Dimanche dernier, à la cérémonie de remise des Golden globes, de quoi portaient-elles le deuil ces dames de Hollywood, toutes de noir vêtues, poitrine, épaules et dos nus à qui voulaient voir ? Falbalas grotesques. Rien à voir avec la délicieuse Suzy Delair et son tralala ! Pour les hommes, Sunset boulevard, pour les femmes, Sunshine America !
La bien-tançance frappe
L’on pense de suite à Lysistrata (411 av. J.-C.) où des femmes se révoltent contre la domination masculine, ou à L’Assemblée des femmes (du même Aristophane, 391 av. J.-C.), dont le mot d’ordre est : « Pour arrêter la guerre, refusez-vous à vos maris », où les femmes gouvernent et font tout à l’opposé des hommes. Comme était touchante cette solidarité hypocrite entre personnes du sexe, cette affirmation de prise de pouvoir urbi et orbi (Oprah Winfrey, la reine des médias outre-Atlantique allant jusqu’à faire acte de déclaration à la future présidentielle américaine et Lady Gaga enthousiaste s’écriant : « Je vote pour elle »). Mini-Nuremberg pour sales prédateurs ! Il faut croire que si l’esprit n’a pas de sexe, son absence non plus. Par ces temps où les chanteurs yéyés jouissent d’hommages nationaux, l’on se surprend à fredonner du Claude François : « Oh quel sale bonhomme ! Quel sale bonhomme ! Un monstre en somme ! Oh sale bonhomme ! ».
Pauvre Spacey
Reconnaissons que Weinstein est le coupable idéal, le faciès même du lubrique cynique manipulateur, avec à son actif tout de même quelques excellents films. Ah comme nous aurions aimé être harcelées par George Clooney ou par Alain Delon de la haute époque ! Hier la presse anglo-saxonne émettait des doutes du bout des lèvres au sujet de Woody Allen. Pas un jour où un porc n’est balancé ici ou là, bien-pensance et bien-tançance mêlées dans l’hystérie générale, comme autant d’échos utérins malsains. Pourtant la cause, si cause il y a, est aussi celle des hommes comme l’atteste le cas emblématique de Kevin Spacey, écarté sans ménagements de la série House of Cards, pour avoir abusé d’adolescents et autres éphèbes, en d’autres temps. On n’ose de nos jours penser à ce qui serait advenu de l’écrivain français nobélisé, André Gide, amateur de « petits arabes », pédophile et colonialiste non en paroles, mais dans les faits !
Les femmes vivent une régression
Jadis, on pardonnait beaucoup aux artistes, considérant que leur vie échappait au sort commun. Ou on ne les excusait point, allant jusqu’à les excommunier et les enterrer hors terre chrétienne. Les temps sont devenus tristes. Les temps sont sinistres. Les Précieuses n’ayant rien de précieux, restent juste ridicules. Imbecillitas sexus ! (Faiblesse du sexe) En dépit des apparences, les femmes actuelles vivent une régression. On les avait crues majeures et maîtresses de leur vie. Et voilà qu’elles s’avouent pusillanimes, ayant payé cher le prix de ce qu’on appelle « la réussite ». Et les clameurs viennent d’un milieu privilégié, celui des stars de l’écran, avant de se propager un peu partout, dénonciations sur dénonciations. Si le viol est un crime à punir avec extrême sévérité, le moindre geste non-désiré ne peut être taxé d’agression ou de viol. Toute relation humaine comporte une dimension de force, y compris les rapports intimes entre hommes et femmes. À quoi a servi la libération de la femme, si nous sommes tout autant démunies dans un jeu amoureux toujours ambigu, où le mâle dominant peut aussi être une femelle ?
L’on oppose souvent le puritanisme américain au laxisme latin. Il y a aussi dans notre culture européenne et surtout française une tradition de l’amour courtois, un esprit de marivaudage qui se prête au plus exquis des exercices amoureux, celui de l’esprit, un discours badin où chacun fait l’amour aux mots. Tout cela est balayé sous des vociférations qui peuvent avoir des fondements sérieux mais pas toujours. Peggy Sastre, Catherine Deneuve, Elisabeth Lévy et les autres signataires de la pétition parue dans Le Monde ont raison de ne pas confondre le terrain propre à la séduction et celui de la domination.
Les ligues de vertu à Hollywood
Chacun sait que le monde du spectacle a été fondé par les ligues de vertu où les oies blanches rivalisent de pureté ! Certes, le cinéma américain a longtemps (1930-1966) observé les clauses du Code Hays qui régissait la production cinématographique, censurait des scènes trop osées et garantissait la moralité des films. En 1915, l’affaire Mutual Film Corporation v. Industrial Commission of Ohio donna lieu à la décision de la Cour suprême des Etats-Unis d’après laquelle, le cinéma étant une activité mercantile, il ne peut prétendre à la protection du Premier amendement sur la liberté d’expression. Dans les années 1920, Hollywood passe au regard de tout un chacun comme un lieu de débauche et de perdition où l’on ne compte plus les scandales de sexe, de drogue, d’alcool et de morts suspectes. Officiellement, l’obscénité se trouve bannie, l’indécence et la licence éliminées, les « déviances » mises au placard (closet). Rien ne doit choquer les « principes » supposés des spectateurs. Un certificat de bonne conduite sera exigé pour les acteurs. Le changement de l’image de Betty Boop, dans le dessin animé éponyme, reflète le contrôle des images : la minette minaudant et flirtant en minirobe avant 1934 devient après une fille comme il faut, une working girl en jupe allongée et chemisier à manches longues. Billy Wilder estimait que ces contraintes offraient l’occasion d’un art supérieur, tout d’allusions. La force de l’image venait de ce qu’on évitait des contorsions plus allumeuses que des scènes crues du cinéma actuel. Les hommes rêvaient de Rita Hayworth, Gilda s’effeuillant à peine, les femmes s’affolaient de certains regards de velours et tous s’enchantaient de la réplique finale de Jack Lemmon : « Nobody’s perfect » (Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder, 1959).
Le monde n’était ni égalitaire ni égalitariste. Il y avait encore un peu de civilisation, de l’urbanité dans les rapports humains, osons le mot : un peu de grâce.
Et Cologne ?
Le pire est que celles qui vocifèrent maintenant jusqu’à empêcher toute contradiction, sont les mêmes qui se sont tues lors des viols de Cologne et les mêmes qui acceptent la condition diminuée de la femme musulmane, au nom de respect de traditions qu’elles ne connaissent même pas. Elles refusent jusqu’à la « solidarité » des hommes de Hollywood : « Not enough guys ! Not enough ».
Comme le disait Henry Kissinger : « Nobody will ever win the battle of sexes. There’s too much fraternizing with the enemy » (« Personne ne gagnera jamais la guerre des sexes. Il y a beaucoup trop de fraternisation avec l’ennemi. »)
A la raison sommée de se taire et de se soumettre, opposons et murmurons la chanson tout en dentelles d’une femme libre, Juliette Gréco, dans « Déshabillez-moi » (1967) :
« (…) Et d’abord, le regard
Tout le temps du prélude
Ne doit être ni rude, ni hagard
Dévorez-moi des yeux
Mais avec retenue
Avec délicatesse
En souplesse
Et doigté »
Et terminons par un ordre féminin souverain :
« Et vous…
Déshabillez-vous »…
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