L’exposition « Chrétiens d’Orient. 2 000 ans d’histoire » organisée à l’Institut du monde arabe est une vraie réussite. Mais dans le contexte actuel de persécutions et de massacres islamistes, elle sonne un peu comme un requiem.
La propagande islamiste fonctionne, et même très bien. La preuve, face à l’immense panneau publicitaire de l’exposition « Chrétiens d’Orient. Deux mille ans d’histoire » accroché à la façade de l’Institut du monde arabe, à Paris, on se demande, un rien confus, si c’est le lieu le plus approprié pour accueillir un tel événement. Et pourtant, l’IMA n’en est pas à son coup d’essai. En 2003, autant dire quelques mois après le début de la guerre en Irak, l’institution s’était déjà démarquée en montrant au public de somptueuses icônes arabes et l’art chrétien du Levant. « Ce que l’islamisme a réussi à imposer comme idéologie, c’est qu’on ne peut pas être arabe sans être musulman ! » souligne Jean-François Colosimo, historien des religions et directeur des Éditions du Cerf. Auteur d’un ouvrage de référence sur la question des chrétiens d’Orient, Les Hommes en trop. La malédiction des chrétiens d’Orient, il tient à souligner la signification que revêt cette exposition dans le contexte de la menace qui pèse sur la survie des communautés chrétiennes au Proche et Moyen-Orient : « Parmi les grands bailleurs de l’IMA il y a des pays qui ont des politiques tout à fait différentes à l’égard des chrétiens. Cette exposition est donc la bienvenue. C’est un rappel fort du fait, qu’au moins sur le plan linguistique et culturel, les chrétiens font partie du monde arabe et depuis bien longtemps. »
Plus de 300 objets, dont une partie jamais montrés en Europe, prêtés pour l’occasion par les communautés elles-mêmes grâce à l’aide de l’Œuvre d’Orient, en témoignent. Parmi les plus précieux, ces Évangiles de Rabula du vie siècle, célèbre manuscrit enluminé syriaque, ou cette magnifique fresque du IIIe siècle qui représente la guérison du paralytique. Elle provient de Doura-Europos en Syrie où, à l’époque, les chrétiens ont commencé à se retrouver autour des domus ecclesiae – leurs premiers lieux de culte sous l’Empire romain. Rapidement, après l’édit de Milan, en 313, la nouvelle foi s’est propagée. La construction de la basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem et celle de la Nativité à Bethléem ont été ordonnées par Constantin pour symboliser le lien entre le pouvoir et la religion. Et partout l’orfèvrerie de luxe s’est développée, donnant les chefs-d’œuvre liturgiques présentés en nombre à l’IMA – moules à hosties, encensoirs, calices.
Les « chrétiens d’Orient » n’existent pas
Si l’Église est née en Orient et si c’est depuis l’Orient qu’elle s’est étendue à tout l’empire, les conciles d’Éphèse (431) et de Chalcédoine (451) convoqués afin de débattre sur la question fondamentale, à savoir celle de la nature du Christ, ont marqué sa division en cinq patriarcats : Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. La dernière grande scission, appelée « schisme d’Orient », date de 1054, scellant la séparation des églises orientales qui ne sont plus en communion avec Rome.
C’est dire l’imprécision de l’appellation « chrétiens d’Orient », dont on fait pourtant usage depuis plus d’un siècle. Bien commode, elle suscite l’exaspération des experts. « Le problème c’est que les chrétiens d’Orient, ça n’existe même pas, tellement leur situation et leur histoire varient d’un pays à l’autre », assène Jean-François Colosimo. Philosophe et théologien franco-libanais, maronite de confession, Antoine Fleyfel note que, sous la plume de nombre d’auteurs, cette dénomination désigne des réalités géographiques très diverses, sinon contradictoires. En effet, au moment de son apparition, l’expression définissait des populations chrétiennes qui habitaient l’espace allant de la Turquie à l’Iran. Les organisateurs de l’exposition à l’IMA précisent sobrement qu’ils se focalisent sur la « Terre sainte » (ici, on ne parle toujours pas d’Israël) et aux territoires actuels de la Syrie, du Liban, de l’Égypte, de la Jordanie et de l’Irak. De fait, non seulement l’Empire ottoman n’existe plus, mais dans les frontières de l’actuelle Turquie, il n’y a plus de chrétiens. Outre le génocide arménien de 1915, l’expulsion des Grecs du territoire turc en 1923 marque de facto la disparition des chrétiens d’Asie Mineure. « L’islam n’y a joué aucun rôle. Il s’agissait du nationalisme turc, façon Atatürk, c’est-à-dire d’une guerre de révolution nationale », précise Jean-François Colosimo.
