Il y a pile vingt ans, en septembre 1997, le clip du single « Electric Barbarella » du groupe britannique Duran Duran faisait polémique au point de se voir notamment censuré au Canada – y compris sur MTV et VH1 -, pour « dépassement des limites du bon goût » (comprendre misogynie et sexisme supputés).
Au-delà de ces considérations extra-artistiques, en prenant un peu de hauteur sociologique, on peut se demander si le clip ne consiste pas en une simple déclinaison du film de Roger Vadim Et Dieu… créa la femme (1956), en version dystopique, à travers une allégorie certes triviale.
Il nous montre en effet une poupée bionique ensorcelant trois hommes à la fois, pris au piège de sa beauté plastique et de sa sensualité électrique. Cet animal indomptable évoque bien, quarante ans après, une Bardot mythique et probable prototype de cette « Electric Barbarella » à travers un mélange d’innocence, de sexualité et d’exaltation. Ce qui traduisait une forme de libération sexuelle sur la pellicule de Vadim – sous les traits, déjà, d’un fantasme – se mue ici en interrogation sur la technologie au service de l’assouvissement des fantasmes, en mode multifonction (applis « androïde » avant l’heure…).
Une réalisatrice sexiste?
Notons que le clip a été réalisé par la photographe de mode Ellen von Unwerth (une femme !) au moment des balbutiements d’Internet. Le titre de la chanson constitue un clin d’œil au film Barbarella, réalisé par le même Vadim et sorti en pleine période de la sacrosainte libération sexuelle de 1968, et d’où le groupe a tiré son nom (le “méchant“ du film s’appelle le Docteur Durand Durand).
Cette « Barbarella électrique » est une créature acquise par les trois protagonistes – les membres du groupe pop-rock – dans le seul but d’assouvir leurs fantasmes (de mâles dominants?). Richard Dyer, dans son essai Marilyn Monroe et la sexualité, indique que dans les années 50 – années pendant lesquelles la société de consommation prend son essor -, la femme blanche et blonde est perçue comme « la possession la plus précieuse de l’homme blanc. » Dans le clip, les trois hommes choisissent la créature féminine blonde, alors que des brunes sont également proposées à la vente.
Femme-fantasme
Et Richard Dyer d’ajouter : « La femme blanche n’est pas seulement la plus précieuse du patriarcat blanc, elle fait également partie de la symbolique qui définit la sexualité elle-même. » Cette symbolique évoque irrémédiablement la figure de Sigmund Freud, explorateur historique de l’inconscient et révélateur d’une tendance observée dans ses analyses : la part décisive qui incombe au rôle de la bonne dans les scènes fantasmatiques.
Plus qu’en 1997, le sujet paraît éminemment sulfureux en 2017 : époque où l’animateur Tex est obligé de s’excuser publiquement puis viré après une « blague sexiste » dénoncée par une secrétaire d’État…
Le clip qui enflamme le plancher
Alors, que disent les intéressés de ce clip outrageusement sexiste et misogyne pour certains, paru en 1997 ? Simon Le Bon, chanteur du groupe, anticipait les réactions à l’époque : « Pensez-vous que notre vidéo soit misogyne ? Je ne pense pas. C’est juste de l’humour. Il n’y a aucune aversion pour les femmes ou quoi que ce soit de cet ordre. On a reçu un fax nous informant que la chaîne MuchMusic avait un problème avec le clip. Ils ont suggéré que la fin de la vidéo pourrait peut-être être remaniée, que la fille pourrait transformer les garçons en robots et ainsi accéder à une forme de pouvoir. On s’est dit : “Très bien. Qu’ils aillent se faire voir !” Et puis après tout, si c’est politiquement incorrect, tant mieux ! »
In fine, si le clip n’est ni sexiste, ni misogyne, on peut en revanche lui accorder une certaine propension à enflammer le plancher. Et s’il était tout simplement… rock’n’roll ? Sans doute trop, voilà son vrai problème. Quant à savoir si rock’n’roll et néo-féminisme peuvent faire bon ménage…
Pour aller plus loin : Duran Duran. Les Pop modernes de Sébastien Bataille (Fayard, 2012).
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