Le nom de Tamim bin Hamad al-Thani ne dit rien à la plupart d’entre nous. Pourtant, l’émir héritier du Qatar, qui dirige le fonds souverain du pays, est l’un des hommes les plus puissants de la planète. Avec Al-Jazira, la chaîne créée en 1996 par l’émir lui-même, la Qatar Investment Authority est l’un des bras armés de la diplomatie de cet État richissime, qui investit dans le Vieux Continent avec une légère préférence pour notre pays.
L’émirat a placé des billes dans des fleurons de l’industrie et de la finance européennes, comme EADS, Volkswagen ou la City de Londres. Mais c’est dans le sport professionnel qu’il met le paquet : on imagine aisément qu’il s’agit d’engranger de l’image plus encore que des profits. Ainsi, après avoir obtenu l’organisation de la Coupe du monde de football , le Qatar a pris, en tant que sponsor, la place de l’Unicef sur le maillot de foot le plus cher du monde, celui de Barcelone, avant de devenir au printemps 2011 le propriétaire du Paris Saint-Germain. Parallèlement, Al-Jazira a acheté de nombreux droits de retransmissions sportives, notamment ceux de la Ligue 1 de football en France et une partie de ceux de la Ligue européenne des champions. Et elle s’intéresse de très près aux droits de la Pro A (élite du basket-ball français). Si on ajoute la création d’un fonds d’investissement pour les banlieues françaises − où football et basket nourrissent encore les rêves d’ascension sociale −, on comprend que les Qataris mènent une politique cohérente, visant autant l’influence que les bénéfices financiers.
Si la France intéresse les Qataris, l’argent des Qataris intéresse visiblement la France. À Paris, on leur déroule le tapis rouge.[access capability= »lire_inedits »] Nul n’ignore que la France a soutenu leur candidature pour la Coupe du monde. On sait aussi que la ministre des sports, Chantal Jouanno, a failli perdre son maroquin pour avoir regretté publiquement que le PSG n’ait pas été racheté par un investisseur français − grand supporteur du club parisien, le Président de la République a joué un rôle actif dans son rachat par la QIA. Par ailleurs, la convention fiscale entre la France et le Qatar, révisée en janvier 2008, accorde à la famille de l’émir un enviable régime d’exonération sur les plus-values immobilières en France. Enfin, le lobbying de l’Association nationale des élus locaux de la diversité (Aneld), proche de l’UMP, a été décisif dans la création du fonds de 50 millions d’euros destiné à financer des projets économiques dans les banlieues. Le président de l’Aneld, Kamel Hamza, qui, lors des dernières élections municipales, menait la liste de la majorité à La Courneuve, a même été reçu par l’émir. Mais les Qataris sont tout sauf sectaires. Ils chouchoutent aussi la gauche et reçoivent régulièrement à Doha la fine fleur de ses représentants − on ne sait jamais.
En attendant, on peut se demander si nos dirigeants ne se laissent pas aveugler par les sommes mirifiques − véritable miracle en période de crise − dépensées par nos nouveaux amis. En encourageant, voire en sollicitant l’investisseur qatari, les pouvoirs publics français ne sont-ils pas, au minimum, coupables de naïveté ? Car ces largesses ne sont pas gratuites − et pourquoi le seraient-elles ? Dans « soft power », il y a « power » : la diplomatie culturelle, c’est de la diplomatie. Les Américains ont utilisé le cinéma et l’industrie du divertissement pour diffuser leur message et leurs valeurs − luttant au passage contre notre « exception culturelle » à l’OMC. Lorsque la France créait des lycées français dans le monde entier, politique malheureusement sacrifiée sur l’autel de la RGPP, elle accroissait son rayonnement et son influence. Le Qatar a choisi le « sport-power », selon l’excellente formule de Régis Soubrouillard dans un texte publié le 7 décembre sur le site de Marianne.
Peut-on imaginer que l’investissement sonnant et trébuchant ne devienne pas, tôt ou tard, le support d’un message visant à propager les valeurs d’une civilisation ? On me dira que ces Qataris sont des gens parfaitement fréquentables. Peut-être. Mais cela ne signifierait pas forcément qu’ils partagent nos conceptions laïques et républicaines. De plus, on ne saurait exclure que ce pays, où les coups d’État intra-familiaux sont une tradition bien ancrée, tombe un jour dans d’autres mains, plus radicales.
Un de mes amis a souvent eu l’occasion d’assister aux retransmissions d’Al-Jazira Sports, dont la branche française est dirigée par l’ancien de Canal + Charles Biétry. Il m’a assuré n’avoir jamais entendu le moindre commentaire douteux. Je lui ai rappelé l’histoire du Petit chaperon rouge et de la patte blanche. « Mère-Grand, pourquoi avez-vous de si grandes dents ? »[/access]
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