« Quand on les menace, les coptes pleurent et prient, tandis que les maronites prennent les armes et se défendent »
Une des dernières sections de l’exposition, « Être chrétien dans le monde arabe aujourd’hui », témoigne de la volonté des chrétiens de créer une culture arabe commune avec les musulmans et de leur participation à la Nahda, la renaissance arabe moderne, aussi bien politique que culturelle, inaugurée par le déclin de l’Empire ottoman. Ils y ont vu l’espoir d’un retour vers l’âge d’or de la grande civilisation arabo-musulmane, ouverte, pluraliste, de nature à dissoudre le facteur confessionnel. On aurait tort de croire que leurs efforts n’ont abouti à rien. Il suffit de citer le nom de Michel Aflak, qui a posé les bases idéologiques du Parti Baas, de Tarek Aziz ou de Boutros Boutros-Ghali pour se rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, les chrétiens faisaient partie des décideurs en Irak ou en Égypte. Et cette présence était bien plus qu’une vitrine attrayante des régimes en place. En Syrie, une ligne budgétaire au ministère du Logement était réservée à la construction des églises. Mais alors, à la fin du parcours, garde-t-on en tête les images de l’exil, les portraits de toutes ces familles nostalgiques de la terre qu’elles ont dû quitter ?
Comme tout le reste en Orient, la réponse à cette question n’est pas simple. Antoine Fleyfel évoque des différences anthropologiques majeures entre les communautés chrétiennes. « Quand on les menace, les coptes pleurent et prient, tandis que les maronites prennent les armes et se défendent », dit-il. Difficile de s’étonner de l’attitude des coptes étant donné que les deux stratégies qu’ils ont développées – l’influence culturelle et le repli cultuel – afin de composer avec le régime en place, ont échoué toutes les deux. Au Liban, les maronites ne se sont pas mieux tirés d’affaire, perdant notamment le privilège de la présidence de la République après la guerre civile. Partout où ils subsistent encore en Orient, les chrétiens sont entrés dans une logique minoritaire, c’est-à-dire qu’ils organisent leur vie de façon à pouvoir quitter leur pays du jour au lendemain, se concentrent dans les villes plutôt qu’à la campagne, font moins d’enfants. Pour Jean-François Colosimo, la principale menace n’est pas leur disparition définitive du paysage oriental, mais leur faiblesse démographique qui les empêchera de participer aux affaires et de peser sur le cours des événements : « Les chrétiens dans le monde arabe ont la fonction qu’avaient les juifs en Europe au XIXe siècle. Ce sont des boucs émissaires auxquels on peut toujours imputer les problèmes. Ils sont indésirables. »
Or, et c’est peut-être le plus grave, l’Occident n’a absolument aucun programme concernant la diaspora, pas le moindre plan qui organiserait le retour des réfugiés et des déplacés, et garantirait leur sécurité sur place. Si cette région du monde devait être un jour vide de toute présence chrétienne, il ne serait pas exagéré de parler d’une catastrophe de civilisation. Et ce ne serait pas seulement une catastrophe pour les chrétiens, mais aussi pour les musulmans qui seraient ainsi privés d’altérité et se retrouveraient, seuls, face aux fanatiques islamistes.
« Chrétiens d’Orient. 2 000 ans d’histoire » à l’Institut du monde arabe, à Paris, jusqu’au 14 janvier 2018.
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