vitalie Lemerre et Eliana Machado, Actes Sud, 2017.
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